A la suite des attentats perpétrés le soir du 13 novembre 2015, l’état d’urgence a été décrété en France, et prolongé à cinq reprises, pour la dernière fois jusqu’en juillet 2017. L’état d’urgence, adopté sur le fondement de la loi n°55-385 du 3 avril 1955, est un régime juridique d’exception qui peut être mis en place soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas de calamité publique.

Ce régime permet aux autorités administratives (ministre de l’Intérieur, préfet) de prendre des mesures restreignant des libertés publiques ou individuelles (liberté d’aller et venir, liberté de réunion…).

Par plusieurs arrêts, la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a eu l’occasion de se prononcer sur deux des mesures emblématiques de l’état d’urgence : les perquisitions administratives et l’assignation à résidence.

Une perquisition administrative peut en effet être ordonnée s’il y a des raisons sérieuses de penser que le lieu visé est fréquenté par une personne dont le comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics. La légalité de la mesure de perquisition administrative peut être contestée devant le juge administrative, qui doit alors contrôlé que l’ordre de perquisition est suffisamment motivé, et que la mesure elle-même est nécessaire et proportionnée.  Le cas contraire, une indemnisation peut perte allouée à la personne ayant fait l’objet de cette mesure.

L’assignation à résidence peut être quant à elle ordonnée par le ministre à l’égard d’une personne pour laquelle «  il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Cette personne peut ainsi être contrainte à demeurer dans son lieu d’habitation pendant une plage horaire fixée, à se présenter périodiquement aux services de police ou aux unités de gendarmerie…

Le juge administratif demeure ici de la même manière compétent en cas de recours contre ces mesures.

Le juge pénal peut cependant être confronté aux mesures prises au nom de l’état d’urgence de deux manières :

  • soit lorsqu’il est saisi de poursuites pour des manquements aux mesures prises dans le cadre de l’état d’urgence (exemple : non respect d’une assignation à résidence prononcée)

 

  • soit lorsqu’il est saisi de poursuites pour des infractions découvertes à l’occasion d’une perquisition administrative décidée par le Préfet dans le cadre de l’état d’urgence.

La question se posait donc de savoir le juge pénal pouvait se prononcer sur la légalité des mesures administratives prises dans le cadre de l’état d’urgence lors du procès pénal.

Par deux arrêts du 13 décembre 2016 (n°16-82.176 et 16-84.794), la Chambre Criminelle de la Cour de Cassation a affirmé qu’en application de l’article 111-5 du Code pénal, le juge pénal était compétent pour apprécier la légalité de l’ordre de perquisition, qui, « sans constituer le fondement des poursuites, détermine la régularité de la procédure ».

Ce contrôle de légalité devra faire l’objet d’une exception de procédure soulevée et plaidée avant tout débat au fond, in limite litis.

La Chambre Criminelle a en effet indiqué que« les mesures de contrainte dont la personne suspectée ou poursuivie peut faire l’objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l’autorité judiciaire ». La Haute juridiction a alors précisé qu’en vertu de l’article 111-5 du Code pénal « les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs, réglementaires ou individuels et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis ».

Ainsi, la régularité des poursuites pour des infractions pénales découvertes à l’occasion de perquisitions administratives (ou la validité d’éléments de preuves saisis lors de ces perquisitions) dépendra du contrôle opéré par le juge pénal sur la légalité des ces mêmes perquisitions.

Par deux arrêts du 28 mars et un du 3 mai 2017, la Chambre Criminelle est venue préciser l’étendue de ce contrôle exercé par le juge pénal sur les perquisitions et les assignations à résidence décidées dans le cadre de l’état d’urgence.

Dans les deux premiers arrêts en date du 28 mars 2017 (concernant des perquisitions administratives), les juges du fond avaient fait droit à l’exception d’illégalité soulevée par la défense et annulé l’intégralité de la procédure en raison de l’imprécision des arrêtés préfectoraux ayant ordonné lesdites perquisitions.

La Chambre Criminelle a cassé et annulé ces arrêts, en indiquant que si la Cour d’Appel « estimait l’arrêté insuffisamment motivé, (il lui appartenait) de solliciter le ministère public afin d’obtenir de l’autorité préfectorale les éléments factuels sur lesquels celle-ci s’était fondée pour prendre sa décision ».

Dans le troisième arrêt, daté du 3 mai 2017, il était question de poursuites pénales pour non respect d’une assignation à résidence ordonnée par l’autorité administrative, toujours dans le cadre de l’état d’urgence.

La Chambre Criminelle a précisé que « s’il appartient au prévenu, poursuivi pour non-respect de l’assignation à résidence prononcée par le ministre de l’intérieur dans le cadre de l’état d’urgence, de préciser sur quels éléments porte sa contestation des raisons retenues par l’arrêté ministériel permettant de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics, il incombe au juge répressif, compétent pour apprécier la légalité des arrêtés d’assignation à résidence, de répondre aux griefs invoqués par le prévenu à l’encontre de cet acte administratif, sans faire peser la charge de la preuve sur le seul intéressé et en sollicitant, le cas échéant, le ministère public afin d’obtenir de l’autorité administrative les éléments factuels sur lesquels celle-ci s’était fondée pour prendre sa décision ».

Le contrôle du juge pénal est donc étendu, puisqu’il lui appartient de solliciter l’autorité administrative compétente, pour connaître les éléments ayant fondé sa mesure de perquisition ou d’assignation.

La Chambre Criminelle réaffirme donc la compétence du juge pénal pour contrôler, lorsque la régularité du procès pénal en dépend,  la légalité des mesures de perquisitions et d’assignations à résidence prises dans le cadre de l’état d’urgence.

Le juge pénal devra ainsi, lorsqu’il sera soulevé par la défense l’exception d’illégalité in limite litis de la perquisition ou de l’assignation à résidence,  apprécier la légalité de ces mesures administratives, c’est-à-dire à vérifier que leur prononcé ou leur exécution ont été conforme aux conditions prévues par la loi sur l’état d’urgence.

Les interventions du juge pénal, et donc son contrôle sur les mesures administratives prises sur le fondement de l’état d’urgence , sont cependant nécessairement limitées, puisqu’elles supposent, a fortiori, une poursuite pénale.

La Chambre Criminelle entend cependant ainsi rappelé que le juge judiciaire reste le gardien privilégié des libertés individuelles, et qu’il est également fondé à intervenir dans un contentieux qui ne saurait relever de la compétence exclusive de la juridiction administrative.