A la qualité de sous-traitant celui qui exécute, au moyen d'un contrat d'entreprise, tout ou partie d'un contrat d'entreprise conclu entre le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur principal - Conséquences

 

Cour de cassation - Chambre civile 3

  • N° de pourvoi : 22-20.995, 22-22.224, 22-22.302
  • ECLI:FR:CCASS:2024:C300024
  • Publié au bulletin
  • Solution : Cassation partielle

Audience publique du jeudi 18 janvier 2024

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, du 06 juillet 2022

Président

Mme Teiller

Avocat(s)

SCP Duhamel, SCP Krivine et Viaud, SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, SCP Piwnica et Molinié

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL


COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 18 janvier 2024




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 24 FS-B


Pourvois n°
A 22-20.995
M 22-22.224
W 22-22.302 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 18 JANVIER 2024


I- 1°/ La société Expansiel promotion, société coopérative d'intérêt collectif à forme anonyme à capital variable,

2°/ la société Valophis la Chaumière de l'Ile de France, société coopérative d'intérêt collectif à forme anonyme à capital variable,

toutes deux ayant leur siège [Adresse 8],

ont formé le pourvoi n° A 22-20.995 contre un arrêt rendu le 6 juillet 2022 par la cour d'appel de Paris (pole 4 - chambre 5), dans le litige les opposant :

1°/ à la société Agrégats du Centre Recycling, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ à Mme [H] [Z], domiciliée [Adresse 1], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Nossol,

3°/ à la société [Localité 11] Saint Roch, société civile de construction vente, dont le siège est [Adresse 6],

4°/ à la Société de développement, d'équipement et de services (Sodes), société anonyme, dont le siège est [Adresse 7],

5°/ à la société Rabot Dutilleul construction, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2],

6°/ à la société GDO, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 3],

défenderesses à la cassation.

II- 1°/ La société [Localité 11] Saint Roch, société civile de construction vente,

2°/ la société Rabot Dutilleul construction, société par actions simplifiée,

ont formé le pourvoi n° M 22-22.224 contre le même arrêt, dans le litige les opposant :

1°/ à la société Agrégats du Centre Recycling, société à responsabilité limitée,

2°/ à Mme [H] [Z], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Nossol,

3°/ à la société Expansiel promotion, société coopérative d'intérêt collectif à forme anonyme à capital variable,

4°/ à la société Valophis la Chaumière de l'Ile de France, société coopérative d'intérêt collectif à forme anonyme à capital variable,

5°/ à la Société de développement, d'équipement et de services (Sodes), société anonyme,

6°/ à la société GDO, société à responsabilité limitée,

défenderesses à la cassation.

III- La Société de développement, d'équipement et de services (Sodes), société anonyme, a formé le pourvoi n° W 22-22.302 contre le même arrêt, dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Agrégats du Centre Recycling, société à responsabilité limitée,

2°/ à la société Expansiel promotion, société coopérative d'intérêt collectif à forme anonyme à capital variable,

3°/ à la société Valophis la Chaumière de l'Ile de France, société coopérative d'intérêt collectif à forme anonyme à capital variable,

4°/ à la société [Localité 11] Saint Roch, société civile de construction vente,

5°/ à la société Rabot Dutilleul construction, société par actions simplifiée,

6°/ à la société GDO, société à responsabilité limitée,

7°/ à Mme [H] [Z], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Nossol,

8°/ à la société Bienfaisance, société civile de construction vente, dont le siège est [Adresse 5],

défenderesses à la cassation.

Dans le pourvoi n° A 22-20.995, la société Agrégats du Centre Recycling a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Les demanderesses au pourvoi principal invoquent, à l'appui de leur recours, deux moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Les demanderesses au pourvoi n° M 22-22.224 invoquent, à l'appui de leur recours, quatre moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi n° W 22-22.302 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Zedda, conseiller référendaire, les observations de la SCP Duhamel, avocat des sociétés Expansiel promotion et Valophis la Chaumière de l'Ile de France, de la SCP Krivine et Viaud, avocat de la Société de développement, d'équipement et de services, de la SARL Matuchansky, Poupot, Valdelièvre et Rameix, avocat des sociétés [Localité 11] Saint Roch et Rabot Dutilleul construction, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la société Agrégats du Centre Recycling, et l'avis de M. Burgaud, avocat général référendaire, après débats en l'audience publique du 28 novembre 2023 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Zedda, conseiller référendaire rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, M. Boyer, Mme Abgrall, conseillers, Mmes Djikpa, Brun, Vernimmen, Rat, conseillers référendaires, M. Burgaud, avocat général référendaire, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° A 22-20.995, M 22-22.224 et W 22-22.302 sont joints.

