La réforme de la responsabilité des plateformes avance à grands pas, puisque la loi de transposition est prête à être examinée à l’assemblée nationale, et un travail commun du CSPLA, du CNC et de la HADOPI sur les outils de reconnaissance de contenus pour permettre la mise en œuvre de cette réforme est en cours.

La réforme de la responsabilité des plateformes a déclenché un très vif débat l’an dernier entre partisans d’un internet libre et défense de la liberté d’expression d’une part, position largement soutenue par les « GAFA » (Google, Apple, Facebook et Amazon); et une demande de rémunération des titulaires de droits d’auteur et de droits voisins pour l’exploitation de leurs œuvres, d’autre part, position soutenue par les auteurs et les sociétés de gestion collective notamment.

L’article 17 de la directive droit d’auteur dans le marché unique numérique du 17 avril 2019 n°2019/790 a finalement abouti à un compromis.

Lorsque la loi de transposition sera adoptée (projet de loi communication audiovisuelle et souveraineté culturelle à l’heure du numérique), en principe d’ici la fin de l’année, les plateformes seront responsable de la diffusion de contenus protégés par un droit d’auteur sauf si elles démontrent avoir fait leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation ou bloquer ou retirer les contenus.

La mise en œuvre de la réforme implique l’usage par les plateformes d’outils de reconnaissance de contenus. Le rapport conjoint du CSPLA, du CNC et de la HADOPI vise justement à clarifier les outils disponibles.

Une nouvelle mission conjointe entre ces institutions a été lancée le 29 avril pour approfondir les éléments du premier rapport, et s’inscrire dans le calendrier européen.

Il s’agit donc de faire le point sur cette actualité.

1 – Les plateformes sont considérées, aujourd’hui encore, comme des hébergeurs et bénéficient d’un régime de responsabilité très allégé

En effet, jusqu’à présent, les plateformes bénéficiaient de la responsabilité atténuée des hébergeurs (art. 6-I de la LCEN – loi pour la confiance dans l’économie numérique n°2004-575 du 21 juin 2004), c’est-à-dire qu’elles n’étaient pas responsables de la diffusion des contenus illicites, sauf si ces contenus étaient signalés, elles devaient alors vérifier la réalité des allégations et retirer promptement les contenus s’ils étaient effectivement illicites. Ce régime reste applicable jusqu’à l’adoption de la loi de transposition.

2 – Avec la réforme, les plateformes seront responsables de la diffusion de contenus non autorisés sauf si elles ont fait leurs meilleurs efforts pour éviter la diffusion de tels contenus. La responsabilité des plateformes reste donc limitée.

L’article 17 de la directive droit d’auteur dans le marché unique numérique du 17 avril 2019 (ci-après la directive) réforme ce régime et pose le principe du recueil des autorisations des titulaires de droits par les plateformes lorsqu’un utilisateur téléverse un contenu protégé.

  • La définition des personne concernées par ce nouveau régime de responsabilité

La directive utilise le terme de fournisseur de service de partage de contenus en ligne, notion définie en son article 2.6. comme « le fournisseur d’un service de la société de l’information dont l’objectif principal ou l’un des objectifs principaux est de stocker et de donner au public l’accès à une quantité importante d’œuvres protégées par le droit d’auteur ou d’autres objets protégés qui ont été téléversés par ses utilisateurs, qu’il organise et promeut à des fins lucratives ». Sont exclus de ce régime, les encyclopédies en ligne à but non lucratif, les plateformes de développement et de partage de logiciels libres, les marketplaces et certains services de cloud, notamment.

Des commentateurs ont relevé le caractère imprécis de cette définition, notamment sur le critère de l’objectif principal (voir A. Bensamoun, l’article 17 de la Digital Single Market ou comment la légitimité d’un droit se pare des atours de la valse, Légipresse 2019 page 89). Le considérant 63 de la directive indique des critères quantitatifs : audience du service et nombre de fichiers de contenus protégés téléversés par les utilisateurs.

