La déduction des subventions reçues de l'Etat pour fixer le prix de refacturation par une société à sa mère étrangère du coût de ses travaux de recherche ne constitue pas, par nature, une libéralité permettant de présumer un transfert de bénéfices à l'étranger.

L’article 57 du CGI a pour objet d’empêcher le transfert à l’étranger de bénéfices sur lesquels l’entreprise devrait normalement payer l’impôt en France. Les bénéfices irrégulièrement transférés à l’étranger sont ainsi rapportés aux résultats de l’entreprise. Il y a une présomption de transfert indirect lorsque l’administration établit, d’une part, l’existence de liens de dépendance de droit ou de fait entre l’entreprise française et des entreprises étrangères et, d’autre part, l’octroi d’avantages anormaux consenti à ces entreprises sous forme de majorations ou de minorations de prix, ou de tout moyen de transfert analogue. L’entreprise peut toujours échapper à la rectification en apportant la preuve que les avantages ont été justifiés par l’obtention de contreparties au moins équivalentes.

Le Conseil d’Etat a jugé que c’est à l’administration d’établir que les prix payés par la société française étaient supérieurs à ceux pratiqués, soit par cette entreprise avec d’autres clients dépourvus de liens de dépendance avec elle, soit par des entreprises similaires exploitées normalement avec des clients dépourvus de liens de dépendance, sans que cet écart ne s’explique par la situation différente de ces clients.

Le Conseil d’Etat vient de juger que la déduction, par une société française, des subventions reçues de l'Etat pour déterminer le prix de refacturation à une société mère étrangère du coût des travaux de recherche et de développement effectués pour son compte ne constitue pas en elle-même une libéralité, l’administration fiscale devant prouver, par comparaison, l’insuffisance du prix refacturé.

En l’espèce, une société exerçant une activité de recherche portant sur des projets relatifs aux composants électroniques et aux semi-conducteurs pour laquelle elle perçoit de l'Etat des subventions issues du fonds de compétitivité des entreprises ainsi que des sommes au titre du crédit d'impôt recherche, a conclu avec sa société-mère, une société de droit néerlandais, un contrat par lequel elle s'engage à céder à celle-ci la propriété des droits incorporels non brevetables issus de son activité de recherche susmentionnée, à un prix égal au coût de revient des opérations correspondantes, majoré de 10 %.

A l’occasion de deux vérifications de comptabilité l'administration fiscale a relevé que, pour l'application du contrat en question, la société déduisait, pour la détermination du coût de revient des actifs incorporels cédés à sa mère, avant application de la majoration de 10 % permettant d'aboutir au prix facturé à celle-ci, le montant des subventions reçues de l'Etat et du crédit d'impôt recherche dont elle bénéficiait. Considérant que cette déduction induisait un transfert indirect de bénéfices à l'étranger, l’administration fiscale a rehaussé les résultats de l'entreprise au titre des exercices vérifiés, à concurrence de la réintégration du montant de ces subventions et crédits d'impôt dans le coût de revient retenu pour la détermination du prix de cession.

La société a demandé au tribunal administratif de Montreuil le rétablissement de ses déficits reportables au titre des exercices vérifiés. Cette demande est rejetée par le tribunal administratif

Cependant, en appel, la cour administrative d'appel de Versailles a fait droit à la demande de la société tendant au rétablissement de ses déficits reportables, et a réformé le jugement du tribunal administratif de Montreuil.

Le pourvoi formé par l’administration est rejeté par le Conseil d’Etat qui rappelle qu’il résulte des dispositions de l’article  57 du CGI que lorsqu'elle constate que les prix facturés par une entreprise établie en France à une entreprise étrangère qui lui est liée sont inférieurs à ceux pratiqués par des entreprises similaires exploitées normalement, c'est-à-dire dépourvues de liens de dépendance, l'administration doit être regardée comme établissant l'existence d'un avantage qu'elle est en droit de réintégrer dans les résultats de l'entreprise française, sauf pour celle-ci à justifier que cet avantage a eu pour elle des contreparties aux moins équivalentes, et qu’à défaut d'avoir procédé à une telle comparaison, l’administration n'est, en revanche, pas fondé à invoquer la présomption de transfert de bénéfices ainsi instituée mais doit, pour démontrer qu'une entreprise a consenti une libéralité en facturant des prestations à un prix insuffisant, établir l'existence d'un écart injustifié entre le prix convenu et la valeur vénale du bien cédé ou du service rendu. C’est exactement la même solution que le Conseil d’Etat avait déjà retenue dans son arrêt n°399349 du 29 novembre 2017.

Le Conseil d’Etat considère en l’espèce que la déduction, opérée par une société française, pour la détermination du prix de cession du produit de sa recherche à facturer à une société étrangère qui lui est liée en application du contrat en cause, des subventions qu'elle avait reçues de l'Etat pour le financement des projets correspondants, ne saurait être considérée comme permettant, par elle-même et indépendamment du niveau du prix de cession auquel cette déduction conduit par application du mode de calcul contractuel, de présumer l'existence d'un transfert de bénéfices à l'étranger, au sens de l'article 57 du code général des impôts, à charge pour la société française d'établir l'existence d'une contrepartie. Il en résulte qu'alors même que l'accord entre les deux sociétés ne stipulerait pas expressément que le prix de revient pris comme base de calcul du prix de vente s'entendrait du coût effectivement supporté, net du montant des subventions, l’administration n'est pas fondée à soutenir que la cour administrative d'appel a commis une erreur de droit dans l'application de ces dispositions en jugeant qu'à défaut d'avoir présenté des termes permettant de comparer valablement les prix facturés par la société à sa mère néerlandaise et ceux pratiqués entre entreprises indépendantes, l'administration, qui ne proposait aucune méthode alternative pouvant se substituer à cette comparaison, n'apportait pas la preuve que les sommes réintégrées dans les résultats de la contribuable constituaient des bénéfices indûment transférés à l'étranger.

Le pourvoi formé par l’administration est rejeté.

CE 19-9-2018 n° 405779.

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Arnaud SOTON

Avocat au Barreau de Paris

Professeur de droit fiscal

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