Désistement partiel

2. Il est donné acte à la société Expansiel promotion et à la société Valophis la Chaumière de l'Ile-de-France (la société Valophis) du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [Z], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Nossol, et contre la société GDO.

3. Il est donné acte à la Société de développement, d'équipement et de services (la société Sodes) du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [Z], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Nossol, et contre les sociétés GDO et Bienfaisance.

4. Il est donné acte aux sociétés [Localité 11] Saint Roch et Rabot Dutilleul construction du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre Mme [Z], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Nossol.

Faits et procédure

5. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 6 juillet 2022), la société Nossol est intervenue comme sous-traitante pour des travaux de démolition et terrassement de quatre chantiers :

- à [Localité 9], à la demande de la société Rabot Dutilleul construction, entreprise générale, pour les besoins de la société Expansiel promotion, maître de l'ouvrage ;
- à [Localité 11], à la demande de la société GDO, chargée du lot gros oeuvre et terrassement par la société [Localité 11] Saint Roch, maître de l'ouvrage ;
- à [Localité 12], à la demande de la société GDO, chargée du lot gros oeuvre terrassement par la société Bienfaisance, maître de l'ouvrage ;
- à [Localité 10], à la demande de la société Rabot Dutilleul construction, entreprise générale, pour les besoins des sociétés Sodes et Valophis, maîtres de l'ouvrage.

6. La société Nossol a fait appel à la société Agrégats du Centre Recycling (la société ACR) pour des prestations d'enlèvement, transport et traitement des terres extraites des quatre sites. Ces prestations ont été exécutées entre avril et août 2017.

7. La société Nossol a été mise en liquidation judiciaire le 12 mars 2018, Mme [Z] étant désignée comme liquidateur.

8. Leur reprochant de ne pas avoir mis en demeure la société Nossol de satisfaire aux obligations de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance, la société ACR a assigné les sociétés Expansiel promotion, [Localité 11] Saint Roch, Bienfaisance, Sodes et Valophis en indemnisation de ses préjudices. Les sociétés GDO et Rabot Dutilleul construction ainsi que Mme [Z], prise en sa qualité de liquidateur judiciaire de la société Nossol, ont été appelées à la cause.

Examen des moyens

Sur le premier moyen, pris en ses première et deuxième branches, du pourvoi n° A 22-20.995 des sociétés Expansiel promotion et Valophis, sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième, quatrième, cinquième et sixième branches, et le second moyen du pourvoi n° W 22-22.302 de la société Sodes et sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, le deuxième moyen, pris en sa première branche, et le troisième moyen, pris en sa première branche du pourvoi n° M 22-22.224 des sociétés [Localité 11] Saint Roch et Rabot Dutilleul construction

9. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° A 22-20.995 des sociétés Expansiel promotion et Valophis, sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, du pourvoi n° W 22-22.302 de la société Sodes et sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, du pourvoi n° M 22-22.224 des sociétés [Localité 11] Saint Roch et Rabot Dutilleul construction, réunis

Enoncé des moyens

10. Par leur moyen, les sociétés Expansiel promotion et Valophis font grief à l'arrêt de condamner la société Expansiel promotion à verser à la société ACR la somme de 99 052,80 euros à titre de dommages et intérêts, de condamner la société Valophis, avec la société Sodes, à verser à la société ACR la somme de 91 347,43 euros à titre de dommages et intérêts, et de condamner les sociétés Expansiel promotion et Valophis, in solidum avec les sociétés [Localité 11] Saint Roch et Sodes, à verser à la société ACR la somme de 30 000 euros en réparation du préjudice économique, alors « que ne peut être considéré comme sous-traitant l'entrepreneur ne participant pas directement par apport de conception, d'industrie ou de matière à l'acte de construire, objet du contrat principal ; que les prestations de transport et de traitement des déchets d'un chantier de construction ne participent pas directement à l'acte de construire d'un ouvrage immobilier, de sorte que celui qui les exécute ne peut se prévaloir de la qualité de sous-traitant à l'égard du maître de l'ouvrage ; qu'en jugeant toutefois que la société ACR pouvait se prévaloir de la qualité de sous-traitant, tant à l'égard des sociétés Expansiel construction et Valophis, après avoir relevé qu'elle avait uniquement été chargée par la société Nossol de procéder à l'évacuation et à la gestion des terres excavées du chantier, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance. »

