Troubles de voisinage - "pré-occupation" - respect des dispositions législatives ou réglementaires

 

Cour de cassation - Chambre civile 3

  • N° de pourvoi : 19-19.444
  • ECLI:FR:CCASS:2024:C300252
  • Non publié au bulletin
  • Solution : Rejet

Audience publique du jeudi 23 mai 2024

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix en Provence, du 16 mai 2019

Président

Mme Teiller (président)

Avocat(s)

SCP Piwnica et Molinié, SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet

Texte intégral

RÉPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
 

LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

CIV. 3

JL



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 23 mai 2024




Rejet


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 252 F-D

Pourvoi n° C 19-19.444




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 23 MAI 2024

1°/ Mme [I] [K], épouse [F], domiciliée [Adresse 2],

2°/ Mme [H] [F], épouse [G], domiciliée [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° C 19-19.444 contre l'arrêt rendu le 16 mai 2019 par la cour d'appel d'Aix-en-Provence (chambre 1-5), dans le litige les opposant :

1°/ à la société La Bougie, société en nom collectif,

2°/ à la société Roval, société en nom collectif,

toutes deux ayant leur siège [Adresse 1],

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Boyer, conseiller, les observations de la SCP Rocheteau, Uzan-Sarano et Goulet, avocat de Mmes [K] et [F], de la SCP Piwnica et Molinié, avocat des sociétés La Bougie et Roval, après débats en l'audience publique du 26 mars 2024 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Boyer, conseiller rapporteur, M. Delbano, conseiller doyen, et Mme Letourneur, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence,16 mai 2019), les sociétés La Bougie et Roval (les sociétés) ont acquis, respectivement le 21 décembre 1995 et le 30 juin 2006, des propriétés à usage d'habitation à Saint-Tropez, voisines d'un fonds appartenant à Mmes [K] et [F], sur lequel est exploitée une hélisurface.

2. Se plaignant des nuisances sonores liées à cette activité, les sociétés ont assigné, le 8 juin 2015, Mmes [K] et [F], sur le fondement du trouble anormal de voisinage, en sollicitant réparation du préjudice subi à compter du 1er mai 2014.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. Mmes [K] et [F] font grief à l'arrêt de les condamner à payer aux sociétés une certaine somme à titre de dommages-intérêts, alors :

« 1°/ que la préoccupation fait obstacle à une action sur le fondement des inconvénients anormaux du voisinage lorsque l'activité en cause est antérieure à l'acquisition de son fonds par la victime du trouble et qu'elle s'exerce en conformité avec les dispositions législatives et réglementaires ; qu'en dehors des agglomérations, l'exploitation d'une hélisurface n'est pas soumise à autorisation, sauf décision contraire du préfet du lieu, motivée par le fait que « leur utilisation est susceptible de porter atteinte à la tranquillité publique » ; qu'en se bornant à relever que Mmes [F] et [G] ne rapportaient pas la preuve d'une autorisation donnée pour exploiter l'hélisurface avant l'arrêté du 24 juin 2013, pour en déduire qu'elles ne pouvaient pas se prévaloir de l'exploitation de l'hélistation antérieurement à l'acquisition de leurs terrains par les sociétés La Bougie et Roval, quand l'exploitation d'une hélisurface n'est pas soumise à autorisation en dehors des agglomérations sauf décision contraire du préfet, la cour d'appel a violé les articles L. 112-16 du code de la construction et de l'habitation, D. 132-6 du code de l'aviation civile, 11 et 15 de l'arrêté du 6 mai 1995 relatif aux aérodromes et autres emplacements utilisés par les hélicoptères ;

