L’indemnisation des troubles anormaux du voisinage en matière immobilière

 

Les projets immobiliers qu’ils soient axés sur la construction d’un immeuble, la rénovation d’un bâtiment existant ou la réalisation d’équipements publics, s’inscrivent souvent dans un environnement dense, et peuvent par conséquent générer des nuisances pour les propriétés voisines.

À partir du moment où ces nuisances excèdent la tolérance normale que chacun est tenu d'accepter dans le cadre de la vie en société, elles deviennent alors un trouble anormal du voisinage, et engagent la responsabilité du constructeur, du maître d’ouvrage ou, plus rarement, de la collectivité publique.

 

Le fondement juridique du trouble anormal du voisinage

 

La responsabilité fondée sur les troubles anormaux du voisinage repose sur un principe autonome, distinct de la faute, et trouve son origine dans une construction jurisprudentielle constante selon laquelle nul ne doit causer à autrui un dommage qui excède les inconvénients normaux du voisinage.

Ce régime de responsabilité objective n’exige donc pas la preuve d’une faute, pour obtenir réparation, tant que la personne qui s’en prévaut démontre :

  • L’existence d’un dommage certain ;
  • Un lien de causalité direct entre l’activité ou l’ouvrage à l’origine du trouble et le préjudice subi ;
  • Le caractère anormal du trouble.

Dans le cadre d’un contentieux, les juges apprécient l’anormalité du trouble au regard de la nature du lieu, de la durée, de la fréquence et de l’intensité des nuisances.

Un bruit de chantier prolongé dans une zone résidentielle peut, par exemple, être qualifié de trouble anormal, alors que la même nuisance dans une zone industrielle pourrait être jugée supportable.

 

Les acteurs susceptibles d’être indemnisés ou mis en cause

 

La responsabilité pour trouble anormal du voisinage peut être engagée à l’encontre de tout acteur à l’origine du dommage, qu’il s’agisse :

  • Du propriétaire du fonds voisin, dont provient le trouble ;
  • Du maître d’ouvrage, lorsqu’il initie des travaux générant les nuisances ;
  • Du constructeur (entrepreneur, architecte, promoteur), si son intervention est directement liée au dommage ;

Il peut par ailleurs s’agir, dans certains cas, d’une collectivité territoriale, notamment lorsqu’elle fait réaliser des travaux publics ayant un impact sur les propriétés riveraines.

La responsabilité du maître d’ouvrage est souvent retenue même en l’absence de faute de sa part. L’article 1240 du Code civil n’est donc pas mobilisé puisque c’est la théorie du voisinage anormalement troublé qui prime.

Le constructeur ou l’entreprise exécutante peuvent également être condamnés sur ce fondement, notamment lorsque son activité est la cause directe des désordres.

 

L’indemnisation du dommage

 

L’évaluation du préjudice relatif aux troubles du voisinage en matière immobilière dépend de la nature et de l’étendue du trouble subi et différentes formes de réparation peuvent être allouées :

  • Une indemnisation pécuniaire qui couvre la perte de jouissance paisible du bien, la dépréciation immobilière ou les frais de remise en état ;
  • Une indemnisation en nature puisque le juge peut ordonner la cessation du trouble ou la réalisation de travaux destinés à y mettre fin.

Ainsi, dans un arrêt du 24 juillet 2019 (n°417915), le Conseil d’État a rappelé que le juge peut allouer une indemnité aux voisins victimes, même lorsque le trouble provient de travaux régulièrement autorisés par un permis de construire, et ce même si ce dernier s’avère illégal in fine. L’autorisation administrative ne constitue pas un fait justificatif exonérant de responsabilité.

 

Les spécificités en matière de travaux publics

 

Lorsqu’un ouvrage public ou des travaux publics sont à l’origine du trouble, la responsabilité relève du juge administratif, mais le régime d’indemnisation demeure fondé sur le même principe d’anormalité du préjudice, bien qu’il s’agisse alors d’une responsabilité sans faute pour dommage de travaux publics. Les riverains peuvent par conséquent être indemnisés s’ils subissent un préjudice anormal et spécial, c’est-à-dire qui excède les inconvénients ordinaires que chacun doit supporter et touchant un nombre restreint de personnes.

Cette responsabilité trouve notamment à s’appliquer en cas de nuisances sonores, d’infiltrations d’eau, ou de dépréciation du bien immobilier liée à la proximité immédiate d’une infrastructure.

Le juge administratif apprécie au cas par cas l’intensité du trouble et la situation des lieux, et l’autorisation administrative des travaux ne constitue pas une cause d’exonération : un chantier public peut donc engager la responsabilité de la collectivité, même s’il a été régulièrement exécuté.

 

Une vigilance accrue pour les maîtres d’ouvrage et collectivités

 

Les constructeurs et collectivités territoriales doivent intégrer cette responsabilité dans la gestion de leurs projets, et la prévention du risque passe par :

  • Une évaluation préalable des nuisances potentielles ;
  • L’information des riverains ;
  • La mise en œuvre de mesures techniques pour limiter les impacts (isolation phonique, maîtrise des horaires de chantier, etc.).

Une telle anticipation peut notamment avoir pour effet de réduire non seulement le risque contentieux, mais de protéger également la réputation des acteurs publics et privés, impliqués dans les opérations immobilières.