11. Par son moyen, la société Sodes fait grief à l'arrêt de la condamner à verser à la société ACR une somme de 91 347,43 euros à titre de dommages et intérêts et une somme de 30 000 euros au titre de la réparation du préjudice économique, alors « que la qualification de sous-traitance suppose la participation directe à l'acte de construire, objet du contrat principal ; que la prestation d'évacuation et de traitement de déchets de construction ne participe pas en soi à l'acte de construire ; qu'en l'espèce, en retenant la qualification de sous-traitance relativement aux prestations de la société ACR, qui étaient limitées à l'évacuation et au traitement des déchets du chantier, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975. »

12. Par leur moyen, les sociétés [Localité 11] Saint Roch et Rabot Dutilleul construction font grief à l'arrêt, retenant la qualité de sous-traitant de la société ACR, de condamner la société Expansiel promotion, d'une part, et les sociétés Valophis et Sodes, d'autre part, à lui verser les sommes respectives de 99 052,80 euros et de 91 347,43 euros à titre de dommages et intérêts, de condamner la société [Localité 11] Saint Roch, sur le même fondement, à payer la somme de 50 451,44 euros à la société ACR, de condamner sur le même fondement les sociétés Expansiel promotion et Valophis, in solidum avec les sociétés Sodes et [Localité 11] Saint Roch, à verser la somme de 30 000 euros à la société ACR, en réparation du préjudice économique, et de condamner la société Rabot Dutilleul construction à relever et garantir les sociétés Valophis et Sodes de l'ensemble de ces condamnations, en principal, frais et accessoires, alors :

« 1°/ que la sous-traitance est l'opération par laquelle un entrepreneur confie à un sous-traitant l'exécution de tout ou partie d'un contrat d'entreprise ou d'une partie d'un marché public conclu avec le maître de l'ouvrage, ce qui implique que le contrat conclu avec le sous-traitant allégué ait pour objet direct et exclusif l'exécution du contrat conclu entre l'entrepreneur et le maître de l'ouvrage ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a jugé que « l'évacuation et le traitement des déchets excavés fait partie intégrante des opérations de démolition et de terrassement » et que la société Agrégats du Centre Recycling, ayant à ce titre « exécuté une partie des opérations de démolition du sous-traitant de premier rang, la société Nossol » était « éligibl[e] à la qualification de sous-traitance » ; qu'en statuant ainsi, tandis les missions consistant à évacuer, transporter et traiter les terres excavées du chantier par un tiers, ne participent tout au plus que de manière très indirecte à l'exécution de travaux de terrassement, de désamiantage ou de démolition, ce qui excluait la qualité de sous-traitante de la société Agrégats du Centre Recycling, la cour d'appel a violé l'article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;

2°/ que, en tout état de cause, la qualité de sous-traitant ne peut être reconnue qu'aux prestataires fournissant un travail spécifique destiné à répondre aux besoins particuliers du maître de l'ouvrage, ce qui ne peut être déduit de la seule technicité des prestations délivrées ; qu'en l'espèce, les missions exécutées par la société Agrégats du Centre Recycling, consistant à évacuer, transporter et traiter des déchets excavés par un tiers sur les chantiers, s'imposaient aux sociétés Expansiel promotion, Valophis et Sodes comme à tout autre maître de l'ouvrage dans la même situation, en vertu de dispositions législatives et réglementaires applicables ; qu'il en résultait que ces prestations, même d'une particulière technicité, n'étaient pas assimilables à un travail spécifique destiné à répondre aux besoins particuliers des maîtres de l'ouvrage ; que cependant, pour juger le contraire, la cour d'appel a affirmé que la société Agrégats du Centre Recycling justifiait avoir « mis en oeuvre des compétences techniques et logistiques complexes pour réaliser les prestations spécifiques de récupération et transport des terres excavées par camions (?) » ; qu'en se fondant ainsi sur le haut degré de technicité des prestations litigieuses, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser l'existence d'un travail spécifique fourni par la société Agrégats du Centre Recycling, destiné à répondre aux besoins particuliers des maîtres de l'ouvrage et spécialement adapté pour les chantiers considérés, violant ainsi les articles 1er, 3 et 14-1 de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 ;