2°/ que si le juge ne peut refuser d'examiner une pièce régulièrement versée aux débats et soumise à la discussion contradictoire, il ne peut se fonder exclusivement sur une expertise amiable réalisée de façon non contradictoire à la demande de l'une des parties ; qu'en l'espèce, Mmes [F] et [G] faisaient valoir que le rapport versé aux débats réalisé par un ingénieur acousticien le 1er août 2014 ne leur était pas opposable dans la mesure où il n'avait pas été établi contradictoirement et constituait le seul élément de preuve produit par les sociétés La Bougie et Roval ; qu'en se fondant exclusivement pour retenir l'existence d'un trouble anormal du voisinage, sur ce rapport établi de façon non contradictoire à la demande des sociétés La Bougie et Roval, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

3°/ que le préjudice causé par un trouble anormal du voisinage n'est réparable que s'il est personnel au demandeur ; qu'en l'espèce, les sociétés La Bougie et Roval rappelaient que leur objet social est l'exploitation d'un bien immobilier par sa mise en location et demandaient la réparation de la perte de revenus susceptibles d'être tirés de leurs actifs en faisant état d'une perte de revenus locatifs ; qu'après avoir constaté que les sociétés La Bougie et Roval ne justifiaient pas du préjudice locatif qu'elles alléguaient, la cour d'appel leur a néanmoins alloué des dommages-intérêts en considérant qu'elles avaient été privées de la possibilité de jouir de leur bien dans les conditions attendues d'une maison avec terrasse et piscine dans un secteur calme et résidentiel ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel qui a indemnisé non pas le préjudice des sociétés La Bougie et Roval mais le préjudice personnel distinct de leurs associés lesquels n'étaient pourtant pas parties à la procédure, a violé le principe selon lequel nul ne peut causer à autrui un trouble anormal du voisinage, ensemble l'article 1842 du code civil. »

Réponse de la Cour

4. En premier lieu, la cour d'appel, qui s'est bornée à constater que Mmes [K] et [F] ne rapportaient pas la preuve de l'autorisation d'exploiter dont elles se prévalaient, avant les arrêtés préfectoraux des 24 juin 2013, 24 juin 2014 et 2 avril 2015, a relevé, d'une part, que l'examen de la liste des mouvements journaliers d'hélicoptères révélait un nombre de mouvements dépassant de 108 à 117 % la limite autorisée par ces arrêtés selon les semaines considérées, d'autre part, que l'arrêté du 2 avril 2015 avait été annulé par la juridiction administrative.

5. Après avoir exactement rappelé que la règle d'antériorité de l'article L. 112-16 du code de la construction et de l'habitation ne pouvait exonérer l'auteur du dommage que si les activités en cause s'exerçaient en conformité avec les dispositions législatives ou réglementaires et se poursuivaient dans les mêmes conditions, elle a, à bon droit, déduit de ses constatations que Mmes [K] et [F] ne pouvaient pas s'en prévaloir.

6. En deuxième lieu, elle a, sans se fonder exclusivement sur le rapport non contradictoire établi par un ingénieur acousticien à la demande des deux sociétés, mais en rapprochant cette pièce d'un procès-verbal de constat d'huissier du 1er août 2014, de plusieurs attestations d'anciens locataires des deux sociétés plaignantes, du listing des mouvements journaliers des hélisurfaces locales et de coupures de presse, souverainement retenu que les nuisances sonores liées aux mouvements d'hélicoptères dans un environnement calme et résidentiel, excédaient les inconvénients normaux de voisinage.

7. Enfin, en troisième lieu, ayant retenu que les deux sociétés devaient pouvoir jouir de leur bien dans les conditions attendues d'une maison avec terrasse et piscine dans un secteur calme et résidentiel, elle a fait ressortir que le préjudice de jouissance invoqué par celles-ci leur était personnel et a réparé celui-ci par une indemnité dont elle a souverainement évalué le montant.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mmes [K] et [F] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mmes [K] et [F] et les condamne à payer aux sociétés La Bougie et Roval la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mai deux mille vingt-quatre.ECLI:FR:CCASS:2024:C300252

Publié par ALBERT CASTON à 12:35  

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