Le décret n°2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail introduit une nouvelle procédure prud’homale plus écrite et certainement plus complexe. L’ambition de ce décret est de rendre cette procédure plus rapide et de raccourcir les délais.

La procédure prud’homale est donc largement modifiée tant au moment de la saisine qu’au niveau de l’appel.

 

I/ LA SAISINE DU CONSEIL DE PRUD’HOMMES

A compter du 1er août 2016, la saisine du Conseil de Prud’hommes peut se faire :

  • soit par présentation volontaire des parties devant le bureau de conciliation et d’orientation. En effet, la saisine par présentation volontaire des parties existait déjà avant le décret et était très peu utilisée voire jamais. En effet, dans la pratique, ce mode de saisine est difficile à réaliser (le salarié doit savoir quels jours ont lieu les audiences de conciliation, se présenter à la bonne audience, à la bonne section et se présenter volontairement avec la partie adverse).
  • soit par requête. Donc, avec ce nouveau décret, la saisine du Conseil de prud’hommes ne se fera plus par simple dépôt d’un formulaire type. Elle est calquée sur la saisine prévue par la Code de procédure civile. L’article R 1452-2 du Code du travail prévoit en effet que la saisine est faite par requête remise ou adressée au greffe du Conseil de Prud’hommes. Cette requête doit par ailleurs comporter les mentions prescrites à l’article 58 du Code de procédure civilesous peine de nullité.

La requête doit comporter un exposé sommaire des motifs de la demande et mentionne chacun des chefs de celle-ci. Et, elle est accompagnée des pièces que le demandeur souhaite invoquer à l’appui de ses prétentions. Ces pièces sont énumérées sur un bordereau qui lui est annexé. La requête et le bordereau doivent être établis en autant d’exemplaires qu’il existe de défendeurs et un exemplaire destiné à la juridiction.

Le greffe communiquera alors au demandeur la date d’audience et la requête avec le bordereau de pièces.

A noter que le demandeur est incité à communiquer ses pièces au défendeur avant la date de conciliation car, si ce dernier ne comparait pas, une décision pourra être rendue en son absence à la condition qu’il ait eu connaissance des pièces et des moyens.

En pratique, cela complexifie les modalités de saisine pour le justiciable qui devra nécessairement se faire conseiller. Cela présentera l’avantage de limiter les saisines reposant sur des demandes infondées et fantaisistes comme le permettait le formulaire pré-rempli.

 

II/ LES CONTRAINTES LIEES AUX CONCLUSIONS ECRITES ET REDIGEES PAR LES AVOCATS

L’article R 1453-5 du Code du travail dispose que lorsque les parties comparantes formulent leurs prétentions par écrit et sont assistées et représentées par un avocat, elles sont tenues, dans leurs conclusions, de formuler expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées.

Les prétentions sont récapitulées sous forme de dispositif.

Le bureau de jugement ou la formation de référé ne statuera que sur les prétentions énoncées au dispositif. Donc, les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles seront réputées les avoir abandonnées car n’est statué que sur les dernières conclusions communiquées.

En pratique, si cet article transforme de facto la procédure orale en une véritable procédure écrite, c’était déjà largement appliqué depuis de nombreuses années par les avocats.

 

III/ La représentation obligatoire en appel par un avocat ou un défenseur syndical

A compter du 1er août 2016, la représentation par un avocat ou un défenseur syndical deviendra obligatoire en appel. le décret acte donc le rôle des défenseurs syndicaux syndicaux dans cette mission, au même titre que les avocats. Cette évolution est rendue possible par l’article L. 1453-4 du code du travail, issu de la loi du 5 août 2015, aux termes duquel « un défenseur syndical exerce des fonctions d’assistance ou de représentation devant les conseils de prud’hommes et les cours d’appel en matière prud’homale ».

 

Le deuxième alinéa de l’article R. 1461-1 prévoit désormais qu’à défaut d’être représenté par un défenseur syndical, « les parties sont tenues de constituer avocat ».

Ces dispositions dérogent donc à celles de l’article R. 1453-2, ce dernier article ne s’appliquant plus que devant le conseil de prud’hommes.

Il en résulte que, devant la cour d’appel, une partie ne peut comparaître en personne. Elle doit nécessairement avoir recours à un avocat ou à un défenseur syndical.

Le troisième alinéa de l’article R 1461-1 prévoit que le défenseur syndical accomplit valablement les actes que le code de procédure civile met à la charge de l’avocat et que les actes destinés à l’avocat dans le cadre de cette procédure d’appel sont valablement accomplis auprès du défenseur syndical.