4°/ que, subsidiairement, des prestations d'évacuation, de transport et de traitement des déchets d'un chantier de construction ne constituent pas des travaux de bâtiment ou des travaux publics qui seuls peuvent donner lieu à l'obligation du maître de l'ouvrage de mettre l'entrepreneur principal en demeure de faire agréer les sous-traitants présents sur le chantier ; qu'en l'espèce, les prestations fournies par la société Agrégats du Centre Recycling se limitaient au transport, à l'évacuation et au traitement de déchets qu'elle n'extrayait pas elle-même du chantier ; qu'en jugeant cependant que ces prestations étaient assimilables à des « travaux de bâtiment » aux motifs qu'elles se rattachaient à des travaux de terrassement incluant « par nature les opérations d'évacuation et de traitement des terres excavées en raison de ces travaux », la cour d'appel a violé, par fausse application, l'article 14-1 de la loi du 31 décembre 1975. »

Réponse de la Cour

13. Il résulte de l'article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 qu'a la qualité de sous-traitant celui qui exécute, au moyen d'un contrat d'entreprise, tout ou partie d'un contrat d'entreprise conclu entre le maître de l'ouvrage et l'entrepreneur principal.

14. La cour d'appel a constaté que la société Nossol était chargée de travaux de démolition et terrassement et que ces travaux comprenaient le déblai, consistant à enlever des terres pour abaisser le niveau du sol, le chargement des déblais sur les véhicules de transport, le transport pour la mise en remblai ainsi que l'évacuation des terres excédentaires.

15. Elle a ensuite relevé que la société Nossol avait confié à la société ACR une partie des tâches lui incombant, consistant en l'évacuation, le transport et le traitement des terres qu'elle avait excavées sur les différents sites.

16. Elle a retenu que la société ACR avait mis en oeuvre des compétences techniques et logistiques complexes pour réaliser les prestations qui lui avaient été dévolues, de sorte que son intervention ne pouvait être réduite à la fourniture de bennes ou à l'évacuation en déchetterie.

17. Elle a pu en déduire que cette société avait la qualité de sous-traitant de la société Nossol.

18. Les moyens ne sont donc pas fondés.

Sur le moyen du pourvoi incident n° A 22-20.995 de la société ACR

Enoncé du moyen

19. La société ACR fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes de versement d'un complément de prix dirigées contre les sociétés Expansiel promotion, [Localité 11] Saint Roch, Valophis et Sodes, alors :

« 1°/ que lorsque le sous-traitant n'a pas bénéficié d'une délégation de paiement ou d'une caution, le sous-traité est nul, en sorte que le préjudice qu'il peut revendiquer, en raison de la faute délictuelle commise par le maître de l'ouvrage qui n'a pas exigé de l'entrepreneur principal qu'il fournisse une caution, doit être apprécié en dehors de toute référence aux stipulations contractuelles et en seule considération du « juste coût des travaux » ; qu'en l'espèce, la société ADCR invoquait la nullité du contrat de sous -traité et la faute des maître d'ouvrages qui n'avaient pas pris soin de veiller à l'obtention d'une caution bancaire et sollicitait à ce titre la condamnation des maîtres d'ouvrage à lui payer, à titre de dommages et intérêts, une somme correspondant au coût réel des travaux qu'elle avait réalisés et excédant le coût contractuellement convenu et issu des factures non réglées ; qu'examinant cette demande, la cour d'appel a constaté que le maître d'ouvrage qui n'a pas mis l'entrepreneur principal en demeure de fournir la caution peut être condamné à des dommages et intérêts équivalents au coût des travaux exécutés même au-delà du prix contractuellement convenu entre les parties, aucune partie du préjudice subi par le sous-traitant ne pouvant être laissée à sa charge pour avoir négligé de réclamer la fourniture du cautionnement ou de la délégation de paiement ; qu'en retenant cependant, pour débouter la société ADCR de cette demande, que les prix invoqués n'ont pas été retenus contractuellement lors de la passation des marchés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1240 du code civil ;

2°/ subsidiairement qu'en retenant, pour débouter la société ADCR de cette demande, qu'elle ne justifiait pas des compléments au titre du coût réel après avoir cependant constaté que le coût réel de 13 euros HT la tonne au lieu de 11 euros HT était confirmé par la grille tarifaire envoyée à la société Nossol dans le mail du 19 avril 2017 et l'attestation établie par le cabinet d'expertise-comptable Cogep, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1240 du code civil. »

