par François-Xavier AJACCIO, Rémi PORTE et Albert CASTON
II. L'immixtion fautive du maître de l'ouvrage : un régime spécial...
S'immiscer est «s'introduire indûment dans ce qui est du ressort d'autrui» (définition de la langue français informatisée -atif- ; v. par exemple, un maître d'oeuvre prétendant que le décorateur d'intérieur, désigné par les maîtres de l'ouvrage, s'est immiscé injustement dans sa conduite des travaux et, prétendant, à ce titre, pouvoir justifier d'un abandon de chantier ; argument écarté par les juges du fond : CA Paris PÔLE 04 CH. 05 13 janvier 2010 n° 07/09879, confirmé par 3e civ., 29 février 2012,10-15.128, publié au bulletin).
L'immixtion du maître de l'ouvrage dans la conception et l'exécution de l'ouvrage est-elle ainsi, par nature, irrégulière ?
A dire vrai, la jurisprudence ne la sanctionne que sous certaines conditions.. Les termes du concept («immixtion » / « fautive») ne sont donc pas redondants. Ils soulignent, volontairement, que l'immixtion du maître ne sera considérée comme « fautive » qui si le juge constate qu'elle est caractérisée par des actes -ou des omissions- du maître d'ouvrage, reconnu comme notoirement compétent. Et le lien causal entre cette immixtion et le dommage doit être établi.
L'exonération des constructeurs en cas d'immixtion fautive du maître de l'ouvrage en droit de la construction est bien assise (Hugues Périnet-Marquet, La responsabilité du maître d'ouvrage dans la préparation et la conclusion du marché, RDI 2002 p. 451 ; Traité de la responsabilité des constructeurs, A. Caston, F-X Ajaccio, R. Porte, M. Tendeiro, Le Moniteur, 7é ed. 2013 p. 545 et s. ainsi que p. 57 et s.).
Mais elle s'illustre aussi dans :
- le droit général des contrats :
« mais attendu qu'en relevant, en premier lieu, que compte tenu de la compétence technique de la société Réno qui a fourni un plan détaillé et a discuté point par point les modalités de la réparation, de l'identification du problème de retournement de la roue dentée au cours des pourparlers, de la recherche constante par la société Reno d'une diminution du coût avec prise en compte des incidences techniques, l'arrêt, en faisant ainsi ressortir l'immixtion de la société Réno dans le choix des modalités d'intervention par la société Maguin, en dépit d'impératifs techniques, a pu en déduire que cette dernière n'était tenue, au titre du conseil, qu'à une obligation de moyen» (Commerciale, 28 novembre 2000, 98-14.748, inédit) ;
- le droit commercial :
«ayant relevé qu'un franchiseur détenait les documents comptables, sociaux et bancaires nécessaires à la gestion d'une société franchisée, avait conservé la signature bancaire de celle-ci, préparait tous les documents administratifs et les titres de paiement signés ensuite par le franchisé, établissait les déclarations fiscales et sociales, contrôlait l'embauche du personnel, avait participé à la poursuite d'une activité déficitaire du franchisé de juin à août 1989 bien qu'il connaissait, par la détention des documents comptables en sa possession, l'insuffisance de la trésorerie, une cour d'appel a pu en déduire que l'immixtion du franchiseur dans la gestion de la société franchisée dépassait les obligations résultant du contrat de franchise et que le franchiseur était le dirigeant de fait du franchisé et avait commis des fautes ayant contribué à l'insuffisance d'actif » (Commerciale, 9 novembre 1993, 91-18.351, publié au bulletin, Philippe le Tourneau, Rev. sociétés 1994. 321 ; Didier Ferrier, RD. 1995. 79. Jacques Mestre, RTD civ. 1995. 104) ;
- « ne donne pas de base légale à sa décision au regard des articles 1842 et 1165 du code civil la cour d'appel qui retient la responsabilité d'une société mère au titre des préjudices subis par le cocontractant de sa filiale en raison de son immixtion dans ces relations contractuelles, sans constater que cette immixtion avait été de nature à créer pour le cocontractant une apparence trompeuse propre à lui permettre de croire légitimement que cette société était aussi son cocontractant» (Commerciale, 12 juin 2012, 11-16.109, publié au Bulletin, L'exception d'immixtion de la mère dans les affaires de sa filiale n'est plus, Caroline Tabourot-Hyest , Rev. sociétés 2013. 95 ; Où la Cour de cassation rétrécit anormalement le concept d'immixtion dans les groupes de sociétés, Pierre-Yves Gautier, RTD civ. 2012. 546).
En droit de la construction, cette notion d'immixtion fautive n'est qu'une application particulière du principe de l'exonération du locateur d'ouvrage, mais en l'espèce pour une faute appréciée plus sévèrement : outre la faute du maître de l'ouvrage (un acte positif ou négatif), elle suppose que le défendeur apporte la preuve de la compétence technique « notoire » dudit maître (les constructeurs doivent soutenir que le maître d'ouvrage est notoirement compétent ; à défaut, les juges du fond ne pourraient tirer les conséquences d'une telle immixtion : 3e civ., 3 décembre 2013, 11-24.332, inédit au bulletin, rejet du pourvoi incident).
L'immixtion fautive se rencontre le plus fréquemment à l'occasion d'un dommage à l'ouvrage ou d'un trouble de voisinage (3e civ., 25 mai 2005,03-19.286, publié au bulletin), ayant pour cause un choix technique. Elle n'est cependant pas exclusive de la responsabilité du maître de l'ouvrage pour des fautes générales (v. précédemment) mais se conjugue aussi avec la notion d'acceptation des risques (v. ci-après).
Être présent sur le chantier, participer à des réunions avec les entrepreneurs et/ou le concepteur, choisir ou fournir des matériaux, émettre des réserves... ne constituent pas -a priori- des immixtions dans les attributions des constructeurs. Il s'agit, simplement, pour le maître de l'ouvrage d'exercer ses prérogatives (v. Michel Huet : Rôle du maître d'ouvrage dans la définition du programme RDI 2002 p. 442), prérogatives sur les limites desquelles il est permis de s'interroger, car en matière de marchés privés, il n'existe pas de définition légale du maître d'ouvrage, de son rôle et de ses attributions.
