La CEDH en condamnant aujourd'hui une nouvelle fois la France en raison du refus de transcription des actes de naissance d’enfants nés dans le cadre d’une GPA vient de rendre, après 7 ans de procédure, aux enfants BOUVET et FOULON, que je défends, leur dignité juridique et leur citoyenneté (contrairement à ce qu’avait fait la Cour de cassation le 13 septembre 2013 en refusant cette même dignité juridique). Une fois de plus et malheureusement - pourrrait-on dire - c’est la CEDH qui rappelle à la France le nécessaire respect de la Convention européenne des droits de l’Homme. Les familles BOUVET et FOULON sont très satisfaites de la décision rendue, ce jour. Elles souhaitent que le Garde des Sceaux, supérieur hiérarchique du parquet de Nantes, lui donne toute instructions utiles pour que la transcription des actes de naissance de leurs enfants soit ordonnée et effectuée afin de rendre effective la décision de la CEDH et mettre ainsi un terme à 7 ans d'indignité et de souffrances inutiles.

Voici les extraits pertinents de l'arrêt:

A.Sur les déclarations unilatérales du Gouvernement

41. Par des lettres du 13 novembre 2015, auxquelles se trouve joint le texte de déclarations unilatérales, le Gouvernement invite la Cour à rayer les requêtes du rôle en application de l’article 37 § 1 c) de la Convention.

42. Ayant examiné les termes de ces déclarations unilatérales, la Cour estime qu’elles n’offrent pas une base suffisante pour conclure que le respect des droits de l’homme n’exige pas la poursuite de l’examen des requêtes. Elle constate en particulier que, si le droit positif français a évolué depuis qu’elle a adopté les arrêts Mennesson et Labassee précités (voir les paragraphes 36-38 ci-dessus), des interrogations subsistent quant à la situation des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui lorsque, comme en l’espèce et dans ces deux affaires, les juridictions françaises ont rendu une décision définitive annulant ou refusant la transcription de leurs actes de naissance étrangers dans les registres français (voir les paragraphes 52-54 et 56 ci-dessous). La procédure relative à l’exécution des arrêts Mennesson et Labassee est du reste toujours pendante devant le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.

43. Partant, la Cour rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation des requêtes du rôle.

B. Sur la recevabilité

44. La Cour constate que les requêtes ne sont pas manifestement mal fondées au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elles ne se heurtent par ailleurs à aucun autre motif d’irrecevabilité. Elle les déclare donc recevables.

C. Sur le fond

1. Thèses des parties

a) Les requérants

45. Les requérants soulignent que leur situation est similaire à celle des familles Mennesson et Labassee (arrêts précités). Ils estiment que l’ingérence dans leur droit au respect de leur vie privée et familiale qu’ils dénoncent ne poursuivait aucun des buts légitimes énumérés au second paragraphe de l’article 8, et qu’elle n’était pas nécessaire dans une société démocratique.

46. S’agissant de l’atteinte à leur droit au respect de leur vie familiale, ils mettent l’accent sur le fait que les enfants soupçonnés d’être nés à l’étranger d’une gestation pour autrui sont confrontés à des obstacles concrets majeurs en raison de l’absence de reconnaissance en droit français de leur lien de filiation et se trouvent dans une situation juridique incertaine. Premièrement, les arrêts de la Cour de cassation du 3 juillet 2015 n’auraient pas levé les obstacles à la transcription de leurs actes de naissances étrangers, en raison notamment de l’attitude du Parquet compétent. Deuxièmement, ils auraient les plus grandes difficultés à obtenir une carte d’identité ou un passeport français. Troisièmement, nombre d’entre eux ne parviendraient toujours pas à obtenir un certificat de nationalité, malgré la circulaire du 25 janvier 2013 (Mennesson, précité, § 36 ; Labassee, précité, § 27) et l’arrêt du Conseil d’État du 12 décembre 2014. Quatrièmement, les enfants ainsi que les parents d’intention seraient confrontés à des difficultés récurrentes devant toutes les administrations, qui réclameraient systématiquement un acte de naissance transcrit ou des documents non prévus par la loi, que ce soit pour les inscriptions à l’école, la perception de prestations sociales, l’inscription à la sécurité sociale ou pour l’obtention d’un congé parental. Cinquièmement, les parents d’intention rencontreraient de nombreuses difficultés quant à l’exercice de l’autorité parentale, et les droits successoraux des enfants à leur égard seraient amoindris. Les requérants observent que la cour d’appel et la Cour de cassation n’ont pris en compte ni leur situation concrète, ni les obstacles pratiques auxquels ils se trouvent confrontés, ni l’intérêt supérieur de l’enfant.

47. S’agissant de l’atteinte à leur droit au respect de leur vie privée, les requérants renvoient aux conclusions de la Cour dans les affaires Mennesson et Labassee précitées. Ils font valoir que l’ingérence qu’ils dénoncent a pour effets : de nier la filiation des deuxième, quatrième et cinquième requérants valablement établie en Inde et de les priver de la possibilité de se voir reconnaître la nationalité française, d’hériter de leur père en l’absence de legs ou de testament ou d’hériter de lui dans les mêmes conditions qu’un enfant disposant d’un acte de naissance français, et d’établir la substance de leur identité ; de priver le premier requérant de la titularité de l’autorité parentale.