Réponse de la Cour

20. Le manquement du maître de l'ouvrage qui, ayant eu connaissance de l'existence d'un sous-traitant sur un chantier, s'est abstenu de mettre en demeure l'entrepreneur principal de s'acquitter des obligations qui lui incombent en lui présentant le sous-traitant, fait perdre à celui-ci le bénéfice de l'action directe. Il en résulte que le préjudice du sous-traitant s'apprécie au regard de ce que le maître de l'ouvrage restait devoir à l'entrepreneur principal à la date à laquelle il a eu connaissance de la présence de celui-ci sur le chantier.

21. Par ailleurs, le sous-traitant dont le contrat n'est pas annulé ne peut prétendre, pour l'indemnisation du coût de ses travaux, à d'autres sommes que celles prévues par le sous-traité.

22. En l'espèce, la cour d'appel n'ayant ni constaté ni prononcé l'annulation des sous-traités, la société ACR ne pouvait être indemnisée du prix de ses travaux pour un montant supérieur au prix convenu avec la société Nossol.

23. Par ce motif de pur droit, substitué à ceux critiqués, dans les conditions prévues par les articles 620, alinéa 1er, et 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve légalement justifié.

Mais sur le second moyen du pourvoi n° A 22-20.995 des sociétés Expansiel promotion et Valophis

Enoncé du moyen

24. La société Expansiel promotion fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable le recours en garantie qu'elle a formé à l'encontre de la société Rabot Dutilleul construction, alors « que l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 du code de procédure civile pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué ; qu'en l'espèce, la société Agrégats du Centre Recycling (ACR) a, par acte du 11 décembre 2019, interjeté appel jugement du 29 janvier 2019 rendu par le tribunal de commerce de Paris, puis remis et notifié ses conclusions d'appel dans le délai de trois mois imparti ; que la société Expansiel Promotion sollicitait dans ses conclusions d'intimée et d'appel incident n° 1, signifiées le 8 juin 2020, avant l'expiration du délai de trois mois imparti, que la société Rabot Dutilleul construction soit condamnée, en sa qualité d'entreprise générale tenue de répondre de son sous-traitant, à la garantir de l'ensemble de ses condamnations ; qu'en relevant toutefois de manière erronée que cette demande avait été présentée pour la première fois par la société Expansiel Promotion dans ses conclusions d'intimée et d'appel incident n° 2, notifiées le 25 février 2022, pour en déduire que l'appel en garantie à l'encontre de la société Rabot Dutilleul construction était irrecevable, faute d'avoir été présenté dans un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions d'appelant de la société ACR, la cour d'appel a violé l'article 909 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 909 du code de procédure civile :

25. Aux termes de ce texte, l'intimé dispose, à peine d'irrecevabilité relevée d'office, d'un délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de l'appelant prévues à l'article 908 pour remettre ses conclusions au greffe et former, le cas échéant, appel incident ou appel provoqué.

26. Pour déclarer irrecevable la demande de garantie de la société Expansiel promotion dirigée contre la société Rabot Dutilleul construction, l'arrêt retient que cette demande a été formée pour la première fois par conclusions notifiées le 25 février 2022 et qu'aucune demande n'avait été formée dans le délai de trois mois à compter de la notification des conclusions de la société ACR, appelante.

27. En statuant ainsi, alors qu'il ressort des productions que, le 8 juin 2020, soit dans le délai de trois mois suivant la notification, le 6 mars 2020, des conclusions de l'appelante, la société Expansiel promotion avait notifié des conclusions comprenant une demande de garantie contre la société Rabot Dutilleul construction, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

Et sur le quatrième moyen, pris en sa première branche, du pourvoi n° M 22-22.224 des sociétés [Localité 11] Saint Roch et Rabot Dutilleul construction