La Norme NF P 03-001 de décembre 2000, applicable aux marchés privés si les parties s'y référent, définit simplement le maître de l'ouvrage comme «la personne physique ou morale [...] pour le compte de qui les travaux ou ouvrages sont exécutés» (art. 3.1.9). Elle n'en dit pas plus ... .
La loi du 12 juillet 1985, sur la maîtrise d'ouvrage publique, modifiée par l'ordonnance n°2004-566 du 17 juin 2004, relative aux marchés publics, détaille les attributions du maître de l'ouvrage en y voyant : « ...la personne morale [...] pour laquelle l'ouvrage est construit. Responsable principal de l'ouvrage, il remplit dans ce rôle une fonction d'intérêt général dont il ne peut se démettre. Il lui appartient, après s'être assuré de la faisabilité et de l'opportunité de l'opération envisagée, d'en déterminer la localisation, d'en définir le programme, d'en arrêter l'enveloppe financière prévisionnelle, d'en assurer le financement, de choisir le processus selon lequel l'ouvrage sera réalisé et de conclure, avec les maîtres d'oeuvre et entrepreneurs qu'il choisit, les contrats ayant pour objet les études et l'exécution des travaux.
Lorsqu'une telle procédure n'est pas déjà prévue par d'autres dispositions législatives ou réglementaires, il appartient au maître de l'ouvrage de déterminer, eu égard à la nature de l'ouvrage et aux personnes concernées, les modalités de consultation qui lui paraissent nécessaires. Le maître de l'ouvrage définit dans le programme les objectifs de l'opération et les besoins qu'elle doit satisfaire ainsi que les contraintes et exigences de qualité sociale, urbanistique, architecturale, fonctionnelle, technique et économique, d'insertion dans le paysage et de protection de l'environnement, relatives à la réalisation et à l'utilisation de l'ouvrage. Le programme et l'enveloppe financière prévisionnelle, définis avant tout commencement des avant-projets, pourront toutefois être précisés par le maître de l'ouvrage avant tout commencement des études de projet. Lorsque le maître de l'ouvrage décide de réutiliser ou de réhabiliter un ouvrage existant, l'élaboration du programme et la détermination de l'enveloppe financière prévisionnelle peuvent se poursuivre pendant les études d'avant-projets. Il en est de même pour la réalisation d'ouvrages neufs complexes d'infrastructure et de bâtiment, sous réserve que le maître de l'ouvrage l'ait annoncé dès le lancement des consultations. Les conséquences de l'évolution du programme et de l'enveloppe financière prévisionnelle sont prises en compte par voie d'avenant [...] (art.2) ».
Ainsi, le maître de l'ouvrage n'a aucun rôle technique dans la conception de l'ouvrage ou dans son exécution. Dès lors, toute intervention de sa part dans ce domaine constitue une incursion dans la sphère exclusive des constructeurs. L'immixtion du maître de l'ouvrage, dans la conception ou l'exécution, est donc, par essence, «anormale» voire exorbitante, ce qui la rend «fautive», sous réserve de ce qui résulterait de l'existence d'une compétence propre dudit maître de l'ouvrage, car il n'y pas d'immixtion fautive en l'absence de compétence notoire dans le domaine technique concerné (3e civ., 9 juin 1980, 78-15.178, publié au bulletin (ordre du propriétaire) ; 3e civ., 3 novembre 1983, 82-14.077, publié au bulletin (choix des matériaux); 3e civ., 21 février 1984, 82-15.337, publié au bulletin (choix des chaudières) ; 3e civ., 7 mars 1990, 88-14.866, publié au bulletin (choix des matériaux) ; Civ. 3e, 11 déc. 1991, n° 87-14.020 ; v. aussi : 3e civ., 24 mars 191, 69-13.294, publié au bulletin).
La compétence technique reconnue du maître de l'ouvrage conditionne sa responsabilité : «la Cour d'appel qui retient qu'architectes et entrepreneurs n'ont pas émis de réserves sur le choix de chaudières par un maître d'ouvrage et qu'on ne saurait reprocher à celui-ci, quoique promoteur compétent, son immixtion dans ce choix, peut déduire de ce motif d'où ne résulte pas la compétence notoire du maître d'ouvrage en matière de chauffage et qui exclut le caractère fautif de son immixtion, que ce promoteur doit être garanti des condamnations prononcées contre lui au profit des acheteurs d'appartements en raison de malfaçons » ( 3e civ., 21 février 1984, 82-15.337, publié au bulletin).
Actes du maître de l'ouvrage
Les nombreuses décisions se référant à l'immixtion fautive du maître de l'ouvrage illustrent la nature des comportements reconnus comme «fautifs» :
- «pour autant, M. Jean Louis T. a pris l'initiative, qui ne lui incombait pas, d'enlever les végétaux et la terre des jardinières et de les entreposer sur la terrasse de son locataire ce dernier faisant valoir à juste titre qu'il s'est ainsi immiscé dans les travaux de la copropriété, et qu'il a engagé par cette immixtion sa responsabilité personnelle» (CA Aix-en-Provence CH. 11 B 8 novembre 2012 n° 11/04820) ;
- « la société d'architecture cabinet Bruno M. demande la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a débouté les époux H. de leur recours en garantie soutenant que le rapport d'expertise a, s'agissant de l'inondation du garage, mis en évidence l'immixtion fautive du maître de l'ouvrage lors de la réalisation des travaux, notamment en faisant réaliser sans son accord, un muret maçonné empêchant la circulation des eaux, alors même qu'il était initialement prévu de simples clôtures.