Enfin, l’appel continue d’être porté devant la chambre sociale de la cour d’appel.

Le second alinéa de l’article R. 1461-2 prévoit toutefois que désormais, « il est formé, instruit et jugé suivant la procédure avec représentation obligatoire ».

Il est donc fait application des articles 900 à 930-1 du code de procédure civile relatifs à la procédure avec représentation obligatoire.

Etant donné que l’appel en matière prud’homale relève désormais de la procédure avec représentation obligatoire, il pourra être recouru aussi bien à la procédure ordinaire (articles 901 à 916 du code de procédure civilequ’à la procédure à jour fixe (articles 917 à 925). L’appel par requête conjointe est également possible (articles 926 à 930).

En pratique, cela va bouleverser la procédure actuellement applicable en phase d’appel, et encadrer les diligences des parties dans des délais sous peine de caducité.

  • Ajustements en ce qui concerne le recours à la communication électronique:

A l’heure actuelle, l’ensemble des actes de procédure en appel avec représentation obligatoire doivent être transmis par voie électronique à peine d’irrecevabilité (article 930-1 du code de procédure civile). En pratique, les avocats utilisent le réseau privé virtuel des avocats (RPVA). Or, ce réseau est inaccessible aux défenseurs syndicaux.

C’est pourquoi le décret prévoit que les défenseurs syndicaux pourront effectuer l’ensemble des actes de la procédure sur support papier. Ce support devra ensuite être remis au greffe en autant d’exemplaires qu’il y a de parties destinataires, plus deux. La remise sera constatée par la mention de sa date et le visa du greffier sur chaque exemplaire, dont l’un sera immédiatement restitué.

L’avocat qui a pour contradicteur un défenseur syndical devra donc désormais avoir recours à la voie électronique dans les conditions prévues à l’article 930-1 précité, en ce qui concerne les actes de procédure remis à la juridiction. En revanche, le défenseur syndical n’ayant pas accès au RPVA, les actes qui lui sont destinés devront avoir lieu par voie de notification.

Notons enfin que les procédures d’appel continueront de donner lieu à application des articles R. 1452-6, -7 et -8 abrogés par l’article 8 du décret pour autant qu’elles aient trait à des instances formées devant les conseils de prud’hommes avant le 1er août 2016.

Pourquoi ne pas avoir réserver le monopole de représentation aux seuls avocats, plutôt que de créer une « usine à gaz » ?

 

IV/ LE BUREAU DE CONCILIATION ET D’ORIENTATION : QUELS NOUVEAUX POUVOIRS?

 

LE POUVOIR DE STATUER SUR LA COMPETENCE DES SECTIONS

L’article R 1423-7 du code du travail dispose que désormais les contestations sont formées devant le bureau de conciliation et d’orientation ou, dans les cas où l’affaire est directement portée devant le bureau de jugement, avant toute défense au fond.

 

LE POUVOIR DE JUGEMENT

Le bureau de conciliation et d’orientation peut statuer sur le fond du dossier si le défendeur ne comparait pas (article L 1454-1-3 Code du travail) à la condition que le demandeur ait bien communiqué tous ses moyens et pièces au défendeur.

Par ailleurs, l’article R 1454-4 du code du travail donne la possibilité au bureau de conciliation et d’orientation de prendre une décision provisoire palliant l’absence de délivrance par l’employeur de l’attestation Pôle emploi.

 

La Mise en l’état par le bureau de conciliation et d’orientation

Le décret précise que le bureau de conciliation et d’orientation assure la mise en l’état jusqu’à la date qu’il fixe pour l’audience de jugement.

Le bureau doit donc également dorénavant fixer les délais et les conditions de communication des prétentions, moyens et pièces. Si les parties ne jouent pas le jeu, le bureau peut alors radier l’affaire ou la renvoyer à la première date utile devant le bureau de jugement.

Le bureau peut désigner un ou deux conseillers rapporteurs pour procéder à la mise en état.

Notons enfin que le bureau peut, comme c’était déjà le cas, auditionner toute personne et procéder à toute mesure d’instruction.

 

LE POUVOIR DE RESOLUTION AMIABLE DES DIFFERENDS

L’article R 1471-1 du code du travail prévoit que le bureau de conciliation et d’orientation homologue l’accord issu d’un mode de résolution amiable des litiges. Par ailleurs, il peut désigner un médiateur après avoir recueilli l’accord des parties pour permettre de trouver une solution au litige qui les oppose.

