À l’occasion de la mise en œuvre de l’échange d’informations sur demande entre Etats membres de l’Union européenne, l’administration fiscale ne peut exiger d’un avocat la communication du dossier de consultation d’un client.

Dans un arrêt du 29/09/2024 (CJUE 26-9-2024 aff. 432/23), la Cour de justice de l'Union européenne a jugé qu’une consultation juridique d’avocat bénéficie, quel que soit le domaine du droit sur lequel elle porte, de la protection renforcée garantie par l’article 7 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne relatif aux communications entre un avocat et son client. C’est ainsi qu’une décision d’injonction par une autorité fiscale de communiquer l’ensemble de la documentation concernant une consultation fournie à un client constitue une ingérence dans le droit au respect des communications entre un avocat et son client.

Dans cette affaire qui oppose un avocat luxembourgeois à l’administration fiscale luxembourgeoise,  cette dernière a été saisie d’une demande de renseignements fondée sur la directive 2011/16 émanant des autorités fiscales espagnoles. L’administration fiscale luxembourgeoise a alors adressé  une décision d’injonction à l’avocat afin qu’il fournisse tous documents et renseignements disponibles concernant les services qu’il a fournis à une société de droit espagnol, dans le cadre de l’acquisition d’une entreprise et d’une prise de participation majoritaire dans une société, toutes deux également de droit espagnol.

L’avocat a répondu qu’en raison de son secret professionnel, il ne peut communiquer les informations concernant son client. C’est ainsi que l’administration fiscale a enjoint l’avocat, sous peine d’amende, de fournir les renseignements et les pièces demandés. Face au refus de l’avocat,  l’administration fiscale lui a infligé  une amende fiscale pour ne pas avoir donné de suites à la décision d’injonction.

L’avocat a saisi le  Tribunal administratif de Luxembourg en annulation de la décision d’injonction, mais le tribunal administratif a rejeté le recours en annulation. L’avocat a fait appel du jugement devant la Cour administrative de Luxembourg qui a décidé de surseoir à statuer et de poser des questions préjudicielles à la CJUE.

La Cour demande à la CJUE si une consultation juridique d’un avocat, en l’espèce en vue de la mise en place d’une structure sociétaire d’investissement, rentre dans le champ de la protection renforcée des échanges entre les avocats et leurs clients accordée par l’article 7 de la Charte, et si une décision de l’autorité compétente d’un État membre requis, émise afin de donner suite à une demande d’échange d’informations sur demande émanant d’un autre État membre portant injonction à un avocat de lui fournir grosso modo l’ensemble de la documentation disponible relative à ses relations avec son client, une description détaillée des opérations ayant fait l’objet de son conseil, une explication de son implication dans ces processus et l’identification de ses interlocuteurs constitue une ingérence dans le droit au respect des communications entre un avocat et son client, garanti à l’article 7 de la Charte.

La CJUE faut d’abord observer que la protection spécifique que l’article 7 de la Charte et l’article 8, paragraphe 1, de la CEDH accordent au secret professionnel des avocats, qui se traduit avant tout par des obligations à leur charge, se justifie  par le fait que les avocats se voient confier une mission fondamentale dans une société démocratique, à savoir la défense des justiciables. Cette mission fondamentale comporte, d’une part, l’exigence, dont l’importance est reconnue dans tous les États membres, que tout justiciable doit avoir la possibilité de s’adresser en toute liberté à son avocat, dont la profession même englobe, par essence, la tâche de donner, de façon indépendante, des avis juridiques à tous ceux qui en ont besoin et, d’autre part, celle, corrélative, de loyauté de l’avocat envers son client.

Selon la CJUE, il résulte de ces dispositions qu’une consultation juridique d’avocat bénéficie, quel que soit le domaine du droit sur lequel elle porte, de la protection renforcée garantie par l’article 7 de la Charte aux communications entre un avocat et son client. Une décision d’injonction telle que celle en cause constitue, selon la Cour,  une ingérence dans le droit au respect des communications entre un avocat et son client garanti à cet article.

Cette position de la CJUE est capitale en ce qui concerne la protection du  secret professionnel de l’avocat, au moment où les administrations fiscales cherchent à malmener le secret professionnel de l’avocat.

Cette décision va dans le même sens que l’arrêt rendu le 27/06/2023 par la Cour d’appel de Versailles (CAA Versailles, 1e ch., 27 juin 2023, n° 21VE00337, SA Artmes) qui avait jugé qu’une rectification fondée sur les termes d’un courrier électronique adressé par un avocat à son client vicie la procédure de rectification par application de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971.

En effet, en application des dispositions du premier alinéa de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel.

Ainsi, si l’administration fiscale peut valablement prendre connaissance du contenu d’une correspondance échangée entre un contribuable et son avocat, tel n’est pas le cas lorsque, d’une part, le contribuable n’a pas donné son accord préalable à une telle prise de connaissance et que, d’autre part, le contenu de cette correspondance fonde tout ou partie de la rectification.

Dans l’affaire jugée par la Cour administrative d’appel de Versailles, un avocat avait adressé un courrier électronique le 31 mai 2011, à la dirigeante d’une société cliente, indiquant que la création d’une société en Belgique avait pour but que ladite dirigeante n’ait plus de lien direct avec la France. Ce courrier électronique a été transmis à l’administration fiscale par le service des douanes sans l’accord de l’intéressée. Or, pour fonder les rectifications notifiées à la société, l’administration fiscale s’est expressément appuyée sur cette correspondance.

