En principe, une relation commerciale établie peut être librement rompue ; les évolutions de la relation elle-même, de l’offre ou de la direction, permettent de comprendre que ce puisse être le cas. 
Cependant, l’exercice abusif de cette liberté de rompre la relation, risquerait d’obérer le partenaire commercial, voire de provoquer sa liquidation judiciaire. 

 

Lutter contre les dérives de l’ancien article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, est l’objectif du nouveau dispositif, lequel figure au nouvel article L. 442-1, II du C. com. Il concerne toute relation commerciale, qu’il s’agisse de la fourniture d’un produit ou d’une prestation de service, dans toute activité économique.

Le nouvel article L.442-1, II C. com., s’inscrit dans une réforme simplificatrice plus vaste des pratiques restrictives de l’ancien article L. 442-6 C. com., par l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019. Le passage de treize à trois pratiques prohibées, en est l’illustration. Leur champ d’application est élargi aux stades de « la négociation commerciale, de la conclusion et de l’exécution d’un contrat ».

Les trois pratiques générales conservées sont :
• l’obtention ou la tentative d’obtention d’« un avantage ne correspondant à aucune contrepartie ou manifestement disproportionné au regard de la valeur de la contrepartie consentie » ;
• la soumission ou la tentative de soumission « à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties »,
• la rupture brutale de la relation commerciale établie.

Les dispositions de l’ancien article L. 442-6, I, 5° du code de commerce, avaient initialement un but protecteur, envers les fournisseurs qui étaient abusivement déréférencés par les distributeurs de la grande distribution. Toutefois, elles ne les protégeaient plus, en raison de la précarisation de leurs relations par de multiples appels d’offres. En revanche, d’autres opérateurs, qui n’avaient pas besoin d’être protégés, s’appuyaient sur cet article pour imposer à leurs partenaires de longs préavis, malgré des offres commerciales devenues obsolètes par rapport aux évolutions du marché.

Globalement, la jurisprudence récente (2017-2019) précise ou rappelle certaines solutions, notamment au sujet de l’évaluation du préjudice, de la brutalité de la rupture, de la durée du préavis… tandis qu’elle reprend à nouveau, explicitement, la position de la Cour de Justice de l’Union européenne, en matière de clause attributive de juridiction : l’action en réparation du préjudice subi du fait de la rupture brutale est de nature contractuelle et non délictuelle (CA Paris, 5 septembre 2019, n° 17/03703 ; CJUE, 14 juillet 2016, Granarolo SpA c/ Ambrosi Emmi France SA, C – 196/15).

LA NOTION.

Le caractère établi de la relation.

Le caractère établi de la relation est présumé, s’il n’est pas contesté par celui qui se prétend victime de la rupture (CA Paris, 20 juin 2019, n° 17/02742). Au sens de la jurisprudence, la relation n’est pas établie, en cas de précarité de celle-ci, par exemple lors de recours systématique à des appels d’offres (Cass, com., 18 octobre 2017 n°16-15138). Pour rappel, le Code ne fait aucune distinction entre les relations contractuellement établies et les autres (T. Com. Avignon, 25 juin 1999).

La brutalité de la rupture.

La seule baisse brutale des commandes et du chiffre d’affaires de la victime de la rupture alléguée, est insuffisante à établir la brutalité de la rupture au sens du Code de commerce ; le demandeur à l’action en rupture brutale doit établir en quoi les pratiques caractérisent une rupture brutale (Com., 27 mars 2019, n° 17-18.676). En effet, cette baisse pourrait être due à d’autres facteurs.

L'AUTEUR.

Les personnes incluses.

Depuis la réforme de 2019, l’auteur de la rupture peut être toute personne exerçant des activités de production, de distribution ou de services. Ce nouveau champ d’application est donc plus large que celui de l’ancien article L 442-6, I, 5° du C.com., pour lequel l’auteur de la rupture pouvait être « tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers ». Au passage, l’on rappelle que l’interdiction de la rupture brutale s’applique quel que soit le statut juridique de la victime de la rupture (Com., 25 janv. 2017, n° 15-13.013).

Les personnes exclues.

Les dispositions relatives à la responsabilité encourue pour rupture brutale d’une relation commerciale établie, ne s’appliquent pas à la rupture ou au non-renouvellement de crédits consentis par un établissement de crédit à une entreprise (Com., 8 févr. 2017, n° 15-23050). Il en est de même pour les relations entre une société coopérative et ses adhérents (Com., 8 févr. 2017, n° 15-23.050) ou entre un médecin et une clinique (Com., 23 oct. 2007, n° 06-16.774).

LE PREAVIS.

Le formalisme.

Le Code exige un préavis écrit. En outre, le caractère écrit de l’appel d’offre doit pouvoir être constaté par les juges, en vue du rejet de la demande d’indemnisation sur le fondement de la rupture brutale des relations commerciales établies (Com., 14 février 2018, n° 16-24.667).

La durée.

La durée du préavis doit être suffisante et matérialisée par écrit. En revanche, la rupture sans préavis est justifiée si un manquement suffisamment grave de la victime alléguée est caractérisé, ce qui n’est pas le cas de la non-réalisation de l’objectif de chiffre d’affaires prévu au contrat (Com., 5 avril 2018, n° 16-19.923).

Afin d’évaluer la durée nécessaire de préavis, les juges du fond ont recours aux critères suivants (Com., 20 juin 2018, n° 16-24.163 ; Com., 24 octobre 2018, n° 17-16.011, n° 17-21.807) :
• la durée de la relation commerciale,
• le volume d’affaires réalisé,
• la notoriété du client,
• le secteur concerné,
• le caractère saisonnier du produit,
• l’absence d’état de dépendance économique du fournisseur,
• le temps nécessaire pour retrouver un autre partenaire,
• la durée minimale des préavis déterminée en référence aux usages du commerce.

Par ailleurs, le nouvel article L. 442-1 II C. com., issu de la réforme de 2019, pose un plafond de 18 mois quant au préavis à respecter, alors que la jurisprudence récente condamnait souvent à plus de 24 mois pour les relations commerciales les plus longues.

LA REPARATION.

La possibilité de cumul.

Le principe de non-cumul des responsabilités délictuelle et contractuelle, n’interdit pas au créancier d’une obligation, de présenter, outre sa demande en responsabilité contractuelle, une demande distincte fondée sur L. 442-6, I, 5° du C. com. (Com., 10 avril 2019, n° 18-12.882). Le raisonnement sous-jacent est le suivant : manquement contractuel et rupture brutale sont considérés comme deux faits ou préjudices distincts (CA Paris, 5 septembre 2019, n° 17/01506).

Le mode de calcul.

La Cour de cassation réaffirme la notion de marge brute comme critère d’évaluation du préjudice, en matière de rupture brutale de la relation commerciale établie ; la marge brute correspond au chiffre d’affaires HT moins les coûts HT (Com., 23 janvier 2019, n° 17-26.870). Si la relation s’était poursuivie dans le cadre d’un préavis de durée raisonnable, la victime de la rupture aurait continué à fournir des biens et services à l’auteur de celle-ci – elle aurait donc supporté des charges supplémentaires.