Portée de la mise en demeure du constructeur de réparer les ouvrages nécessaire à la mise en œuvre de la garantie dommages-ouvrage
Note C. Cerveau-Colliard, GP 2022-38, p. 59
Note, C. Charbonneau, RDI 2023-2, p. 111.
Lu sur le site de la Cour de cassation
Portée de la mise en demeure du constructeur de réparer les ouvrages nécessaire à la mise en œuvre de la garantie dommages-ouvrage
3E CIV., 7 SEPTEMBRE 2022, N° 21-21.382, PUBLIÉ AU BULLETIN
Le contrat d'assurance dommages-ouvrage couvre en principe les dommages de nature décennale à compter de l'expiration du délai de parfait achèvement (un an après la réception). L'article L. 242-1 (alinéas 8 et 9) du code des assurances dispose, toutefois, qu'avant la réception, cette assurance garantit le paiement des réparations nécessaires lorsque, après mise en demeure restée infructueuse, le contrat de louage d'ouvrage conclu avec l'entrepreneur est résilié pour inexécution, par celui-ci, de ses obligations.
Avant l'expiration du délai de parfait achèvement, l'intervention de la garantie dommages-ouvrage est subsidiaire. La garantie est subordonnée au constat de la défaillance du constructeur : l'existence de dommages de gravité décennale ne suffit pas, il faut que le constructeur ait été mis en demeure de les réparer.
Pour maintenir l'équilibre recherché par le législateur entre protection du maître de l'ouvrage et limitation du champ de la garantie obligatoire de dommages, la Cour de cassation veille à ce que les conditions de la garantie tenant à l'existence d'une mise en demeure suivie d'une résiliation du contrat pour inexécution, par le constructeur, de ses obligations, soient respectées par les juges du fond : si le maître de l'ouvrage résilie le marché sans mettre le constructeur en demeure de reprendre son ouvrage, la garantie de l'assureur dommages-ouvrage n'est pas due.
Ni l'article L. 242-1 ni les clauses type du contrat d'assurance dommages-ouvrage n'exigent de formalisme particulier pour la mise en demeure avant réception. La Cour de cassation en déduit qu'une demande adressée au constructeur pour qu'il remédie aux défauts de l'ouvrage peut valoir mise en demeure, pour peu qu'il en ressorte une interpellation suffisante, même si les mots « mise en demeure » ne sont pas prononcés.
Le présent arrêt apporte une précision quant à l'auteur de l'interpellation : la mise en demeure s'entendant de l'acte par lequel une partie à un contrat interpelle son cocontractant pour qu'il exécute ses obligations, la mise en demeure visée à l'article L. 242-1 du code des assurances doit émaner du maître de l'ouvrage ou de son mandataire pour que la résiliation du contrat qui la suit puisse mobiliser la garantie dommages-ouvrage. En effet, l'entrepreneur doit comprendre que le maintien du contrat est en jeu par l'interpellation qu'il reçoit de la seule personne qui peut le résilier.
Dans l'affaire à l'origine du pourvoi, le maître de l'ouvrage avait résilié le contrat en visant les mises en demeure adressées précédemment par le maître d'oeuvre. Celui-ci pouvait-il être considéré comme le mandataire du maître de l'ouvrage ? Le contrat de maîtrise d'oeuvre est essentiellement un contrat de louage d'ouvrage : le maître d'oeuvre exécute ses prestations de manière indépendante et n'est ni le préposé ni le représentant du maître de l'ouvrage. Le contrat peut, néanmoins, prévoir des missions accessoires de représentation, qui relèveront des règles du mandat. Dans l'exercice de leur pouvoir souverain d'interprétation des conventions, les juges du fond n'ont pas retenu l'existence d'un tel mandat donné par le maître de l'ouvrage au maître d'oeuvre pour mettre en demeure les constructeurs en son nom, avant une éventuelle résiliation du marché de travaux. Dans ces conditions, les mises en demeure qu'avait pu adresser l'architecte en exécution de sa mission de direction des travaux ne constituaient pas les actes exigés par l'article L. 242-1 du code des assurances.
Il importe ainsi que les maîtres de l'ouvrage, qui voudraient mobiliser la garantie de l'assureur dommages-ouvrage à raison de la défaillance du constructeur, mandatent le maître d'oeuvre pour mettre en demeure ce locateur d'ouvrage s'ils n'entendent pas le faire eux-mêmes.
L'arrêt ici commenté précise, par ailleurs, les conditions dans lesquelles la liquidation judiciaire du constructeur peut dispenser le maître de l'ouvrage d'une mise en demeure. On sait que le maître de l'ouvrage n'est pas tenu de mettre le constructeur en demeure lorsque cette formalité est impossible ou inutile, notamment en cas de cessation de l'activité de l'entreprise ou de liquidation judiciaire emportant résiliation du contrat de louage d'ouvrage. Il est vain, dans ce cas, de mettre le constructeur en demeure de parachever l'ouvrage puisqu'il ne pourra déférer à cette injonction. Pour tenir compte de ces circonstances particulières, rendant sans objet la formalité requise, la jurisprudence admet ainsi que l'assurance dommages-ouvrage puisse être mobilisée sans mise en demeure préalable.
Mais si la résiliation est prononcée par le maître de l'ouvrage avant même la liquidation, la formalité de la mise en demeure ne pourra être considérée comme impossible ou inutile du seul fait de cette liquidation. Pour mobiliser l'assurance dommages-ouvrage, la résiliation prononcée, alors que le constructeur est encore en activité, doit être précédée d'une mise en demeure adressée au constructeur pour qu'il remédie aux défauts de l'ouvrage. Dans l'affaire à l'origine du pourvoi, le constructeur avait été mis en liquidation plusieurs mois après que le maître de l'ouvrage avait prononcé la résiliation du marché. On ne se trouvait pas, dès lors, dans un cas d'une mise en demeure inutile ou impossible.
Là encore, la Cour de cassation veille à préserver l'équilibre du système conçu par le législateur en n'écartant les formalités à la charge du maître de l'ouvrage que dans le cas où elles ne peuvent produire d'effet.
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