L'expert conclut que la responsabilité de l'architecte est engagée car celui ci avait dans sa mission les plans d'exécution ainsi que le suivi du chantier, de sorte qu'il devait à ce titre prendre en considération le fait que la villa n°11 été prise entre 2 murs mitoyens, et prévoir, dès l'origine, des travaux permettant une évacuation suffisante des eaux pluviales.
Au vu de cette analyse précise de l'expert, la responsabilité de l'architecte est donc engagée au titre d'une mauvaise exécution de sa mission tant au niveau de la conception que de la surveillance de l'exécution» (CA Aix-en-Provence CH. 03 B 21 juin 2012 n° 11/05496) ;
- « Attendu d'autre part, qu'ayant, par motifs propres et adoptés, constaté que la SCI devait conserver, selon les termes de la convention de maîtrise d'ouvrage déléguée, le contrôle et la direction des opérations de construction de l'ensemble immobilier et que la société Sogelym devait s'écarter de toute immixtion dans les travaux confiés aux techniciens, relevé le poids prépondérant de la SCI dans les choix techniques et dans la recherche d'économies à laquelle elle avait seule intérêt, et retenu, par une appréciation souveraine, que la SCI n'avait pas été assez vigilante relativement à l'exercice de la mission du maître de l'ouvrage délégué, la cour d'appel a pu en déduire qu'elle devait supporter une part de responsabilité » (3e civ., 10 octobre 2012, 11-12.544, inédit au bulletin, Jean-Michel Berly, RDI-2013.98 ; v. aussi : 3e civ., 11 mai 2005, 03-20.680, publié au bulletin).
Diverses décisions relèvent cependant l'absence totale de comportements fautifs :
- «aucune faute n'était démontrée à l'encontre d'ADP maître d'oeuvre et ni d'immixtion fautive de celle ci dans son rôle de maître d'ouvrage» (CA Paris PÔLE 04 CH. 05 9 novembre 2011 n° 10/14795) ;
- «considérant que si l'expert D. relève que le litige est le résultat de plusieurs bricolages : pose de granit pour alourdir le bateau , puis pose de bois pour des raisons esthétiques , puis pose du parquet de chêne , il convient de noter que la société DUMAS TREBERN en qualité de professionnelle n'a émis aucune réserve sur la nature du support sur lequel elle devait mettre en place le parquet ; que si elle considérait ne pas pouvoir réaliser les travaux commandés dans les règles de l'art il lui appartenait d'en informer le maître de l'ouvrage et s'il passait outre à ses conseils lui faire savoir que les travaux étaient réalisés à ses risques et périls ; qu'ayant accepté le support en l'état il lui appartenait de réaliser les travaux conformément aux règles de l'art ; que ne l'ayant pas fait , elle a manqué à ses obligations contractuelles ; qu'en outre la société DUMAS TREBERN ne démontre pas l'immixtion fautive du maître de l'ouvrage » ( CA Paris PÔLE 04 CH. 06 25 octobre 2013 n° 11/18897);
- «que cependant, outre qu'il lui [le maître d'oeuvre] appartenait de se renseigner dés le début de sa mission sur la conformité du projet avec les textes réglementaire et urbanistiques en vertu de son devoir de conseil et d'information à l'égard du maître d'ouvrage dont l'immixtion fautive n'est pas établie, il ne démontre pas l'impossibilité de mener à bien une demande de permis de construire, celui ci ayant été obtenu par un confrère ultérieurement » (CA Paris PÔLE 04 CH. 05 2 février 2011 n° 09/14892) ;
- «il n'est pas contesté que celle ci [le maître de l'ouvrage] a établi le descriptif détaillé des travaux et les différents plans sur lesquelles elle a porté des annotations ; Sa qualité de maître d'oeuvre de conception est établie même en l'absence de contrat écrit ; L'expert lui reproche le manque de précision de ses plans ; Cependant, il n'explicite pas le lien de causalité entre ce reproche et les désordres constatés » (CA Paris PÔLE 04 CH. 05 25 janvier 2012 n° 09/07907) ;
- « les époux G... ne disposent d'aucune compétence notoire en matière de construction et Claude T. ne justifie pas davantage les avoir avertis des conséquences de tel ou tel de leur choix ; cette demande ne peut donc être retenue» (CA Paris PÔLE 04 CH. 05 18 septembre 2013 n° 11/18712) ;
- «il est soutenu une faute du maître d'ouvrage qui a supprimé par souci d'économie le lot injection du marché de TGM portant sur les fondations. Ce souci ne peut cependant lui être reproché et personne ne démontre avoir averti [le maître de l'ouvrage], dont la compétence notoire en matière de travaux de bâtiment et de fondations n'est pas établie, des conséquences de la suppression des injections. Aucune faute n'est donc à retenir à son encontre » (CA Paris PÔLE 04 CH. 05 28 septembre 2011 n° 09/17993 confirmé par 3e civ., 18 décembre 2012, 11-27.778, inédit au bulletin).
La signature d'un ordre de service relatif à une démolition non autorisée ne peut constituer une faute : « la cour d'appel a pu en déduire que ni le retrait, sollicité par la commune, d'une demande de permis de démolir, qui ne visait pas la totalité de l'immeuble, ni la signature de l'ordre de service de démolition préparé par la maîtrise d'oeuvre, ne rapportait la preuve d'une immixtion fautive ou d'une acceptation délibérée des risques par le maître de l'ouvrage » (3e civ., 11 juillet, 2012,10-28.535, publié au bulletin, Fanny Garcia, Revue de droit immobilier 2012 p. 571 Non-respect d'un permis de démolir : responsabilités solidaires des sociétés d'un groupement de maîtrise d'oeuvre ; F-X Ajaccio, Éditions législatives, bulletin assurances, octobre 2012, n°218, p. 5 ; Construction - Urbanisme n° 10, Octobre 2012, comm. 156 Convention de groupement et engagement solidaire à l'égard du maître d'ouvrage Marie-Laure PAGÈS-de VARENNE).