Enoncé du moyen

28. La société Rabot Dutilleul construction fait grief à l'arrêt de la condamner à relever et garantir les sociétés Valophis et Sodes de leurs condamnations, en principal, frais et accessoires, à payer les sommes de 91 347,43 euros et de 30 000 euros à la société ACR, alors « que si l'entrepreneur principal est responsable à l'égard du maître de l'ouvrage des fautes de ses sous-traitants à l'origine des désordres, il n'est pas tenu de répondre de la faute prétendument commise par le sous-traitant de premier rang en omettant de déclarer un sous-traitant occulte, lorsque celui-ci n'a causé aucun désordre ; qu'en l'espèce, la société Agrégats du Centre Recycling, sous-traitant non déclaré de la société Nossol, elle-même sous-traitante de premier rang de la société Rabot Dutilleul construction, n'a causé aucun désordre en réalisant des prestations d'évacuation, de transport et de traitement des déchets extraits du chantier par un tiers, et la société Nossol n'a pas davantage causé de désordres en exécutant ses prestations ; qu'en condamnant cependant la société Rabot Dutilleul construction, entrepreneur principal, à relever et garantir les sociétés Valophis et Sodes de leurs condamnations en principal, frais et accessoires, à payer les sommes de 91 347,43 euros et de 30 000 euros à la société Agrégats du Centre Recycling, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, devenu l'article 1231-1 du même code. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, et l'article 1er de la loi n° 75-1334 du 31 décembre 1975 :

29. Selon le second de ces textes, l'entrepreneur qui confie à un autre l'exécution de tout ou partie du contrat d'entreprise le fait sous sa responsabilité.

30. Aux termes du premier, le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part.

31. Il en résulte que, si l'entrepreneur est responsable, à l'égard du maître de l'ouvrage, des manquements de son sous-traitant commis dans l'exécution des prestations sous-traitées, sans qu'il soit besoin de démontrer sa propre faute, il n'a pas à répondre, sauf stipulation contraire, des manquements de ce sous-traitant à l'égard de ses propres sous-traitants.

32. Pour condamner la société Rabot Dutilleul construction à garantir les sociétés Valophis et Sodes des condamnations mises à leur charge sur le fondement de l'article 14-1 de la loi précitée, l'arrêt retient que l'entreprise générale doit répondre de ses fournisseurs et sous-traitants, qu'elle est gardienne du chantier et, à ce titre, détentrice des terres à évacuer, conformément aux articles L. 541-1-1 et L. 541-2 du code de l'environnement et aux stipulations du marché et, enfin, que la preuve est rapportée de paiements libératoires des maîtres de l'ouvrage au profit de la société Rabot Dutilleul construction.

33. En se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une faute de l'entreprise générale dans l'exécution de ses obligations contractuelles ou un manquement de sa sous-traitante dans l'exécution des prestations sous-traitées, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.

Portée et conséquences de la cassation

34. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

35. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

36. La demande de garantie de la société Expansiel promotion dirigée contre la société Rabot Dutilleul construction est recevable pour avoir été formée dans le délai prévu à l'article 909 du code de procédure civile.

37. La cour d'appel de renvoi devra statuer sur le bien fondé des demandes de garantie formées tant par la société Expansiel promotion que par les sociétés Valophis et Sodes contre la société Rabot Dutilleul construction.

Mise hors de cause

38. En application de l'article 625 du code de procédure civile, il y a lieu de mettre hors de cause la société ACR, dont la présence n'est pas nécessaire devant la cour de renvoi.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare irrecevable le recours en garantie formé par la société Expansiel promotion à l'encontre de la société Rabot Dutilleul construction, en ce qu'il condamne la société Rabot Dutilleul construction à relever et garantir les sociétés Valophis la Chaumière de l'Ile-de-France et Sodes de l'ensemble des condamnations prononcées à leur encontre en principal, frais et accessoires et en ce qu'il statue sur les dépens et l'application de l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 6 juillet 2022, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

Met hors de cause la société Agrégats du Centre Recycling ;

Dit n'y avoir lieu à renvoi du chef de l'irrecevabilité de la demande de garantie de la société Expansiel promotion dirigée contre la société Rabot Dutilleul construction ;

Déclare recevable la demande de garantie formée par la société Expansiel promotion contre la société Rabot Dutilleul construction ;

Remet, sur les autres points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;

Condamne la société Rabot Dutilleul construction aux dépens du pourvoi n° A 22-20.995 ;

Condamne la Société de développement d'équipement et de services aux dépens du pourvoi n° W 22-22.302 ;

Condamne la Société de développement d'équipement et de services et la société Valophis la Chaumière de l'Ile de France aux dépens du pourvoi n° M 22-22.224 ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300024

Analyse

  •  Titrages et résumés

Publié par ALBERT CASTON à 11:04  

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