En effet, à la suite d’une vérification de sa comptabilité portant sur la période du 1er janvier 2010 au 31 décembre 2012, l’administration fiscale a proposé à la société, des rectifications en matière d’impôt sur les sociétés et de TVA au titre des exercices 2010, 2011 et 2012. L’administration fiscale a cependant abandonné les rectifications concernant l’exercice 2010, l’ensemble des rappels de TVA, au titre des périodes 2010 à 2012, ainsi que des rectifications relatives à un bien immobilier.

La société a saisi le tribunal administratif de Versailles pour demander la décharge, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles elle a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012. Par un jugement n° 1808506 du 1er décembre 2020, le tribunal administratif de Versailles a rejeté sa demande. La société a alors fait appel devant la Cour administrative d’appel de Versailles, en soutenant que la correspondance du 31 mai 2011 entre l’avocat et sa cliente, obtenue à la suite de l’exercice du droit de communication auprès de la direction générale des douanes, qui a servi à fonder les rectifications, est couverte par le secret professionnel. La Cour administrative d’appel a accueilli favorablement cette demande.

La Cour administrative d’appel a d’abord rappelé les dispositions du premier alinéa de l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, aux termes desquelles en toutes matières, que ce soit dans le domaine du conseil ou dans celui de la défense, les consultations adressées par un avocat à son client ou destinées à celui-ci, les correspondances échangées entre le client et son avocat, entre l’avocat et ses confrères à l’exception pour ces dernières de celles portant la mention "officielle", les notes d’entretien et, plus généralement, toutes les pièces du dossier sont couvertes par le secret professionnel.

Et, tirant toutes les conséquences de ces dispositions, la Cour administrative d’appel de Versailles a annulé le jugement du tribunal administratif de Versailles et a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur les sociétés auxquelles la société a été assujettie au titre des exercices clos en 2011 et 2012.

Cette position de la Cour administrative d’appel est celle déjà exprimée par le Conseil d’État en la matière, dans un arrêt du 12 décembre 2018 (CE, 3e et 8 ch., 12 déc. 2018, n° 414088), dans lequel le Conseil d’Etat disait que les correspondances entre l’avocat et son client sont couvertes par le secret professionnel et que la révélation, sans accord du contribuable, d’une correspondance échangée avec son avocat vicie la procédure d’imposition.

L’ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client, et notamment les consultations juridiques rédigées par l’avocat à son intention, sont donc couvertes par le secret professionnel (loi 71-1130 du 31 décembre 1971, art. 65-5, dans sa rédaction issue de la loi 97-308 du 7 avril 1997).

Dans l’arrêt du 12 décembre 2018, au cours de la vérification de comptabilité d’une EURL, le vérificateur a pris connaissance dans les locaux de la société d’un certain nombre de documents, parmi lesquels figurait une consultation juridique adressée par l’avocat au gérant. Le document, qui a fondé l’imposition en litige, détaillait les conséquences, pour le gérant, sur ses revenus personnels, de l’opération envisagée de réduction du capital de la société, notamment en ce qui concerne la déchéance du sursis d’imposition d’une fraction de la plus-value d’apport dont il avait bénéficié en 2006.

En effet, le contribuable est gérant et unique associé d’une EURL constituée en 2006 par l’apport d’actions qu’il détenait dans une société et dont le capital a fait l’objet d’une réduction en 2009. L’administration fiscale a estimé que cette réduction de capital mettait fin au report d’imposition de la plus-value d’échange réalisée par le contribuable en 2006 et a procédé aux rectifications qui en résultaient pour le foyer fiscal de l’intéressé au titre de l’année 2009.

Le contribuable a demandé au tribunal administratif de Paris de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu et de prélèvements sociaux auxquelles il a été assujetti, estimant que l’administration fiscale a utilisé, pour le calcul du montant des impositions contestées, les informations protégées contenues dans une correspondance entre avocat et client. Le tribunal a rejeté sa demande et la cour administrative d’appel de Paris a rejeté l’appel qu’il a formé contre le jugement.

En cassation, après avoir rappelé d’abord que l’ensemble des correspondances échangées entre un avocat et son client, et notamment les consultations juridiques rédigées par l’avocat à son intention, sont couvertes par le secret professionnel et que la confidentialité des correspondances entre l’avocat et son client ne s’impose qu’au premier et non au second qui, n’étant pas tenu au secret professionnel, peut décider de lever ce secret, sans y être contraint, le Conseil d’Etat souligne que la circonstance que l’administration ait pris connaissance du contenu d’une correspondance échangée entre un contribuable et son avocat est sans incidence sur la régularité de la procédure d’imposition suivie à l’égard de ce contribuable dès lors que celui-ci a préalablement donné son accord en ce sens, mais qu’en revanche, la révélation du contenu d’une correspondance échangée entre un contribuable et son avocat vicie la procédure d’imposition menée à l’égard du contribuable et entraîne la décharge de l’imposition lorsque, à défaut de l’accord préalable de ce dernier, le contenu de cette correspondance fonde tout ou partie de la rectification.

Le Conseil d’Etat relève que le contribuable a immédiatement refusé toute prise de copie par le vérificateur de la consultation juridique en cause et que ces circonstances, qui démontrent l’absence, en l’espèce, d’accord préalable du contribuable à la remise du document en cause faisaient obstacle à ce que l’administration fiscale utilise, pour le calcul du montant des impositions contestées, les informations protégées contenues dans ce document.

Le Conseil d’Etat retient que le contribuable est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement qu’il attaque, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande. Il annule donc l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Paris qui a commis une erreur de droit en jugeant que la procédure était régulière au seul motif que l’information protégée avait été révélée par le bénéficiaire du secret professionnel, sans rechercher si le contribuable avait donné son accord préalable à cette révélation.

Arnaud Soton

Avocat fiscaliste

Professeur de droit fiscal