L’adoption internationale revêt souvent l’aspect d’un parcours du combattant. En effet, pour qu’un enfant étranger puisse être adopté en France – ou que l’adoption prononcée à l’étranger soit prise en considération par les institutions françaises – il faut que la loi personnelle des adoptants le permette mais encore que la loi personnelle de l’enfant le permette aussi (art. 370-3 § 1er et 2 du code civil. La Cour de Cassation en a justement déduit qu’elle ne pouvait prononcer l’adoption (simple ou plénière) d’un enfant simplement recueilli dès lors que sa loi personnelle prohibe l’adoption alors qu’il n’est pas né et ne réside pas habituellement en France (Cass Civ 1ère 10 octobre 2006 B. I n° 431). Tel n’est pas toujours le cas en ce qui concerne les enfants originaires des pays d’Afrique du Nord puisque les législations de ces États prohibent l’adoption qui ne serait pas conforme à la vision coranique de la famille essentiellement fondée sur la consanguinité et l’alliance. De fait, l’Algérie et le Maroc prohibent l’adoption. Il en est de même de la Mauritanie. Il existe une institution voisine la « kafala » qui s’apparente davantage à une délégation de l’autorité parentale mais ne constitue pas une adoption au sens du droit français même si l’institution de la kafala est considérée par la convention de New York comme préservant au même titre que l’adoption l’intérêt supérieur de l’enfant. La Tunisie fait exception à la règle puisque la loi n° 1958-0027 du 4 mars 1958 régit la matière en ses articles 8 à 17. Littéralement, l’adoption en droit tunisien est assez proche de l’adoption que nous connaissons en droit français. Elle prévoit cependant que le recueil de consentement du ou des parents de l’adopté est effectué par le juge cantonal. par ailleurs, la formule de l’article 10 § 2 qui prévoit que « un tunisien peut adopter un étranger » permet d’en déduire, a contrario qu’un couple d’étrangers ne peut adopter un enfant tunisien. Une fois l’adoption prononcée par les autorités locales, se pose le problème de son effet en France.
Les décisions d’adoption prononcées à l’étranger produisent immédiatement tous leurs effets en France sans qu’il soit nécessaire de leur accorder un exequatur. Cela veut donc dire qu’une décision d’adoption prononcée à l’étranger produit, sans qu’elle soit soumise à un contrôle juridictionnel quelconque en France, des effets de plein droit et cela dès son prononcé à l’étranger, indépendamment de toute mesure de transcription ou de publicité : c’est l’effet immédiat de plein droit des décisions étrangères rendues en matière d’état des personnes. Cette efficacité immédiate est subordonnée à la régularité internationale de la décision : il faut que le juge qui a prononcé l’adoption ait été internationalement compétent, que la décision ne soit pas contraire à l’ordre public, qu’elle applique la bonne loi et enfin qu’il n’y ait pas eu fraude. Comme cette irrégularité internationale peut toujours être recherchée par toute personne qui aurait intérêt, il peut être opportun de « purger » la décision en la faisant transcrire car à cette occasion, le Parquet vérifiera ces différents points.
En matière d’adoption d’un enfant tunisien, le parquet de Nantes auquel incombe cette vérification refuse la transcription des jugements d’adoption plénière. Il se fonde pour cela sur un arrêt rendu le 14 février 1980 par la Cour d’appel de Tunis qui a affirmé, alors même que l’article 13 § 3 de la loi tunisienne exprime clairement que le jugement ainsi rendu est définitif, que le consentement venant soutenir le jugement d’adoption serait révocable par le consentement mutuel des parties en cause. L’adoption tunisienne ne serait donc pas, aux yeux du Parquet nantais, irrévocable et ne pourrait donc être assimilée, dans ces effets, à une adoption plénière telle que prévue dans notre législation. Pourtant, s’agissant des adoptions prononcées à partir de l’institution tunisienne de protection de l’enfance (I.N.P.E.), il sera observé que l’attestation qui est délivrée par la directrice de cet organisme dans le cadre de cette procédure, mentionne expressément que le consentement a été donné librement, était éclairé en ce qui concerne les conséquences de l’adoption et le caractère complet et irrévocable de la rupture, postérieurement à la naissance de l’enfant et ce sans contrepartie, ce qui est la reprise des exigences de la loi française en matière d’adoption plénière telles qu’énoncées à l’article 370-5 du code civil.
C’est dans ces conditions que par un jugement rendu le 23 février 2015, le Tribunal de Grande Instance de Toulouse siégeant en chambre du conseil a considéré que l’abandon judiciairement constaté de l’enfant par sa mère avant même le début de la procédure d’adoption avait rompu tout lien de droit entre eux et que le caractère circonstancié du consentement avait été donné par la directrice de l’I.N.P.E., en pleine connaissance de cause des conséquences de l’adoption plénière de l’enfant en droit français. En conséquence, il a dit que l'adoption prononcée par le juge cantonal tunisien avait en France les effets d'une adoption plénière.
Le 30 janvier 2017, le Tribunal de Grande Instance de Grenoble a fait droit, sur les mêmes arguments, à semblable requête et prononcé l'adoption plénière d'une enfant adoptée en Tunisie. Il en a été de même par un jugement du Tribunal de Grande Instance d'Evry en date du 14 mai 2019 ... et encore plus récemment par celui de Bordeaux.
Plus récemment encore et postérieurement à l'arrêt de la 1ère chambre de la Cour de Cassation du 16 décembre 2020 (pourvoi 19-22.103) le Tribunal Judiciaire de Melun a accepté de prononcer la conversion en adoption plénnière d'une adoption prononcée en Tunis et qui avait fait précédemment l'objet d'une décision d'exequatur lui conférant en France les effets d'une adoption simple.
Cette décision souvent présentée comme un coup d'arrêt a mon analyse ne fait, en réalité que la confirmer : le juge de l'exequatur n'est pas le juge de l'adoption, la cour de cassation valide l'interprétation restrictive de la Cour d'appel de Rennes en relevant que "la cour d’appel de Rennes, qui n’est pas saisie d’une demande de conversion de l’adoption simple en adoption plénière mais d’une demande de transcription, en déduit exactement que la décision tunisienne produirait en France les effets d’une adoption simple".
En clair : si vous voulez que l'adoption tunisienne ait en France les effets d'une adoption plénière, il faut le demander expressément.
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