Dans un arrêt de cassation du 06/01/2024 (Cass. 2e civ., 6 janv. 2025, n° 22-15.627), la Cour de cassation apporte des précisions sur la répartition des compétences entre le juge de l’impôt (juge administratif ou juge judiciaire), et le juge judiciaire de l’exécution intervenant dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière.

Le contribuable qui n'est pas satisfait des décisions de l’administration fiscale  peut porter son problème devant le juge de l’impôt, ce dernier pouvant être, en fonction de l’impôt en cause, le juge administratif ou le juge judiciaire.

La répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction dans le cadre du contentieux de l’établissement des créances fiscales.

Le contentieux fiscal se partage entre je juge administratif et le juge judiciaire, même si l’essentiel de la matière relève de la compétence du juge administratif. L’article L 199 du Livre des procédures fiscales (LPF) est le siège de la répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction. Selon les dispositions de cet article, en matière d'impôts directs et de taxes sur le chiffre d'affaires ou de taxes assimilées, les décisions rendues par l'administration sur les réclamations contentieuses et qui ne donnent pas entière satisfaction aux intéressés peuvent être portées devant le tribunal administratif. En matière de droits d'enregistrement, d'impôt sur la fortune immobilière, de taxe de publicité foncière, de droits de timbre, de contributions indirectes et de taxes assimilées à ces droits, taxes ou contributions, le tribunal compétent est le tribunal judiciaire.

Pour faire simple, relèvent de la compétence du juge administratif, les impôts directs et la taxe sur la valeur ajoutée : impôts sur le revenu, impôts sur les sociétés, impôts directs locaux comme la taxe foncière et la taxe d’habitation, la CSG et CRDS sur les revenus du patrimoine et les revenus de placement. Ces impôts relevant de la compétence du juge administratif représentent plus de 95% du contentieux fiscal.

Relèvent, en revanche, de la compétence du juge judiciaire, les impôts indirects et l’impôt sur la fortune immobilière : droits d’enregistrement, droit de timbre, contributions indirectes et taxes assimilées telles que la taxe sur les véhicules de société, les droits de place dans les halles et marchés, les droits sur les alcools, la CSG et CRDS sur les revenus d’activité et de remplacement,  la taxe de publicité foncière, l’IFI. Le contribuable doit donc s’adresser, soit au tribunal administratif, soit au tribunal judiciaire, en fonction de l’impôt qui fait l’objet de contestation.

La répartition des compétences entre les deux ordres de juridiction dans le cadre du contentieux du recouvrement des créances fiscales.

C’est l’article L 281 du LPF qui répartit les compétences entre les deux ordres de juridiction en ce qui concerne le contentieux du recouvrement des créances fiscales. Aux termes de cet article, les contestations relatives au recouvrement ne peuvent pas remettre en cause le bien-fondé de la créance. Elles peuvent porter, soit sur la régularité en la forme de l'acte (1°), soit,  à l'exclusion des amendes et condamnations pécuniaires, sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée (2°). Les dispositions indiquent alors que les recours contre les décisions prises par l'administration sur ces contestations sont portés dans le cas prévu au 1° devant le juge de l'exécution, et dans les cas prévus au 2°, pour les créances fiscales, devant le juge de l'impôt prévu à l'article L 199.

Il ressort de ces dispositions que lorsqu’il porte sur la forme et la régularité des poursuites, le litige relève du juge de l’exécution. Lorsque qu’il porte sur l'obligation au paiement, sur le montant de la dette compte tenu des paiements effectués et sur l'exigibilité de la somme réclamée, le litige doit être porté devant le juge de l’impôt, étant entendu que ce juge de l’impôt peut être soit le juge administratif, soit le juge judiciaire, en fonction de la nature de la créance fiscale en application de l’article L. 199 du LPF. Il faut rappeler que seuls les actes de poursuites proprement dits tels que le commandement de payer, les saisies administratives à tiers détenteur ou  encore les saisies de meubles ou d'immeubles, peuvent faire l'objet d'une opposition aux poursuites au sens de l'article L 281 du LPF.

 

La compétence du juge administratif en l’espèce.

Au cas particulier, un couple de contribuables avait plusieurs dettes fiscales, en l’occurrence  une créance du SIP à hauteur de 349 750,58 euros et une créance du PRS à hauteur de 291 543 euros. Sur le fondement de plusieurs rôles relatifs à des  impôts directs, les impôts ont engagé des poursuites de saisie immobilière à l'encontre des contribuables. Ces derniers ont donc fait l’objet d’un commandement de payer par le comptable public valant saisie immobilière. Un jugement d'orientation a ordonné la vente forcée des biens saisis. Pour contester la procédure de saisie, les contribuables ont fait valoir la prescription de l’action en recouvrement.

En première instance, le juge de l’exécution a écarté sa compétence pour statuer sur cette question, estimant qu’elle relève de la compétence du juge administratif. Mais en appel, la cour d’appel de Paris (CA Paris, 17 mars 2022), a infirmé le jugement. Pour la cour d’appel, le juge de l’exécution a tout à fait compétence pour statuer sur cette fin de non-recevoir, quand bien même, les impositions en question sont des impôts directs.

L’administration fiscale se pourvoit en cassation et soutient que « le juge judiciaire est incompétent pour statuer sur la prescription des créances fiscales faisant l'objet du commandement de payer valant saisie immobilière dès lors que celles-ci relèvent de la compétence exclusive des juridictions administratives ; qu'en se déclarant néanmoins compétent pour statuer sur la prescription de l'action en recouvrement des créances fiscales au motif que le juge de l'exécution dispose de la compétence pour statuer sur une fin de non-recevoir, la cour d'appel de Paris a méconnu le principe de séparation des deux ordres de juridictions résultant de la loi des 16-24 août 1790 et a violé l'article L. 281 du livre des procédures fiscales, ensemble l'article L. 213-6 du code de l'organisation judiciaire. »

La Cour de cassation est donc invitée à répondre à la question de savoir quel est le juge compétent en l’espèce pour connaître de la prescription du recouvrement de l’impôt dans le cadre d’une saisie immobilière. Et pour la Cour de cassation, cela ne fait aucun doute, et contrairement à ce qu’a jugé la cour d’appel de Paris, c’est bien le juge administratif qui est compétent pour connaître de la prescription du recouvrement des impôts en cause dans le cadre d’une saisie immobilière. La Cour de cassation rappelle que  le juge administratif est seul compétent pour statuer sur la question de la prescription de l'action en recouvrement d'impôts directs.

Pour  infirmer le jugement, la cour d’appel retient que, contrairement à ce qu'a estimé le juge de l'exécution, ce dernier a le pouvoir de statuer sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription même si, par hypothèse, le créancier détient un titre exécutoire. Pour la Cour de cassation, en statuant ainsi, alors qu'elle n'était pas compétente pour statuer sur la contestation relative à la prescription de l'action en recouvrement des impositions concernées, la cour d'appel, qui aurait dû vérifier si cette question soulevait ou non une difficulté sérieuse justifiant de saisir la juridiction administrative d'une question préjudicielle, a violé les textes susvisés. C’est une décision plutôt logique et c’est donc fort logiquement que  l'arrêt rendu le 17 mars 2022 par la cour d'appel de Paris a été cassé sur ce point.

Cour de cassation, civile, Chambre civile 2, 16 janvier 2025, 22-15.627, Publié au bulletin.

Arnaud Soton

Avocat fiscaliste

Professeur de droit fiscal