D'une façon générale, le juge du fond a l'obligation de caractériser la faute ou l'acceptation délibérée de risques (3e civ., 14 novembre 1991 90-10.050, publié au bulletin).
L'absence de maître d'oeuvre sur le chantier n'est pas fautive par elle-même (3e civ., 9 juin 2004, 02-20.292 ; CA Aix-en-Provence CH. 03 B 11 octobre 2012 n° 11/10539 ; 3e civ., 3 décembre 2008, 07-16.638, inédit au bulletin).
Le défaut de maître d'oeuvre oblige l'entrepreneur a plus de vigilance (3e civ., 6 novembre 2013, 12-18.844, publié au bulletin, F.-X. Ajaccio, dictionnaire permanent, bulletin assurances, éditions législatives, décembre 2013, p. 4 & bull. construction, décembre 2013, p.13; Thomas Coustet, Dalloz actualité 19 novembre 2013) notamment quant au respect des règles d'urbanisme, de l'implantation de la maison (V. précédents : Cass. 3e civ., 9 mai 2012, 11-14.523; 3e civ., 11 juillet 2012, 11-15.459 ; Cass. 3e civ., 6 mai 2009, n° 08-14.505, publié au bulletin ).
Mais, en considération de la nature des travaux, ne pas recourir à un maître d'oeuvre peut être considéré comme fautif (CA Paris PÔLE 04 CH. 01 7 avril 2011 n° 09/18001).
Compétence notoire du maître de l'ouvrage
Après avoir pris en considération un acte «positif» (terme employé par la 3e chambre civile : 1er février 1989, 87-17.979, inédit au bulletin) fautif du maître de l'ouvrage, les juges doivent apprécier sa compétence notoire dans le domaine correspondant aux dommages : «mais attendu qu'ayant relevé que M. X..., maître de l'ouvrage notoirement compétent en matière de construction, s'était immiscé dans la construction en réalisant des travaux soumis aux normes parasismiques, que la société Bléone avait réalisé le surplus des travaux, que la solidité de la structure était compromise en raison du non-respect des règles parasismiques tant par M. X... que par la société Bléone, et retenu que l'expert avait conclu à la nécessité d'une réfection totale de l'ouvrage, la cour d'appel, qui a, souverainement, limité la responsabilité de l'entrepreneur dans une proportion qu'elle a appréciée et évalué le préjudice, sans être tenue de rechercher si la construction était achevée et habitée, a légalement justifié sa décision» (Cass. 3e civ., 25 septembre 2013,12-12.971, inédit au bulletin, rejet ; critère exigé depuis longtemps : 3e civ., 7 décembre 1976, 75-11.427, publié au bulletin).
Immixtion et compétence notoire (3e civ., 30 juin 2009, 08-14.438, inédit au bulletin ; 3e civ., 14 nov. 2001, 99-13.638, publié au bulletin, Philippe Malinvaud, RDI 2002. 87) du maître de l'ouvrage doivent être établis par les constructeurs (Cass., ass. plénière 2 novembre 1999, 97-17.107, Bull. ass. plénière n° 8 ; 3e civ., 3 décembre 2013, 11-24.332, inédit au bulletin ; 3e civ., 11 mai 2005, 03-20.680, publié au bulletin, titré : preuve, nécessité), sous le contrôle de la Cour de cassation (3e civ., 6 mars 2002, 00-10.358, Philippe Malinvaud -- RDI 2002. 236)..
Cette compétence ne se présume pas, notamment au regard de la qualité de promoteur (3e civ., 21 février 1984, 82-15.337, publié au bulletin ). Mais, une fois ces circonstances admises (3e civ., 21 décembre 1992, 81-16.289, publié ; 1er février 1999, 87-17.979 ; 8 avril 1992, 90-17.884), le juge du fait détermine souverainement leur incidence causale et l'éventuel partage de responsabilité en résultant (Cass. 3e civ., 25 septembre 2013,12-12.971, inédit au bulletin).
III. L'acceptation des risques par le maître de l'ouvrage : une quasi-convergence de régimes ...
L'acceptation des risques (Hugues Périnet-Marquet, La responsabilité du maître d'ouvrage dans la préparation et la conclusion du marché, RDI 2002 p. 451 ; Traité de la responsabilité des constructeurs, A. Caston, F-X Ajaccio, R. Porte, M. Tendeiro, Le Moniteur, 7é ed. 2013 p. 545 et s. ainsi que 57 et s.) comme cause d'exonération des constructeurs n'exclut pas la responsabilité de ces derniers.
Note : l'exonération en cas d'acceptation des risques était évoquée dans les travaux préparatoires du Code civil ; ainsi le projet d'article 1792 du Code civil disposait : « si l'édifice donné à prix fait, périt par le vice du sol, l'architecte en est responsable, à moins qu'il ne prouve avoir fait au maître les représentations convenables pour dissuader d'y bâtir », mais elle ne fut finalement pas reprise dans le Code de 1804 (P.A. Fenet, recueil des travaux préparatoires du Code civil, T.2 p.268, http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k113463p/f371.image.r=.langFR; Principes de droit civil, 1986, T.26 p.37, F Laurent :hhtp://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5808770g/f40.image.r=principes%20de%20droit%20civil.langEN. ).
