La société mère d'un groupe fiscalement intégré ne peut pas profiter des rehaussements apportés aux résultats individuels de l'une des sociétés membres du groupe pour solliciter, dans le délai spécial de réclamation, la prise en compte, pour le calcul de l'impôt d'ensemble dont elle est redevable, de crédits d'impôts attachés aux produits reçus ou dépenses exposées par d'autres sociétés du groupe.
HSBC (HSBC Bank PLC - Paris Branch) a constitué, en application de l'article 223 A du CGI, un groupe fiscalement intégré avec ses filiales. L'article 223 A du CGI permet en effet à une société mère de se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur l'ensemble des résultats du groupe formé par elle-même et les sociétés dont elle détient 95 % au moins du capital de manière continue au cours de l'exercice. HSBC est donc seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû en France sur le résultat d'ensemble du groupe formé avec les filiales françaises.
Estimant avoir commis, dans les modalités d'imputation et la détermination du montant de crédits d'impôt attachés, en application de la convention fiscale franco-chinoise, aux loyers de source chinoise, rémunérant des opérations de crédit-bail, perçus par vingt-trois de ces filiales, il a déposé une réclamation préalable 25 octobre 2017 pour demander à l’administration fiscale, la restitution de la fraction des cotisations d'impôt sur les sociétés acquittées au titre de l'exercice clos le 31 décembre 2010. La réclamation a été rejetée par l’administration au motif qu’elle a été déposée tardivement, soit après le délai de réclamation. En effet, pour l’administration fiscale, la proposition de rectification qui a été notifiée le 22 avril 2014 à sa filiale, la société HSBC France, portant uniquement sur le résultat individuel de cette dernière, n’ouvrait pas à la société mère, en application de l'article R. 196-3 du LPF, un nouveau délai pour demander la correction du montant, imputable sur le résultat d'ensemble du groupe, des crédits d'impôt forfaitaires attachés aux redevances de source chinoise perçues par vingt-trois autres de ses filiales.
Selon les dispositions de l’article R*196-1 du LPF, pour être recevables, les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts, doivent être présentées à l'administration au plus tard le 31 décembre de la deuxième année suivant celle, selon le cas, de la mise en recouvrement du rôle ou de la notification d'un avis de mise en recouvrement ; du versement de l'impôt contesté lorsque cet impôt n'a pas donné lieu à l'établissement d'un rôle ou à la notification d'un avis de mise en recouvrement ; de la réalisation de l'événement qui motive la réclamation. Le délai de réclamation est donc, en principe, au moins, de deux ans. En ce qui concernes les impôts locaux, le délai est d’un an au moins, conformément aux disposition de l’article R*196-2 du LPF selon lesquelles, les réclamations relatives aux impôts directs locaux et aux taxes annexes doivent être présentées à l'administration des impôts au plus tard le 31 décembre de l'année suivant celle de la mise en recouvrement. Une réclamation présentée avant le point de départ du délai de réclamation est prématurée. Mais une telle réclamation prématurée peut être régularisée par la production, à l'administration, d'une copie de l'avis d'imposition (CE sect. 4-1-1974 n° 87418).
Lorsque la réclamation est déposée suite à un contrôle fiscal ayant abouti à des rectifications, le contribuable dispose d’un délai qui est égal à celui du droit de reprise de l’administration fiscale, c’est-à-dire un délai d’au moins trois ans, conformément aux dispositions de l’article R* 196-3 du LPF, aux termes duquel, dans le cas où un contribuable fait l'objet d'une procédure de reprise ou de rectification de la part de l'administration des impôts, il dispose d'un délai égal à celui de l'administration pour présenter ses propres réclamations, autrement dit, le contribuable peut déposer une réclamation au plus tard le 31 décembre de la troisième année suivant celle au cours de laquelle est intervenue la proposition de rectification. Le délai spécial de réclamation s’applique même lorsque les rectifications ont été établies par voie de taxation d'office. Il faut remarquer dans cette hypothèse de délai spécial que lorsque l'imposition résulte d'une rectification opérée selon la procédure contradictoire, le point de départ du délai spécial de réclamation dont disposent les contribuables est constitué par la date de réception de la proposition de rectification et non pas, par la date de mise en recouvrement des impositions.