 

V/ COMPOSITION DU BUREAU DE JUGEMENT

Le décret entérine la création de nouvelles formations de jugement adaptées aux différentes situations afin d’améliorer les délais de traitement. Le bureau de jugement est ainsi composé :

  • soit de deux conseillers prud’hommes employeurs et de deux conseillers salariés(formation classique) ;
  • soit d’un conseiller employeur et un conseiller salarié qui doivent statuer dans un délai de trois mois (formation restreinte) ;
  • soit, aux fins de départage, de la formation classique ou restreinte qui s’est mise en partage de voix, présidée par le juge départiteur (formation de départage) ;
  • soit, enfin, de deux employeurs, de deux salariés et du juge départiteur en cas d’échec de la conciliation si les parties le demandent ou si la nature du litige le justifie.

 

VI/ UN NOUVEAU REPRESENTANT DES PARTIES : LE DEFENSEUR SYNDICAL

L’article R 1453-2 du Code du travail introduit le défenseur syndical parmi les personnes habilitées à assister ou représenter les parties. Ils ont un statut particulier développé dans la loi.

Ce statut de défenseur syndical a été créé aussi pour permettre aux employeurs et salariés d’être défendus par un syndicat devant la Cour d’appel. En effet, le décret institue la représentation obligatoire en appel et la possibilité pour le défenseur syndical de représenter et d’assister un appelant ou un intimé. 

 

VII/ LA CREATION D’UN NOUVEAU REFERE 

L’article R1455-12 du code du travail institue un référé en la forme. Cette procédure permet dans des cas d’urgence que le Conseil des prud’hommes examine l’affaire et que des mesures définitives et non provisoires soient prises. Il est fait application de l’article 486 et 490 du Code de procédure civile.

S’il est saisi à tort en la forme des référés, le conseil de prud’hommes pourra alors renvoyer l’affaire au bureau de jugement dans les conditions de l’article R 1455-8 du Code du travail.

 

VIII/ LES NOUVELLES OBLIGATIONS DE L’EMPLOYEUR DANS LES LITIGES EN MATIERE DE LICENCIEMENT POUR MOTIF ECONOMIQUE

L’article R 1456-1 du Code du travail dispose qu’en cas de recours portant sur un licenciement pour motif économique, et dans un délai de 8 jours à compter de la date à laquelle il reçoit la convocation devant le bureau de conciliation et d’orientation, l’employeur doit déposer ou adresser au greffe par lettre recommandée avec avis de réception les éléments mentionnés à l’article L 1235-9 du Code du travail.

 

QUELLE EST LA DATE D’ENTREE EN VIGUEUR DE CETTE NOUVELLE PROCEDURE ?

Concernant la compétence du bureau de conciliation et d’orientation, et plus particulièrement les contestations relatives à la compétence des sections (article R 1423-7), la non comparution du défendeur et possibilité de statuer sur le fond pour le bureau de jugement (article R 1454-20) et non comparution du demandeur à l’audience de jugement et caducité (article R 1454-21), ces dispositions s’appliquent aux instances introduites à compter de la publication du décret, soit à compter du 25 mai 2016.

Concernant la saisine du Conseil de Prud’hommes par requête, les dispositions relatives aux conclusions et à leur standardisation et les dispositions sur les productions de pièces dans l’hypothèse d’un licenciement pour motif économique, ces dispositions s’appliquent aux instances introduites devant les conseils de Prud’hommes à compter du 1er août 2016.

 

LA QUESTION DE L’UNICITE DE L’INSTANCE: A-T-ELLE ETE SUPPRIMEE?

L’unicité de l’instance, spécificité devant le conseil de Prud’hommes, n’existe plus.

L’article R1452-6 a en effet été abrogé.

Donc, désormais, plusieurs instances pourront être engagées avec des demandes différentes issues du même contrat de travail, ce qui ne va pas réduire le volume des dossiers.

 

En synthèse, le décret attendu va permettre de mettre en œuvre les dispositions de la Loi MACRON sur la réforme de la justice prud’homale. Certaines spécificités de la justice prud’homale vont disparaître mais le législateur devrait à mon sens aller plus loin en instaurant des ordonnances de clôture, et surtout une représentation obligatoire dès le stade du Conseil de prud’hommes, ce qui permettrait d’utiliser la plateforme RPVA pour communiquer entre les parties et le Conseil de prud’hommes.