En droit de la responsabilité des constructeurs, elle n'est admise lorsqu'elle est résulte d'un choix délibéré du maître de l'ouvrage (3e civ., 21 novembre 2012, 11-25.200, M. Poumarède, RDI-2013-100 ; RD-2013-2123, chronique droits des biens, Blandine Mallet-Bricout & Nadège Reboul-Maupin) après conseils et avertissements des hommes de l'art : le maître d'ouvrage doit avoir été clairement informé par les professionnels compétents avant d'arrêter son choix (1er civ., 18 juillet 2000, 98-11.756, inédit au bulletin ; 3e civ., 25 mai 2005, 04-14.081, Ph. Malinvaud, RDI-2005-337; 3e civ., 10 octobre 2007, 06-20.908, Ph. Malinvaud, RDI-2008-156; 3e civ., 11 décembre 2007, 06-21.908, Ph. Malinvaud, RDI-2008-104; v. aussi ; 3e civ., 23 mai 2012, 11-11.622 ; 3e civ., 11 juillet 2012, 10-28.535, publié au bulletin, Fanny Garcia, Revue de droit immobilier 2012 p. 571 Non-respect d'un permis de démolir : responsabilités solidaires des sociétés d'un groupement de maîtrise d'oeuvre ; F-X Ajaccio, Éditions législatives, bulletin assurances, octobre 2012, n°218, p. 5 ; Construction - Urbanisme n° 10, Octobre 2012, comm. 156 Convention de groupement et engagement solidaire à l'égard du maître d'ouvrage Marie-Laure Pagès-de VARENNE ; absence de mise en garde de l'entrepreneur : CA Aix-en-Provence CH. 03 A 11 mars 2010 n° 08/16155 ; 3e civ., 10 octobre 2007, 06-20.908, inédit au bulletin).
Elle est distincte de la notion d'immixtion et doit être articulée spécialement par les constructeurs (3e civ., 25 février 1998, 96-14.537, publié au bulletin ).
En droit commun de la responsabilité, l'acceptation des risques concerne des situations où la victime est exposée à des risques parfois supposés acceptés (G. Viney et P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité : LGDJ, 3e éd., n° 573, p. 584 et s. ; Esmein Paul. L'idée d'acceptation des risques en matière de responsabilité civile. In: Revue internationale de droit comparé. Vol. 4 N°4, Octobre-décembre 1952. pp. 683-691, http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/ridc_0035-3337_19... A. Cappello, la faute civile et la violation des règles régissant une activité sportive ou professionnelle, RTDC-2013-777).
Il en va ainsi pour la pratique de sports, où n'est retenue la responsabilité de l'auteur du dommage qu'en cas de faute qualifiée, telle qu'un acte contraire aux règles du jeu (Cass., ass. plén. 29 juin 2007, n° 06-18.141, Bull. civ. ass. plén. n° 7, D. 2007. 2455, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2346, obs. J.-C. Breillat, C. Dudognon, J.-P. Karaquillo, J.-F. Lachaume, F. Lagarde et F. Peyer ; ibid. 2408, chron. J. François ; ibid. 2897, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RTD civ. 2007. 782, obs. P. Jourdain ; A. Paulin, Association sportive et responsabilité du fait d'autrui ou le délicat mariage de la belle et la bête, Gaz. Pal. 30 déc. 2007, n° 364, p. 2 ; P. Polère, Gaz. Pal. 7 nov. 2007, n° 311, p. 62 ; S. Hoquet-Berg, Essai transformé pour la responsabilité indirecte pour faute d'autrui, RCA 1er nov. 2007. 6. ; G. Viney et P. Jourdain, Les conditions de la responsabilité : LGDJ, 3e éd., n° 643, p. 700) encore que, l'acceptation des risques paraisse ici abandonnée en matière de dommage causé par une chose (Civ 2e, 4 nov. 2010, n° 09-65.947, publié au bulletin : « la victime d'un dommage causé par une chose peut invoquer la responsabilité résultant de l'article 1384, alinéa 1er, du Code civil, à l'encontre du gardien de la chose, instrument du dommage, sans que puisse lui être opposée son acceptation des risques » ; D. 2010. 2772, obs. I. Gallmeister ; ibid. 2011. 632, chron. J.-M. Sommer, L. Leroy-Gissinger, H. Adida-Canac et S. Grignon Dumoulin ; RTD civ. 2011. 137, obs. P. Jourdain ; L'abandon de la théorie de l'acceptation des risques en matière de responsabilité civile du fait des choses. Enjeux et perspectives ; Jean Mouly D. 2011. 690 ; David Bakouche, La Semaine Juridique Edition Générale n° 1, 10 Janvier 2011, 12 , La Cour de cassation désactive la théorie de l'acceptation des risques ; Responsabilité civile et assurances n° 2, Février 2011, étude 3, L'acceptation des risques en matière sportive enfin abandonnée ! Etude par Sophie HOCQUET-BERG ; arrêt du 4 novembre 2010 remis en cause par la loi n° 2012-348 du 12 mars 2012 tendant à faciliter l'organisation des manifestations sportives et culturelles, JO n° 62, 13 mars 2012 et ayant introduit un article L. 321-3-1 au code du sport prévoyant que «les pratiquants ne peuvent être tenus pour responsables des dommages matériels causés à un autre pratiquant pour le fait d'une chose qu'ils ont sous leur garde, au sens du premier alinéa de l'article 1384 du code civil, à l'occasion de l'exercice d'une pratique sportive, au cours d'une manifestation sportive ou d'un entraînement en vue de cette manifestation sportive sur un lieu réservé de manière permanente ou temporaire à cette pratique », v. notes critiques : Responsabilité civile et assurances n° 3, Mars 2012, repère 3 Il faut sauver les « 24 heures du Mans » ! Repère par Hubert Groutel, Responsabilité civile et assurances n° 6, Juin 2012, comm. 149 Chose utilisée pour une activité sportive Commentaire par Sophie Hocquet-Berg).
En matière médicale, la jurisprudence exige que le patient ait été clairement informé des risques encourus (des aléas du traitement) et qu'il les ait acceptés.
Ainsi, l'interprétation de la notion d'acceptation des risques varie selon le domaine de responsabilité contractuelle considéré (V. également pour le garagiste : 1er civ., 15 novembre 1988, 86-19.050, publié au bulletin ; 1er civ., 30 novembre 2004, 01-13.632, publié au bulletin, Resp. civ. et assur. 2005.comm.22, obs. S. Hocquet-Berg ; L'incidence des compétences du client et de l'acceptation des risques sur le devoir de conseil du professionnel, Patrice Jourdain, RTD civ. 2005. 406).
