La Cour de cassation suggère l'harmonisation des causes d’interruption et de suspension des délais de forclusion et de prescription

 III. PROPOSITIONS DE RÉFORME EN MATIÈRE CIVILE POUR LA TROISIÈME CHAMBRE CIVILE

 A. Suivi des suggestions de réforme 

Droit de la construction 

Harmonisation des causes d’interruption et de suspension des délais de forclusion et de prescription

 Sauf cause étrangère, tout constructeur d’un ouvrage est présumé responsable, pendant dix ans après la réception envers le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur de l’ouvrage, des dommages : 

– même résultant d’un vice du sol qui compromettent la solidité de l’ouvrage ou qui, l’affectant dans l’un de ses éléments constitutifs ou l’un de ses éléments d’équipement, le rendent impropre à sa destination ; 

– qui affectent la solidité des éléments d’équipement d’un ouvrage, mais seulement lorsque ceux-ci font indissociablement corps avec les ouvrages de viabilité, de fondation, d’ossature, de clos ou de couvert.

 Les autres éléments d’équipement de l’ouvrage font l’objet d’une garantie de bon fonctionnement d’une durée minimale de deux ans à compter de sa réception. 

Le fabricant d’un EPERS (élément pouvant entraîner la responsabilité solidaire) est solidairement responsable des obligations mises par les articles 1792, 1792-2 et 1792-3 à la charge du locateur d’ouvrage lorsque les conditions d’application de l’article 1792-4 du code civil sont réunies.

L’entrepreneur est tenu de la garantie de parfait achèvement pendant un délai d’un an à compter de la réception.

Par ailleurs, subsiste la responsabilité de droit commun des constructeurs, pendant dix ans à compter de la réception de l’ouvrage, pour les dommages ne relevant d’aucune garantie légale.

Enfin, le maître d’un ouvrage réceptionné ou son acquéreur disposent d’une action en responsabilité pendant dix ans à compter de la réception contre le sous-traitant en raison des dommages mentionnés aux articles 1792 et 1792-2 du code civil et pendant deux ans pour les éléments d’équipement de l’article 1792-3. 

Parce qu’il revêt un caractère de mise à l’épreuve de l’ouvrage, la Cour de cassation a jugé qu’après réception, le délai dont dispose le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur de l’ouvrage pour agir en responsabilité ou garantie est un délai de forclusion et non un délai de prescription. Cette règle a, notamment, été énoncée par les arrêts suivants : 

– 3e Civ., 15 février 1989, pourvoi no 87-17.322, Bull. 1989, III, no 36, et pour un arrêt récent, 3e Civ., 12 novembre 2020, pourvoi no 19-22.376, publié au Bulletin, s’agissant de la responsabilité décennale ;

– 3e Civ., 4 novembre 2004, pourvoi no 03-12.481, Bull. 2004, III, no 186, s’agissant de la garantie biennale ; 

– 3e Civ., 10 juin 2021, pourvoi no 20-16.837, publié au Bulletin et au Rapport annuel, s’agissant des actions en responsabilité de droit commun. 

Cette construction jurisprudentielle d’harmonisation des règles régissant les délais pour agir a été élaborée depuis des décennies dans un objectif de simplification et de sécurité juridique. 

Cependant, depuis l’entrée en vigueur de la réforme de 2008 sur la prescription, la qualification de délai de forclusion a des incidences majeures concernant les causes de suspension et d’interruption. 

En effet, l’article 2220 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi no 2008-561 du 17 juin 2008, prévoit que les délais de forclusion ne sont pas, sauf dispositions contraires prévues par la loi, régis par le titre du code consacré à la prescription extinctive. 

Or, l’article 2239 du même code, qui dispose que la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d’instruction présentée avant tout procès, et l’article 2240, qui prévoit que la reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription, ne visent que les délais de prescription et ignorent les délais de forclusion. 

Raison pour laquelle la Cour de cassation refuse d’appliquer au délai de forclusion de l’action en garantie décennale l’effet suspensif du référé-expertise prévu par l’article 2239 du code civil (63). 

