L'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties, le juge ne peut en modifier les termes

 

Cour de cassation - Chambre civile 1

  • N° de pourvoi : 19-14.133
  • ECLI:FR:CCASS:2023:C100487
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Cassation partielle

Audience publique du mercredi 12 juillet 2023

Décision attaquée : Cour d'appel de Reims, du 06 décembre 2018

Président

Mme Auroy (conseiller doyen faisant fonction de président)

Avocat(s)

SCP Jean-Philippe Caston, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 1

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 12 juillet 2023




Cassation partielle


Mme AUROY, conseiller doyen faisant fonction de président



Arrêt n° 487 F-D

Pourvoi n° E 19-14.133




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 12 JUILLET 2023

M. [S] [T], domicilié [Adresse 4], a formé le pourvoi n° E 19-14.133 contre l'arrêt rendu le 6 décembre 2018 par la cour d'appel de Reims (1re chambre civile, section 2), dans le litige l'opposant à Mme [W] [Y], domiciliée [Adresse 5], défenderesse à la cassation.

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, trois moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Dard, conseiller, les observations de la SCP Jean-Philippe Caston, avocat de M. [T], de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mme [Y], après débats en l'audience publique du 6 juin 2023 où étaient présents Mme Auroy, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Dard, conseiller rapporteur, Mme Antoine, conseiller, et Mme Layemar, greffier de chambre,

la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.
Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Reims, 06 décembre 2018), [B] [T] est décédé le 1er août 1998, en laissant pour lui succéder son épouse, [J] [C], et leurs deux enfants, [S] et [W].

2. Un jugement du 3 mars 2006 a ordonné l'ouverture des opérations de comptes, liquidation, partage de la succession, rejeté la demande de M. [S] [T] tendant à l'attribution préférentielle des biens indivis sur lesquels il dispose d'un droit de fermage et désigné un notaire pour procéder à la licitation des biens indivis.

3. Parallèlement, un arrêt du 15 mars 2006 a prononcé la résiliation du bail verbal consenti à M. [S] [T] pour défaut de paiement des fermages.

4. [J] [C] est décédée le 10 octobre 2014, en laissant pour lui succéder ses deux enfants.

5. Des difficultés étant survenues lors du règlement de cette succession, Mme [W] [Y] a assigné son frère en partage.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, en ce qu'il est dirigé contre la disposition de l'arrêt rejetant la demande de M. [O] [T] tendant à ce qu'il soit jugé qu'une somme de 18 393,17 euros lui est due à titre d'indemnité par la succession

Enoncé du moyen

6. M. [O] [T] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce qu'il soit jugé qu'une somme de 18 393,17 euros lui est due à titre d'indemnité par la succession, alors :

« 1°/ que tenus de motiver leurs décisions, les juges doivent examiner les éléments de preuve versés aux débats par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en déboutant M. [T] de ses demandes relatives aux fermages en ce qu'il ne justifiait pas avoir réglé les fermages ni exécuté les décisions rendues en leurs condamnations financières à payer ces fermages, sans examiner le décompte établi par la SCP Ranvoise-Vallerand, huissier de justice, dont il résultait que M. [T] avait exécuté le jugement rendu le 24 février 2004 par le tribunal paritaire des baux ruraux de Rethel et l'arrêt confirmatif rendu le 15 mars 2006 par la cour d'appel de Reims, de sorte qu'il avait bien réglé les fermages et exécuté les décisions rendues, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

2°/ que les juges ne sauraient méconnaître les termes du litige tels que fixés par les parties dans leurs écritures ; qu'au demeurant, en retenant de la sorte que M. [T] ne justifiait pas avoir réglé les fermages ni exécuté les décisions rendues en leurs condamnations financières à payer ces fermages, quand au surplus Mme [Y] reconnaissait elle-même que les fermages et indemnités d'occupation dus jusqu'en 2005 avaient pu être recouvrés en 2013, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

7. Après avoir relevé que M. [S] [T] sollicitait l'indemnisation de la somme de 18 393,17 euros au titre des fermages qu'il n'aurait pas dû totalement payer à sa mère, aux motifs que celle-ci ne serait propriétaire indivise que d'un tiers des parcelles louées, la cour d'appel a retenu, par motifs réputés adoptés, que dans l'hypothèse où des sommes auraient été effectivement perçues par [J] [C] à la suite des décisions de justice rendues à l'encontre de son fils, cela ne pourrait aucunement donner lieu à un remboursement à celui-ci, mais seulement à un rapport dans la succession de son père, de sorte que sa décision se trouve justifiée par ce seul motif.