Quoi qu'il en soit, en droit de la construction, l'acceptation des risques est admise lorsque « le maître de l'ouvrage a été clairement informé par l'entrepreneur et le bureau de contrôle des risques graves de désordres, dans toute leur ampleur et conséquences, et que c'est par un choix délibéré, après mise en garde par ces sociétés en termes précis, que le maître de l'ouvrage avait décidé de retenir un procédé constructif, en toute connaissance de cause, prenant ainsi le risque de désordres prévisibles» (3e civ., 20 mars 2002, 99-20.666, publié au bulletin, Ph. Malinvaud, RDI-2002 p. 236 ; 3e civ., 19 janvier 1994, 92-14.303, publié au bulletin).
Mais, à la différence de l'immixtion fautive, l'acceptation des risques ne suppose pas de reconnaissance d'une compétence du maître de l'ouvrage autre que celle résultant des avertissements explicites préalablement prodigués.
Cela étant, le risque accepté vaut exonération à l'égard de l'ensemble des entrepreneurs : « mais attendu qu'ayant relevé que le maître de l'ouvrage avait été informé complètement des conséquences du défaut de mise en place d'une étanchéité par une note du bureau de contrôle Veritas soulignant la non-conformité des dalles de couverture au document technique unifié (DTU) applicable, et par la formulation, à plusieurs reprises, par ce bureau, de réserves relatives à la pénétration possible d'eaux de pluie, et qu'il avait, par un choix effectué en toute connaissance de cause, accepté les risques de la construction d'une dalle dépourvue d'étanchéité, la cour d'appel, qui n'était tenue de rechercher ni si le maître de l'ouvrage était notoirement compétent en matière de construction, ni si sa décision constituait pour l'architecte un événement ayant les caractéristiques de la force majeure, a exactement retenu qu'en raison de cette acceptation délibérée des risques par la SCI, l'argumentation tirée d'une faute commise par l'architecte était dénuée de toute portée, et que la responsabilité de ce dernier n'était pas engagée, l'information du maître de l'ouvrage pouvant émaner d'un professionnel de la construction autre que celui dont la responsabilité est recherchée » (3e civ., 9 juin 1999, 97-18.950, Ph. Malinvaud, RDI-1999-410 ; v. aussi : 3e civ., 10 janvier 2012,10-27.926, inédit au bulletin).
La prise de risque par le maître de l'ouvrage, choix délibéré de ce dernier, nonobstant les avertissement des constructeurs, exonère ces derniers même s'ils n'ont pas refusé d'exécuter les instructions du maître de l'ouvrage (3e civ., 10 octobre 2007, 06-20.908, inédit au bulletin ). Des réserves écrites explicites constituent cependant une précaution élémentaire pour se préconstituer une preuve ....
L'acceptation des risques procède souvent d'une volonté d'économie du maître de l'ouvrage :
- « les désordres ayant pour cause essentielle et déterminante le fait que M. X... avait ordonné à la société SAT d'exécuter les travaux de terrassement, sans avoir fait procéder au préalable à l'étude de sols qui était indispensable en raison d'une très forte pente, sous peine de s'exposer à un glissement de terrain, que, professionnel expérimenté, M. X... n'ignorait rien de l'importance de ce risque, et qu'il avait, d'ailleurs demandé au BET et à l'EEG SIMECSOL de lui présenter des devis d'étude de sols, que, cependant, après avoir pris connaissance des propositions de la société CETEC, du 6 octobre 2000 recommandant cette étude géotechnique, et la chiffrant à 16 361,28 francs, il s'était ravisé et avait, en pleine connaissance de ce risque majeur, décidé de faire l'économie financière de ces investigations et avait ordonné à la société SAT d'exécuter les travaux, sans vérification préalable de la stabilité du terrain, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de procéder à des recherches que ses constatations rendaient inopérantes, et qui a analysé la faute commise par la société SAT, a souverainement fixé la part de responsabilité incombant aux deux parties» (3e civ., 27 septembre 2006, 05-15.038, inédit au bulletin, Ph. Malinvaud, RDI-2006-503 ; pour une application contraire, en l'absence de réserve de l'entreprise : CA Paris PÔLE 04 CH. 05 14 avril 2010 n° 07/19691) ;
- «ayant relevé que les désordres affectant les immeubles avaient pour cause la décision délibérée et réitérée du maître de l'ouvrage, de supprimer certains ouvrages en vue de réaliser une économie substantielle, formulée malgré l'avis ou l'information contraire donnée par des architectes, professionnels de la construction ayant eu connaissance du problème technique et compétence pour le résoudre, la cour d'appel a pu retenir que celui-ci avait délibérément accepté les risques de survenance des désordres dont il devait être déclaré seul responsable» (3e civ., 15 décembre 2004, 02-16.581, publié au bulletin).
Dès lors, l'acceptation des risques par le maître de l'ouvrage, ainsi caractérisée (pour un défaut d'acceptation des risques : 3e civ., 7 novembre 2012, 11-23.229, publié au bulletin), amènera le juge du fond à un examen des fautes respectives - des constructeurs et du maître de l'ouvrage - pour déterminer la part de chacun, celle des constructeurs pouvant être nulle : «considérant que l'entreprise est tenue à l'égard du maître d'ouvrage à une obligation de résultat d'exécuter un ouvrage exempt de vice dont elle ne peut s'exonérer qu'en démontrant l'immixtion fautive du maître d'ouvrage ou l'acceptation consciente et délibérée du risque par celui ci ; Considérant qu'en l'espèce, il est acquis que l'implantation du bâtiment n'est pas conforme à celle prévue au permis de construire initial qui n'a pas été modifié sur ce point par le permis de construire modificatif du 21 juillet 2003 ; que cependant, la SCI n'établit pas que la société ROQUE était tenue contractuellement par les permis de construire ; qu'il apparaît que c'est la SCI elle même qui a décidé de la nouvelle implantation ; qu'il lui appartenait de présenter une demande modificative, ce qu'elle n'a pas fait ; qu'outre qu'il n'est pas démontré que la société ROQUE savait que la demande de permis de construire modificatif déposée par la SCI le 27 mars 2003 ne portait pas sur ce point, la SCI FRANCK LEVY ne pouvait ignorer la nécessité de régulariser la situation dès lors que son attention avait été particulièrement attirée sur l'importance du respect de l'implantation par la procédure administrative ayant précédé l'obtention du premier permis de construire et ayant abouti à la décision du tribunal administratif du 24 juillet 2002 ; qu'il doit donc être admis qu'elle a accepté de façon consciente et délibérée de prendre le risque de cette non conformité, et la responsabilité de la société ROQUE ne sera pas retenue de ce chef » (CA Paris PÔLE 04 CH. 05 14 avril 2010 n° 07/19691).