La Cour de cassation a, de même, par application des textes issus de la loi du 17 juin 2008 précitée, jugé qu’une reconnaissance de responsabilité n’interrompait pas le délai décennal de l’action du maître de l’ouvrage en responsabilité contractuelle de droit commun pour des dommages intermédiaires (64).

Il est regrettable que le cours du délai de forclusion ne puisse être suspendu ou interrompu par les causes prévues par les articles 2239 et 2240 du code civil.

(63. 3e Civ., 19 septembre 2019, pourvoi no 18-15.833).

(64. 3e Civ., 10 juin 2021, pourvoi no 20-16.837, publié au Bulletin et au Rapport annuel.) 

En effet, s’agissant du premier de ces textes, le contentieux du droit de la construction est un des domaines privilégiés du référé-expertise. Dans nombre de procès, la complexité technique des opérations d’expertise est amplifiée par la multiplication des intervenants, ce qui explique que, fréquemment, les rapports d’expertise sont déposés des années après la désignation de l’expert. 

Le temps de l’expertise doit être une parenthèse procédurale. Admettre l’application de l’effet suspensif de l’article 2239 du code civil aux actions engagées, après réception, par les maîtres de l’ouvrage ou les acquéreurs, permettrait, notamment pour les brefs délais, d’éviter des actions au fond prématurées voire inadaptées faute de connaissance des conclusions du rapport d’expertise. 

De même, s’agissant de l’article 2240 du code civil, le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur doit pouvoir bénéficier de l’effet interruptif d’une reconnaissance de responsabilité d’un constructeur après réception. Il n’est pas rare, en effet, qu’en fin de délai d’épreuve, le constructeur s’engage à réparer des désordres dont il se reconnaît responsable. Il est logique, dans un tel contexte, que le maître de l’ouvrage ou l’acquéreur reporte l’éventualité d’un procès. D’ailleurs, avant l’entrée en vigueur de la loi susvisée, la distinction des effets respectifs de la prescription et de la forclusion étant moins catégorique, la Cour de cassation décidait qu’une reconnaissance non équivoque de responsabilité était interruptive du délai pour agir en responsabilité décennale (65). 

En conclusion, il est proposé d’insérer, après l’article 1792-7 du code civil, un article 1792-8 ainsi rédigé : 

« Article 1792-8. – Les causes de suspension et d’interruption de la prescription respectivement prévues aux articles 2239 et 2240 s’appliquent aux délais de forclusion prévus aux articles 1792-3, 1792-4-1 à 1792-4-3 et 1792-6. » 

Cette suggestion proposée au Rapport annuel 2021 n’ayant pas été suivie d’effet, il convient de la maintenir. 

La DACS est, en première analyse, favorable à cette proposition. 

D’une part, s’agissant de l’application de l’article 2239 du code civil au délai de forclusion, les mesures d’instruction, et en particulier les référés-expertise, sont habituelles en droit de la construction. La durée de ces mesures, conjuguée à l’absence actuelle d’effet suspensif, conduit, en pratique, certains auxiliaires de justice à délivrer des assignations préventives au fond afin d’interrompre le délai de forclusion. Or il résulte de cette pratique au moins deux écueils : d’une part, des actions inadaptées car diligentées faute de connaissance du rapport d’expertise et, d’autre part, un encombrement des tribunaux, particulièrement des audiences de mise en état. La solution préconisée par la Cour de cassation permettrait d’y remédier. 

D’autre part, faire application de la cause d’interruption, prévue à l’article 2240 du code civil et liée à la reconnaissance de responsabilité d’un constructeur après réception, au délai de forclusion permettrait de rationaliser les actions tout en préservant les droits du maître de l’ouvrage. 

(65. Par exemple, 3e Civ., 18 mars 1980, pourvoi no 78-15.749, Bull. 1980, III, no 62.)

Publié par ALBERT CASTON à 17:27  

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