8. Le moyen, qui critique des motifs surabondants, est donc inopérant.

Mais sur le troisième moyen, pris en sa seconde branche, en ce qu'il est dirigé contre la disposition de l'arrêt rejetant la demande de M. [O] [T] tendant à ce qu'il soit jugé que la succession de [J] [C] devra rapporter « à l'indivision successorale » le produit qu'elle a encaissé depuis le décès de [B] [T] s'agissant de l'entièreté des fermages produits par les immeubles successoraux

Enoncé du moyen

9. M. [O] [T] fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande tendant à ce qu'il soit jugé que la succession de [J] [C] devra rapporter « à l'indivision successorale » le produit qu'elle a encaissé depuis le décès de [B] [T] s'agissant de l'entièreté des fermages produits par les immeubles successoraux, alors « que les juges ne sauraient méconnaître les termes du litige tels que fixés par les parties dans leurs écritures ; qu'au demeurant, en retenant de la sorte que M. [T] ne justifiait pas avoir réglé les fermages ni exécuté les décisions rendues en leurs condamnations financières à payer ces fermages, quand au surplus Mme [Y] reconnaissait elle-même que les fermages et indemnités d'occupation dus jusqu'en 2005 avaient pu être recouvrés en 2013, la cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile. »


Réponse de la Cour

Vu l'article 4 du code de procédure civile :

10. Selon ce texte, l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties.

11. Pour rejeter la demande en rapport de fermages de M. [T], l'arrêt retient que celui-ci n'en a jamais réglé aucun et qu'il ne justifie pas davantage avoir, même en partie, exécuté les condamnations pécuniaires prononcées à son encontre par un arrêt de la cour d'appel de Reims du 15 mars 2006.

12. En statuant ainsi, alors que, dans ses conclusions d'appel, Mme [Y] admettait qu'en 2013, les fermages et indemnités d'occupation dus jusqu'en 2005, selon cet arrêt, avaient pu être recouvrés par voie d'huissier, la cour d'appel, qui a modifié les termes du litige, a violé le texte susvisé.

Et sur le premier moyen, pris en sa seconde branche

Enoncé du moyen

13. M. [T] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa demande d'attribution préférentielle, alors « que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet du jugement ; qu'il faut que la chose demandée soit la même, que la demande soit fondée sur la même cause, que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles et contre elles en la même qualité ; qu'en outre, en déclarant de la sorte irrecevable la demande d'attribution préférentielle formée par M. [T] dans le cadre de l'action engagée par Mme [Y] pour que soient ordonnées les opérations de compte, liquidation et partage de la succession d'[J] [C], en ce qu'elle se heurtait à l'autorité de la chose jugée attachée à un jugement rendu le 3 mars 2006 par le tribunal de grande instance de Charleville-Mézières qui avait écarté une demande d'attribution préférentielle, cette décision ayant été rendue entre les mêmes parties, soit M. [T] et sa soeur en leur qualité d'héritiers - Mme [J] [C] jointe à Mme [Y] -, et ayant le même objet, à savoir une demande d'attribution préférentielle sur les mêmes parcelles, quand dans l'instance ayant donné lieu à ce jugement, les parties avaient agi en qualité d'héritiers de leur père, tandis que dans l'autre, elles agissaient en qualité d'héritiers de leur mère, de sorte que ces qualités étant différentes, l'autorité de la chose jugée ne pouvait être opposée, la cour d'appel a violé l'article 1355 du code civil. »



Réponse de la Cour

Vu l'article 1351, devenu 1355, du code civil :

14. Aux termes de ce texte, l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui a fait l'objet d'un jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formées par elles et contre elles en la même qualité.

15. Pour déclarer irrecevable la demande d'attribution préférentielle de M. [T], l'arrêt retient que cette demande se heurte à l'autorité de chose jugée attachée au jugement du 3 mars 2006, rendu entre les mêmes parties, en leurs qualités d'héritières, et rejetant la demande de M. [T] ayant le même objet, l'attribution préférentielle des mêmes parcelles.

