Aux termes de l’article 1341-2 du code civil, le créancier peut aussi agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits, à charge d'établir, s'il s'agit d'un acte à titre onéreux, que le tiers cocontractant avait connaissance de la fraude.

Cette action, qualifiée d’action paulienne, vise ainsi à rendre inopposable à un créancier l’acte fait par l’un de ses débiteurs en fraude de ses droits. C’est ainsi que le contribuable qui donne la nue-propriété d’un immeuble, alors qu’il a reçu une proposition de rectification de l’administration fiscale en vue d’impôts supplémentaires, s’appauvrit volontairement, et le fisc peut exercer l’action paulienne afin que la donation lui soit déclarée inopposable.

Par exemple, dans une affaire jugée par la Cour de cassation le 01/07/2020, dans laquelle un commerçant donne la nue-propriété d’un immeuble lui appartenant à sa fille, et que, se prévalant d’une créance de suppléments d’impôts révélée à la suite d’une procédure de vérification de la comptabilité du commerçant, l’administration fiscale invoque une fraude paulienne, la Cour de cassation a retenu que la donation litigieuse était inopposable au Trésor public qui était fondé à poursuivre le recouvrement de sa créance entre les mains de la fille du contribuable (Cass. com. 01/0//2020, no 18-12.683).

De même, des donations consenties par le contribuable peu de temps après l'engagement contre lui de poursuites pénales pour fraude fiscale, susceptibles d'aboutir à la mise en jeu de sa responsabilité pécuniaire, peuvent être déclarées inopposables au Trésor public dès lors que les actes en cause ne s'expliquent que par la volonté de l'intéressé d'organiser son insolvabilité en soustrayant une partie de ses biens aux poursuites de son créancier futur. L’argument de l’intéressé poursuivi devant le juge pénal pour une fraude fiscale, consistant à soutenir que sa condamnation ne présentait qu'une faculté pour la juridiction répressive, et  qu’il n'y avait donc, selon lui, ni principe certain de créance, ni créance future contre lui au moment de la passation des actes, mais seulement une créance éventuelle, ne peut être retenu (Cass. com. 16/07/1991 n° 1115). 

La fraude paulienne n'implique pas nécessairement l'intention de nuire ; elle résulte de la seule connaissance ou conscience que le débiteur et son cocontractant à titre onéreux ont causé du préjudice au créancier par l'acte litigieux. De même, elle suppose que l'acte critiqué a rendu le débiteur insolvable ou a augmenté son insolvabilité.

La fraude, condition nécessaire pour l'exercice de l'action paulienne, résulte de la seule connaissance par le débiteur du préjudice qu'il cause au créancier en passant un acte ayant pour effet de créer ou d'aggraver son insolvabilité.

Dans tous les cas cette action paulienne se prescrit par 5 ans à compter de la publication de l’acte au service de la publicité foncière lorsque l’acte attaqué consiste en un acte de donation-partage portant sur un bien immobilier. C’est ce qui ressort de l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 08/12/2021 (Cass. civ., 3e ch., 08/12/2021, n° 20-18432).

Au cas particulier, une associée d'une société en nom collectif, s'est portée caution solidaire de cette société au profit de la caisse régionale de Crédit agricole mutuel de Normandie (la CRCAM). Par acte authentique du 12 juillet 2011, publié au service de la publicité foncière le 7 septembre suivant, cette associée a consenti à ses deux enfants, une donation-partage de la nue-propriété d'un immeuble d'habitation lui appartenant.

Après la liquidation judiciaire de la société et la condamnation de la caution, la banque a assigné l’associée et sa fille en inopposabilité de la donation-partage. Cependant, la Cour d’appel a déclaré cette action irrecevable comme prescrite pour n’avoir pas été exercée dans le délai de 5 ans à compter du 7 septembre 2011, date de la publication de l’acte de donation-partage au service de la publicité foncière.

La banque se pourvoit en cassation au motif que la publication de l’acte porté ainsi à la connaissance des tiers ne fait pas, à elle seule, courir le délai de la prescription, et que si le délai de la prescription de l’action paulienne suppose, pour commencer de courir, que le créancier connaisse, ou doive à tout le moins connaître, l’existence de l’acte qu’il entend déclarer inopposable à son endroit, la Cour d’appel ne justifie pas que le créancier avait ou aurait dû avoir le 7 septembre 2011, la connaissance effective de la donation-partage du 12 juillet 2011.

Mais le pourvoi est rejeté par la Cour de cassation qui estime que l’action paulienne, qui vise à rendre inopposable à un créancier l’acte fait par l’un de ses débiteurs en fraude de ses droits, est une action de nature personnelle soumise à la prescription de droit commun de 5 ans qui court à compter du jour où le créancier a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Ainsi dans le cadre d’un acte de donation-partage portant sur un bien immobilier, c’est la publication de l’acte au service de la publicité foncière qui constitue le point de départ de l’action paulienne, en l’espèce, prescrite.

La Cour de cassation rappelle qu’il est jugé que ce n'est que lorsque la fraude du débiteur a empêché le créancier d'exercer son action que le point de départ en est reporté au jour où il a effectivement connu l'existence de l'acte fait en fraude de ses droits (3e Civ., 12 novembre 2020, pourvoi n° 19-17.156, en cours de publication).

Il faut remarquer que dans le cas d’une cession, le créancier dispose de l'action paulienne lorsque la cession, bien que consentie au prix normal, a pour effet de faire échapper un bien aux poursuites en le remplaçant par des fonds plus aisés à dissimuler et, en tout cas, plus difficiles à appréhender. C’est le cas lorsque, objet de poursuites en recouvrement d'impôts, une société vend le fonds de commerce dont elle est propriétaire à l'épouse de son gérant et ainsi favorise sciemment l'évasion du seul élément d'actif garantissant la créance fiscale en y substituant une somme d'argent facile à dissimuler, et que, nécessairement consciente de l'opération et des fins poursuivies, l'acheteuse ne pouvait avoir ignoré la fraude commise par son mari (Cass. com. 1-3-1994 n° 524).

Cass. civ., 3e ch., 8 décembre 2021, n° 20-18432.

Arnaud Soton

Avocat Fiscaliste

Professeur de droit fiscal