La prise de risques peut aussi résulter de choix architecturaux innovants du maître de l'ouvrage (par exemple dans le cas du Musée des Confluences de Lyon), avec éventuellement comme conséquence une complexité des ouvrages rendant difficile leur assurabilité (voir : l'Assurance-construction, Le Moniteur, p. 73 et s. et 203, F-X Ajaccio, A. Caston, R. Porte).
Les prérogatives du bureau central de tarification ont ainsi été modifiées afin de réduire les risques de dommages ultérieurs : «dans le cas d'un refus d'assurance obligatoire en matière de construction pour un usage autre que l'habitation, l'assureur sollicité peut, avec l'accord de l'assujetti, demander au Bureau central de tarification de prendre en compte, en vue de la fixation du montant de la prime, des solutions concourant à l'assurabilité de l'ouvrage, sur la base, le cas échéant, du dispositif d'analyse et de maîtrise des risques de construction mis en place par les intéressés. Dans ce cas, le Bureau central de tarification statue dans un délai maximal de douze mois à compter de la date de dépôt de cette demande» (nouvel article R.250-4-1 du Code des assurances, introduit par le décret n° 2008-1466 du 22 décembre 2008 portant diverses dispositions relatives aux contrats d'assurance de constructions à usage autre que l'habitation )».
Mais l'assurance obligatoire ne peut être aménagée pour faire face à des risques anormalement aggravés découlant de choix techniques ou architecturaux spécifiques du maître d'ouvrage et de son architecte. Il n'est en effet alors pas possible à l'assureur de prévoir des limites de couverture en nature ou en montant selon les cas, ni d'exiger des conditions spéciales de conception, d'exécution, ou de surveillance du chantier (un ancien article (R.243-11) du code des assurances le prévoyait, mais il a été supprimé).
Le risque inhérent
Doit être évoqué aussi le risque « inhérent » ou «normalement prévisible ».
La question est ici de savoir si, dans la mesure où l'opération de construction générera un risque prévisible de dommages, le maître de l'ouvrage - notamment le professionnel de l'immobilier - doit en supporter les conséquences totalement ou en partie (voir au sujet de la question des sous-sols inondables : J. Musial, RGDA-2013.835) ? Elle est récurrente dans les troubles résultant d'opérations de construction et excédant les inconvénients normaux de voisinage, mais elle survient aussi en cas de dommages à des ouvrages existants (Pascal Dessuet, Travaux sur existants : la responsabilité RDI 2012 p. 128).
La notion d'acceptation des risques doit ici être confrontée au principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Mais, en jurisprudence de construction, savoir qu'un risque est inhérent n'est pas l'accepter : «vu le principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage, ensemble l'article 1382 du code civil ; [...] attendu que pour débouter la société Axa de ses demandes, l'arrêt retient que la société Socotec avait informé le maître de l'ouvrage qu'elle recommandait d'établir un constat de l'état apparent des existants par voie de référé préventif, que le BET avait signalé les risques de désordres aux étages du fait de la réalisation de grandes ouvertures et qu'il appartient au maître de l'ouvrage d'apprécier si son projet mérite la prise de risque inhérente à l'ouvrage envisagé dès lors qu'il en est informé, de prendre les dispositions qui lui sont recommandées, notamment par le contrôleur technique, et s'il y a lieu de prendre en considération les coûts liés aux risques propres à son projet ; Qu'en statuant ainsi, par des motifs qui ne suffisent pas à caractériser l'acceptation par le maître de l'ouvrage des risques de trouble de voisinage, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision » (3e civ., 21 novembre 2012, 11-25.200, inédit au bulletin ; M. Poumarède, RDI-2013.100).
Une précédente décision remarquée dite « Georges V » accordait un recours total au maître de l'ouvrage : «mais attendu qu'ayant relevé que l'Hôtel George V avait exécuté le jugement et payé les dédommagements accordés aux voisins par le Tribunal, et retenu qu'il n'était pas démontré par les contrats, les correspondances échangées et le rapport des experts que le maître de l'ouvrage ait été pleinement informé des risques de troubles au voisinage, ait entendu décharger les entreprises de leurs responsabilités, et ait prescrit dans ces conditions la poursuite du chantier, la cour d'appel en a déduit à bon droit, sans dénaturation, que du fait de la subrogation dont elle était bénéficiaire dans les droits des victimes, la société George V était fondée à obtenir la garantie totale des locateurs d'ouvrage auteurs du trouble, dont la responsabilité vis-à-vis du maître de l'ouvrage n'exigeait pas la caractérisation d'une faute » (3e civ., 22 juin 2005, 03-20.068, publié au bulletin, Action et réactions en matière de troubles anormaux de voisinage, Jean-Pierre Karila, D. 2006. 40 ; Recours en contribution entre coresponsables de troubles du voisinage, Patrice Jourdain, RTD civ. 2005. 788 ; Le maître de l'ouvrage qui a indemnisé les voisins victimes des troubles anormaux de voisinage est subrogé pour le tout contre les constructeurs, auteurs des nuisances, Elodie Gavin-Milllan-Oosterlynck, RDI 2005. 330 ; Vers un nouveau régime prétorien de la responsabilité des constructeurs pour troubles de voisinage, Philippe Malinvaud, RDI 2006. 251 ; H. Périnet-Marquet, « Remarques sur l'extension du champ d'application de la théorie des troubles de voisinage », RDI 2005. 161 ; 3e civ., 30 juin 1998, 96-13.039, publié au bulletin).