16. En statuant ainsi, alors que le jugement du 3 mars 2006 avait été rendu entre les parties en leur qualités d'héritières de [B] [T], tandis que la demande d'attribution préférentielle dont elle était saisie était formée par M. [T] contre Mme [Y], en leurs qualités d'héritiers de [J] [C], la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Portée et conséquences de la cassation

17. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation de la disposition de l'arrêt rejetant la demande de M. [O] [T] tendant à ce qu'il soit jugé que la succession de [J] [C] devra rapporter à l'indivision successorale le produit qu'elle a encaissé depuis le décès de [B] [T] s'agissant de l'entièreté des fermages produits par les immeubles successoraux entraîne la cassation du chef du dispositif qui dit que M. [O] [T] devra rembourser à la succession de [J] [C] la somme de 30 963,29 euros, au titre des fermages et indemnités d'occupation arrêtés à l'année 2005, outre intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2014, ainsi que celle de 1 500 euros, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

18. En application du même texte, la cassation du chef de dispositif de l'arrêt déclarant irrecevable la demande d'attribution préférentielle de M. [T] entraîne la cassation des chefs de dispositif rejetant sa demande tendant au partage en nature de la succession de [J] [C], ordonnant la licitation de divers biens et fixant les modalités de celle-ci, qui s'y rattachent par un lien de dépendance nécessaire.

19. La cassation partielle prononcée n'emporte pas celle des chefs de dispositif relatifs aux dépens et à l'application de l'article 700 du code de procédure civile, justifiés par d'autres dispositions de l'arrêt non remises en cause.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable la demande formée par M. [S] [T] au titre de l'attribution préférentielle, rejette sa demande de partage en nature des biens composant l'indivision entre Mme [Y] et lui-même, ordonne, sur les poursuites de la partie la plus diligente et en présence des autres parties, ou celles-ci dûment appelées, la licitation, par le notaire désigné, M. [N] [R], des biens ci-après mentionnés : Commune de [Localité 16] : parcelle de pré cadastrée section ZA n° [Cadastre 3] pour 4 ha 45 a et 40 ca, parcelle de pré cadastrée section ZB n° [Cadastre 10] pour 90 a et 50 ca, parcelle de pré cadastrée section ZI n° [Cadastre 2] pour 5 ha 21 a et 41 ca, l'ensemble constituant le lot n° 1 ; commune de [Localité 16] : parcelle de terre cadastrée section ZI n° [Cadastre 15] pour 1 ha 49 a et 71 ca, l'ensemble constituant le lot n° 2 ; commune de [Localité 16] : un corps de ferme cadastré section ZA n° [Cadastre 14] pour 10 a et 22 ca, l'ensemble constituant le lot n° 3 ; commune de [Localité 16] : parcelle de taillis cadastrée section A n° [Cadastre 6] pour 28 a et 65 ca, parcelle de taillis cadastrée section A n° [Cadastre 7] pour 83 a et 63 ca, parcelle de taillis cadastrée section A n° [Cadastre 8] pour 67 a et 50 ca, parcelle de taillis cadastrée section A n° [Cadastre 9] pour 2 ha 11 a et 83 ca, parcelle de taillis cadastrée section A n° [Cadastre 11] pour 48 a et 60 ca, l'ensemble constituant le lot n° 4 ; commune de [Localité 16] : parcelle de pré cadastrée section ZB n° [Cadastre 1] pour 5 ha 80 a et 30 ca, l'ensemble constituant le lot n° 5 ; commune de [Localité 17] : parcelle de pré cadastrée section ZA n° [Cadastre 12] pour 4 ha 99 a et 71 ca, l'ensemble constituant le lot n° 6 ; commune de [Localité 17] : parcelle de pré cadastrée section ZA n° [Cadastre 13] pour 1 ha 86 a et 48 ca, l'ensemble constituant le lot n° 7, fixe la mise à prix de ces biens comme suit : lot n° 1 : 60 000 euros ; lot n° 2 : 8 500 euros ; lot n° 3 : 75 000 euros ; lot n° 4 : 44 000 euros ; lot n° 5 : 34 000 euros ; lot n° 6 : 29 000 euros ; lot n° 7 : 11 000 euros, avec possibilité de baisse de mise à prix d'un quart puis d'un huitième à défaut d'enchères, dit qu'il sera procédé par la partie la plus diligente aux formalités de publicité prévues aux articles 63 à 69 du décret n° 2006-936 du 27 juillet 2006, rejette la demande de M. [T] tendant à ce qu'il soit dit que la succession de [J] [C] devra rapporter à l'indivision successorale le produit qu'elle a encaissé depuis le décès de [B] [T] s'agissant de l'entièreté des fermages produits par les immeubles successoraux et dit que M. [O] [T] devra rembourser à la succession de [J] [C] la somme de 30 963,29 euros, au titre des fermages et indemnités d'occupation arrêtés à l'année 2005, outre intérêts au taux légal à compter du 10 octobre 2014, ainsi que celle de 1 500 euros, l'arrêt rendu le 06 décembre 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Reims ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Reims autrement composée ;

Condamne Mme [Y] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze juillet deux mille vingt-trois.ECLI:FR:CCASS:2023:C100487

Publié par ALBERT CASTON à 11:34  

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