Le projet de loi de transposition reprend à l’identique la définition de la directive et précise le critère de la quantité importante d’œuvres protégées en disant qu’il « tient compte notamment du nombre de fichiers de contenus protégés téléversés par les utilisateurs du service, du type d’œuvres téléversées et de l’audience du service ». Un critère qualitatif est ajouté, le type d’œuvres téléversées. Pour l’application de cet article, il est renvoyé à un décret en Conseil d’Etat, en effet, les critères restent assez flous…

  • La responsabilité des plateformes ne devrait être que rarement engagée

A défaut d’autorisation, la responsabilité de la plateforme peut être engagée, sauf si elle démontre qu’elle a fourni ses meilleurs efforts pour obtenir une autorisation ou pour garantir l’indisponibilité de l’œuvre sur la plateforme. En tout état de cause, la plateforme devra démontrer que dès réception d’une notification motivée, elle a bloqué ou retiré les contenus contrefaisants.

Ce régime de responsabilité est encore allégé pour les plateformes de moins de trois ans et présentant un chiffre d’affaire annuel inférieur à 10 millions d’euros.

Ainsi, si les plateformes adoptent des outils efficaces, et qu’elles mettent en place un suivi sérieux des plaintes des titulaires de droit lorsque des contenus contrefaisants sont identifiés, elles ne devraient pas voir leur responsabilité engagée. Rappelons que le suivi de ces plaintes ne peut être entièrement automatisé.

Les exceptions au droit d’auteur et notamment la parodie, le pastiche et la caricature restent applicables, notamment pour la création de gifs.

La directive ne pose aucune obligation générale de surveillance et les titulaires de droits devront coopérer avec les plateformes en fournissant toutes les informations pertinentes pour que celle-ci soient en mesure de repérer les contenus contrefaisants.

Ainsi, le texte a tenté de trouver un équilibre entre la nécessité pour les auteurs d’être rémunérés pour leur création et le maintien de l’attractivité et de la richesse de contenu des plateformes.

3 – La loi de transposition de l’article 17 de la directive sera prochainement examinée par l’assemblée nationale en première lecture.

Les articles 16 et 17 du projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle (ci-après la loi de transposition) visent à transposer l’article 17 de la directive. Le texte de transposition, tel qu’il est présenté aujourd’hui devant l’Assemblée nationale, après son passage en commission culture, est très proche de celui de la directive.

Deux innovations du projet de loi paraissent à noter : la précision sur la définition des fournisseurs de service de partage de contenus en ligne évoquée ci-dessus d’une part ; et l’exclusion du champ d’application de ce texte des plateformes « dont l’objet principal est de porter atteinte aux droits d’auteurs et aux droits voisins » (amendement commission culture n°AC1266 ajouté à la fin de l’article L137-1 I al.2) d’autre part.

Sur ce dernier point, la précision parait, en première analyse, redondante. En effet, on ne voit pas comment une plateforme, dont l’objet est de présenter des contrefaçons d’œuvres (on pense aux plateformes de streaming et téléchargements illicites) pourrait démontrer qu’elle a fourni ses meilleurs efforts pour obtenir les autorisations de reproduction et de représentation… De plus, ces plateformes ne bénéficieraient-elles pas alors du régime de l’hébergeur (art. 6-I LCEN) donc d’un régime de responsabilité plus léger ?

4 – La mise en œuvre de la réforme de la responsabilité des plateformes passe par l’identification et la généralisation de dispositifs de reconnaissance de contenus sur les plateformes, objet du rapport conjoint du CSPLA, du CNC et de la HADOPI.

Pour pouvoir mettre en œuvre l’article 17 de la directive, il est impératif que les plateformes disposent de techniques de reconnaissance de contenu pour pouvoir démontrer qu’elles ont fait leurs meilleurs efforts pour obtenir les autorisations des ayants droits ou pour bloquer ou retirer les contenus non autorisés, et ainsi ne pas engager leur responsabilité.