Au cas particulier, HSBC entendait profiter des rehaussements apportés aux résultats individuels de l'une des sociétés membres du groupe fiscalement intégré pour solliciter, dans le délai spécial de réclamation (délai de l’article R.* 196-3 du CGI), la prise en compte, pour le calcul de l'impôt d'ensemble dont elle est redevable, de crédits d'impôts attachés aux produits reçus ou dépenses exposées par d'autres sociétés du groupe. L'Administration s'y étant opposée, HSBC a saisi le tribunal administratif de Montreuil lui demandant de prononcer la restitution partielle des cotisations d'impôt sur les sociétés et de contributions additionnelles à cet impôt, acquittées au titre de l'exercice clos en 2010. Le tribunal ayant rejeté sa demande, il a fait appel devant la cour administrative d'appel de Paris qui a également rejeté la demande. Il se pourvoit alors en cassation devant le Conseil d’Etat qui a rejeté le pourvoi, en confirmant la position des juges du fond, position défendue par l’administration fiscale.
Le Conseil d’Etat rappelle que si la société mère d'un groupe fiscalement intégré peut se constituer seule redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur le résultat d'ensemble déterminé par la somme algébrique des résultats des sociétés du groupe, celles-ci restent soumises à l'obligation de déclarer leurs résultats et c'est avec ces dernières que l'administration fiscale mène les procédures de vérification de comptabilité et de rectification. Il en résulte, pour le Conseil d’Etat, que la notification régulière à une société membre d'un groupe fiscalement intégré des rehaussements apportés à son bénéfice imposable interrompt la prescription à l'égard de la société mère, en tant que redevable de l'impôt sur les sociétés dû sur le résultat d'ensemble du groupe, pour les seules impositions correspondant au résultat individuel de la société membre du groupe ayant fait l'objet d'une procédure de reprise.
Dans ces conditions, la société mère, en tant que redevable de l'impôt sur les sociétés de l'ensemble du groupe fiscalement intégré, ne peut se prévaloir du délai spécial de réclamation prévu à l'article R. 196-3 du LPF pour solliciter la correction de cet impôt d'ensemble à raison de la correction d'éléments concourant à sa détermination, propres à l'activité ou aux résultats de sociétés membres de ce groupe autres que la société ayant fait l'objet de la procédure de vérification et de rectification. Le délai spécial de réclamation n'est ouvert que pour les résultats individuels de la filiale et ne permet pas de corriger des éléments propres à l'activité ou aux résultats des membres du groupe autres que la filiale en cause, même si ces éléments ont eu une incidence sur l'impôt d'ensemble dont la société mère est redevable.
Cette solution qui est logique est à rapprocher de la solution déjà retenue par le Conseil d’Etat dans son arrêt du 26 janvier 2021 (Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 26/01/2021, 438217, Dr. fisc. 2021, n° 25), selon laquelle l'intégration ne permet pas une interprétation autre qu'individuelle des dispositions qui permettent à un contribuable soumis à une procédure de reprise ou de rectification de présenter une réclamation dans un délai égal à celui dont dispose l'administration.
Dans l’affaire de 2021, c’était le seul résultat propre de la société mère, et non celui d’une de ses filiales, qui avait été rectifié, sans que ne soit affecté le résultat individuel de l'une des sociétés membres. Le Conseil d’Etat avait alors jugé que la société mère ne pouvait invoquer le délai spécial de réclamation pour solliciter la restitution d'une fraction des cotisations d'impôt acquittées, afférente aux résultats de l'une des sociétés intégrées. En l’espèce, la société Vicat était la société-mère d'un groupe fiscalement intégré. En 2010, la société Parficim, société membre de ce groupe, avait perçu d'une filiale établie en Italie, des dividendes placés sous le régime fiscal des sociétés mères, et la société mère a déduit le montant de ces dividendes du résultat fiscal du groupe, à l'exception d'une quote-part de frais et charges fixée à 5 % de leur montant. Elle avait demandé, par la suite, la restitution de la fraction des cotisations d’IS correspondant à la quote-part de frais et charges afférente à ces dividendes et l'administration avait rejeté la réclamation, présentée le 22 décembre 2016, comme ayant été présentée tardivement.
Le Conseil d’Etat avait confirmé cette position de l’administration en jugeant que la notification régulière à la société mère d'un groupe fiscalement intégré de rehaussements apportés à son propre bénéfice imposable, en tant que société membre de ce groupe, ne lui permet de se prévaloir du délai de réclamation prévu à l'article R. 196-3 du LPF que pour les impositions correspondant à ses propres résultats individuels.
L'intégration fiscale ne fait donc pas disparaître l'individualisation des résultats de chaque membre constituant un groupe fiscalement intégré. Les délais de procédures sont propres à chaque membre du groupe fiscalement intégré.
Conseil d'État, 8ème - 3ème chambres réunies, 09/10/2024, 490195.
Arnaud Soton
Avocat fiscaliste
Professeur de droit fiscal
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