Cette appréciation n'est plus d'actualité, puisqu'il est maintenant jugé que l'acceptation des risques doit ressortir d'un choix délibéré du maître de l'ouvrage après des avertissements explicites des constructeurs (V. aussi : 3e civ., 25 mai 2005, 03-19.286, publié au bulletin, résumé : Le maître d'ouvrage ayant causé un trouble excédant les inconvénients normaux de voisinage et qui a été condamné à dédommager le voisin victime in solidum avec les constructeurs ne peut, dans ses rapports avec ces derniers, conserver à sa charge une part d'indemnisation que s'il est prouvé son immixtion fautive ou l'acceptation délibérée des risques).
Le risque inhérent n'implique donc pas en jurisprudence actuelle que le maître de l'opération de construction (y compris le promoteur professionnel) supporte - de facto - le risque lié à l'acte de construire en cas de dommages inéluctables.
On sait que les constructeurs peuvent être considérés comme des « voisins occasionnels » pouvant être attraits directement par les tiers victimes, sur le fondement du principe selon lequel nul ne doit causer à autrui un trouble anormal de voisinage. Mais, seuls les auteurs du trouble peuvent être mis en cause : « la victime de troubles excédant les inconvénients normaux du voisinage ne peut agir sur ce fondement contre l'entrepreneur qui, ayant sous traité les travaux à l'origine des troubles, n'est pas l'auteur de ces troubles" ( 3eciv., 21 mai 2008, 07-13.769, publié au bulletin, D. 2008. 1550, obs. S. Bigot de la Touanne ; D.2008.2458, obs. B. Mallet-Bricout et N. Reboul-Maupin ; D.2008. 2894, obs. P. Brun et P. Jourdain ; RDI 2008. 345, obs. P. Malinvaud ; RDI 2008.546, obs. E. Gavin-Millan-Oosterlynck ; RTD civ. 2008. 496, obs. P. Jourdain. V. aussi : 3e civ., 9 février 2011, 09-71.570, publié au bulletin ; RDI 2011 p. 227, Ph. Malinvaud ; Nadège Reboul-Maupin, Recueil Dalloz 2011 p. 2607 ; Philippe Malinvaud La responsabilité du maître de l'ouvrage à l'égard des voisins, RDI 2002 p. 492 ; v. aussi : Traité de la responsabilité des constructeurs, A. Caston, F-X Ajaccio, R. Porte, M. Tendeiro, Le Moniteur, 7é ed. 2013 p. 741 et s.).
En outre, il est maintenant établi que le maître de l'ouvrage bénéficie d'un recours complet à l'encontre des constructeurs auteurs du trouble (3e civ., 22 juin 2005, 03-20.068, publié au bulletin, et précédemment : Cass. 3e civ., 21 juillet 1999, publié au bulletin, 96-22.735; J.-M. Berly, Constr.-Urb., oct. 2001, chron. no 19).
Enfin, dans les rapports entre le locateur d'ouvrage - auteur du trouble anormal causé aux voisins - et les autres professionnels dont la responsabilité peut être recherchée, la charge finale de la condamnation formant contribution à la dette se répartit en fonction de la gravité des fautes respectives. L'entrepreneur principal ne peut donc exercer de recours subrogatoire contre les sous-traitants que pour la fraction de la dette dont il ne doit pas assumer la charge définitive (Civ. 3e, 26 avril 2006, no 05-10.100, publié au bulletin, RDI 2006. 251, Ph. Malinvaud ).
Ainsi le caractère inhérent du risque ne suffit plus à faire supporter par le maître du nouvel l'ouvrage les dommages causés au voisinage (3e civ., 6 mars 1991, 89-13.867, publié au bulletin ).
Mais, si une réforme du droit des obligations intervenait, le législateur pourrait suivre les propositions exprimées sous l'égide du Professeur Catala (http://www.justice.gouv.fr/art_pix/RAPPORTCATALASEPTEMBRE2005.pdf; v. Projet de loi relatif à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, Sénat, texte n°175 rectifié (2013-2014), http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl13-175.html) préconisant le maintien du régime prétorien des troubles anormaux de voisinage, avec modification de son domaine, car la responsabilité de l'entrepreneur pour les dommages causés aux voisins du maître de l'ouvrage relève d'une autre logique (projet d'art . 1361 : « Le propriétaire, le détenteur ou l'exploitant d'un fonds, qui provoque un trouble excédant les inconvénients normaux du voisinage, est de plein droit responsable des conséquences de ce trouble »; présentation : F-X Ajaccio, ce blog, 2 août 2010 ).
IV. Conclusion
Qu'il s'agisse de responsabilité de droit commun ou de la présomption de responsabilité de l'article 1792 du Code civil, faute, immixtion fautive, acceptation des risques, de nature à limiter l'indemnisation du maître de l'ouvrage, sont appréciées strictement par le juge du droit de la construction, qui impose des conditions sévères de preuve :
- comportement/acte fautif ayant contribué au dommage ;
- immixtion «fautive» et compétence notoire ;
- acceptation délibérée de risques en conscience des réserves explicites des constructeurs.
Sans se risquer à brosser le portrait idéal du maître de l'ouvrage ou des constructeurs, on peut déduire de cette analyse que l'équilibre, entre « rôles/devoirs » et « obligations/responsabilités » des différents acteurs, réside, finalement, dans « la clarté des rôles et des responsabilités de chacun » (Le rôle du maître de l'ouvrage, R. Danjou, T. Sceck, éditions AQC) dessein auquel tous devraient prétendre...
François-Xavier AJACCIO, Rémi PORTE et Albert CASTON
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