Sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer le jugement du signataire

 

Note D. 2021, p. 2251.

Voir également note P. Brun, D. 2022, p39.

 

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 16 septembre 2021




Cassation


M. CHAUVIN, président



Arrêt n° 626 FS-B+C

Pourvoi n° U 20-17.623




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 16 SEPTEMBRE 2021

1°/ M. [F] [T],

2°/ M. [X] [T],

3°/ Mme [K] [G], épouse [T],

4°/ Mme [S] [T],

5°/ M. [H] [T],

domiciliés tous cinq [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° U 20-17.623 contre l'arrêt rendu le 4 mars 2020 par la cour d'appel d'Agen (chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [J] [R], domicilié [Adresse 2], Notaire,

2°/ à M. [B] [M], domicilié [Adresse 3], Notaire, anciennement notaire associé de la société Balluteaud-Galliay aujourd'hui dénommé Audhuy-Galliay,

défendeurs à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Abgrall, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat des consorts [T], de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat de MM. [R] et [M], et l'avis de Mme Vassallo, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 22 juin 2021 où étaient présents M. Chauvin, président, Mme Abgrall, conseiller rapporteur, M. Maunand, conseiller doyen, M. Nivôse, Mme Farrenq-Nési, MM. Jacques, Boyer, conseillers, Mmes Georget, Renard, Djikpa, M. Zedda, conseillers référendaires, Mme Vassallo, premier avocat général, et Mme Berdeaux, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Agen, 4 mars 2020), par acte du 8 juillet 2008 dressé par M. [M], avec la participation de M. [R], notaires, MM. [F] [T], [H] [T], [X] [T] et Mme [S] [T] (les consorts [T]) ont vendu à la société Araneus un immeuble situé lieudit « Tissandier » à Montflanquin au prix de 210 000 euros.

2. Par arrêt définitif du 4 juin 2013, M. [Q] a été condamné à dix ans d'emprisonnement pour s'être rendu l'auteur, entre le 1er janvier 1999 et le 21 octobre 2009, au préjudice des consorts [T], d'abus frauduleux de l'état d'ignorance ou de la situation de faiblesse des victimes en état de sujétion psychologique ou physique résultant de l'exercice de pressions graves ou réitérées ou de techniques propres à altérer leur jugement pour les conduire à des actes gravement préjudiciables pour elles, en l'espèce, le détournement de leur épargne et la cession de leurs actifs immobiliers.

3. Par acte du 9 décembre 2014, les consorts [T], soutenant avoir été sous l'emprise de M. [Q] lors de cette vente, ont assigné M. [R] et M. [M] en paiement de dommages-intérêts, sur le fondement de leur responsabilité délictuelle.

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche

Enoncé du moyen

4. Les consorts [T] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevable comme prescrite leur action dirigée contre M. [R] et M. [M], alors
« que la prescription ne court pas contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant soit de la loi, de la convention ou de la force majeure ; que son point de départ est reporté jusqu'à ce qu'il puisse agir ; qu'en retenant que « le point de départ de la prescription prévue à l'article 2224 du code civil est donc le 8 juillet 2008, comme jugé par des motifs pertinents par le tribunal que la cour fait siens, pour se terminer le 8 juillet 2013 » et, par motifs réputés adoptés du tribunal, que les consorts [T] « avaient connaissance de la réalisation du dommage à compter de la réitération de l'acte authentique de vente de l'immeuble, soit le 8 juillet 2008 », tout en considérant que les consorts [T] étaient alors sous l'emprise psychologique de Monsieur [Q], le jugement entrepris rappelant en particulier que « tirant toutes les conséquences des faits retenus par le juge pénal, le tribunal de céans a déjà jugé que l'état de sujétion psychologique dans lequel se trouvaient les consorts [T] confinait à l'insanité d'esprit. Toutefois, cette situation de sujétion psychologique totale, qui caractérise l'impossibilité d'agir des consorts [T], ne saurait s'étendre au-delà de la période de la prévention, soit du 14 juin 2001 au 21 octobre 2009 » et l'arrêt considérant qu'« à compter du 12 décembre 2009, et a fortiori de juin 2011, ils ne peuvent plus soutenir l'existence d'un événement insurmontable caractérisant une situation de force majeure telle que requise par l'article 2234 du code civil », sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si, en cet état, les consorts [T] ne se trouvaient pas, lors de la vente, empêchés d'agir, de sorte que la prescription n'avait pas pu commencer à courir, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 2234 du code civil. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 2234 du code civil :

5. Aux termes de ce texte, la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement résultant de la loi, de la convention ou de la force majeure.

6. Pour déclarer prescrite l'action engagée le 9 décembre 2014 par les consorts [T], l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que ceux-ci avaient connaissance de la réalisation du dommage à compter de la réitération de l'acte authentique de vente de l'immeuble, soit le 8 juillet 2008, de sorte que cette date constitue le point de départ de la prescription, et, par motifs propres, qu'à compter du 12 décembre 2009 et a fortiori de juin 2011 ils ne peuvent plus soutenir l'existence d'un événement insurmontable caractérisant une situation de force majeure, telle que requise par l'article 2234 du code civil, et les ayant empêchés d'introduire l'action en responsabilité dans le délai de cinq ans, qui n'expirait que le 8 juillet 2013.

7. En statuant ainsi, après avoir relevé qu'il n'était pas discuté par les parties que les consorts [T] étaient, au moment de la réitération de l'acte de vente du 8 juillet 2008, dans un état de sujétion psychologique, ce dont il résultait que la prescription n'avait pas pu commencer à courir à cette date, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 4 mars 2020, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ;

Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;

Condamne M. [R] et M. [M] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [R] et M. [M] et les condamne à payer aux consorts [T] la somme globale de 3 000 euros ;