Pour identifier les dispositifs techniques aujourd’hui disponible, le CSPLA, le CNC et la HADOPI se sont saisis du sujet et ont produit un premier rapport sur les outils de reconnaissance de contenus (rendu le 29 janvier 2020) pour permettre la mise en œuvre rapide de cette profonde réforme et ont annoncé engager une deuxième mission pour approfondir cette question le 29 avril 2020.

  • Le rapport du CSPLA, du CNC et de la HADOPI montre que les plateformes ont largement adopté l’empreinte numérique pour reconnaître les contenus audiovisuels et musicaux et qu’il y a déjà des accords existants

Il ressort de ce premier rapport rendu le 29 janvier 2020 que la technique de l’empreinte numérique est la solution la plus répandue pour les contenus musicaux et audiovisuels. Elle est notamment utilisée par Youtube, Facebook et Dailymotion. Les plateformes peuvent avoir intégré l’outil elles-mêmes ou avoir recours à un prestataire.

Dans le secteur de la musique, il existe déjà des accords entre les principales sociétés de gestion collective, particulièrement la SACEM, et les principales plateformes, par exemple Youtube (accord Youtube – Sacem de 2010) permettant la rémunération des titulaires de droit. Dans le secteur de l’audiovisuel également (accords entre Youtube, Dailymotion et les sociétés de gestion collective du secteur, la SACD et la SCAM permettant la rémunération des auteurs).

En revanche, dans ces deux secteurs, les sociétés de gestion collective souhaitent avoir une meilleure remontée d’information sur l’exploitation effective des contenus et donc la rémunération correspondante pour les titulaires de droits.

  • Pour les autres types de contenu, les plateformes n’ont pas développé de solution de reconnaissance des œuvres protégées.

Dans le secteur de la photographie et des arts visuels, confronté notamment à des usages illicites par des plateformes telles que Pinterest, Instagram, Facebook, Tumblr ou encore Twitter, les plateformes n’ont pas mis en place d’outils de reconnaissance de contenus. Pour le moment, des sociétés de gestion collective telles que l’ADAGP ou la SAIF, ont constitué des bases de données d’œuvres de leurs catalogues avec des techniques d’empreintes. Mais les plateformes pourraient décider d’avoir recours à d’autres techniques telles que marquage, recours à l’intelligence artificielle ou recherche sur la base de métadonnées.

Les auteurs du rapport précisent que les éditeurs de presse sont également concernés puisqu’ils disposent désormais d’un droit voisin (article 15 de la directive et loi n°2019-775 du 24 juillet 2019 tendant à créer un droit voisin au profit des agences de presse). Le partage des contenus de presse sur les plateformes est donc désormais soumis à autorisation des titulaires de droit. Aujourd’hui, les plateformes ne déploient pas d’outils de reconnaissance de contenus pour les contenus de presse. Il faudra donc déterminer le contenu de la notion de meilleurs efforts pour ce secteur.

Dans le domaine du livre,  des livres audios et des fichiers reproduisant des livres partiellement ou entièrement sont diffusés sur des réseaux sociaux. Aujourd’hui les plateformes ne déploient pas d’outils de reconnaissance de contenus. Il n’y a donc pas d’usages existants pour définir les meilleurs efforts.

  • Une nouvelle mission pour approfondir la question a été lancée le 29 avril par les mêmes institutions.

Le CSPLA, le CNC et la HADOPI ont souhaité lancer une nouvelle mission pour approfondir les éléments du premier rapport, et s’inscrire dans le calendrier européen car la Commission doit ouvrir une consultation au cours des prochains mois afin d’élaborer des orientations sur la mise en oeuvre des obligations des plateformes prévues par l’article 17 de la directive.

Nous suivrons les étapes du vote de la loi de transposition et les nouveaux travaux du CSPLA, du CNC et de la HADOPI sur la mise en oeuvre de cette réforme.

Blandine CORNEVIN, Avocat à la Cour