48. Les requérants rappellent ensuite que le Gouvernement a l’obligation de mettre fin à la violation de l’article 8 de la Convention, qui ne cessera selon eux que lorsque les actes de naissance des deuxième, quatrième et cinquième d’entre eux seront transcrits et que l’annulation de la reconnaissance de paternité du premier d’entre eux sera privée d’effet. Ils soulignent que, contrairement à ce que soutient le Gouvernement, l’autorité de la chose jugée n’y fait pas obstacle.

49. Enfin, les troisième, quatrième et cinquième requérants contestent la thèse du Gouvernement selon laquelle, si l’autorité de la chose jugée fait obstacle à la transcription des actes de naissance des quatrième et cinquième d’entre eux, elle n’empêche pas de faire établir leur lien de filiation par la reconnaissance de paternité ou la possession d’état. Sur le premier point, ils rappellent que le troisième requérant a déjà fait une reconnaissance de paternité (le 31 mars 2010), et soulignent que c’est l’acte de naissance qui établit la filiation, la reconnaissance de paternité ne faisant que renforcer cette filiation. Sur le second point, ils rappellent que la Cour de cassation a jugé le 6 avril 2011 que le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes fait obstacle aux effets en France d’une possession d’état lorsque la filiation est la conséquence d’une convention portant sur la gestation pour le compte d’autrui, fût-elle licitement conclue à l’étranger, en raison de la contrariété à l’ordre public international français d’une telle convention. Ils ajoutent qu’aux termes de l’article 311-2 du code civil, la possession d’état doit être continue, paisible et non équivoque, et que la circulaire de présentation de l’ordonnance no 759-2005 du 4 juillet 2005 portant réforme de la filiation, du 30 juin 2006, indique que le caractère équivoque peut notamment résulter d’une fraude ou d’une violation de la loi, ajoutant qu’il peut en aller ainsi lorsque la possession d’état est invoquée pour contourner les règles régissant la gestation pour le compte d’autrui. Les requérants précisent de plus que la possession d’état et la reconnaissance de paternité ne permettent pas à l’enfant de disposer d’un acte de naissance français.

b) Le Gouvernement

50. Le Gouvernement déclare ne contester ni que les relations en cause relèvent de la vie privée et familiale, ni que le refus de procéder à la transcription des actes de naissance sur le registres de l’état civil et l’annulation de la reconnaissance de paternité puissent être regardés comme une ingérence dans la vie familiale. Notant par ailleurs que les requérants ne contestent pas que cette ingérence est prévue par la loi, il observe que la question qui se pose à la Cour est celle de la légitimité de l’ingérence et de sa proportionnalité par rapport aux buts poursuivis.

51. Le Gouvernement souligne ensuite que, si la Cour de cassation a en l’espèce refusé la transcription des actes de naissance au motif que la convention de gestation pour autrui était entachée d’une nullité d’ordre public, elle a, le 3 juillet 2015, opéré un revirement de jurisprudence : en présence d’un acte étranger établi régulièrement selon le droit local et permettant d’établir le lien de filiation avec le père biologique, plus aucun obstacle ne peut être opposé à la transcription de la filiation biologique. Il indique que, le 7 juillet 2015, la garde des Sceaux a adressée aux parquets concernés une dépêche indiquant qu’il convenait de procéder à la transcription des actes de naissance étrangers des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui, sous réserve de leur conformité à l’article 47 du code civil.

52. Le Gouvernement ajoute cependant que cette évolution jurisprudentielle ne peut s’appliquer aux demande de transcription ayant déjà fait l’objet d’une décision juridictionnelles de refus ou d’annulation de transcription revêtues de l’autorité de la chose jugées, comme c’est le cas en l’espèce. Du fait de l’identité de cause et de parties, au sens de l’article 1351 du code civil, une nouvelle demande de transcription se heurterait à l’autorité de la chose jugée, règle fondamentale de la procédure civile française, garante de sécurité juridique et d’une bonne administration de la justice en ce qu’elle réduit le risque de manœuvres dilatoires et favorise un jugement dans un délai raisonnable.

53. Le Gouvernement précise toutefois que, à la suite du revirement de jurisprudence opéré le 3 juillet 2015 par la Cour de cassation, les troisième, quatrième et cinquième requérants ont la possibilité d’établir leur lien de filiation par la voie de la reconnaissance de paternité (article 316 du code civil) ou de la possession d’état (article 317 du code civil) ; selon lui, « ces voies juridiques paraissent aujourd’hui envisageables compte tenu des évolutions jurisprudentielles actuelles ». Cela ne serait en revanche pas possible pour les premier et deuxième requérants, l’autorité de la chose jugée de la décision relative à l’annulation de la reconnaissance de paternité effectuée par le premier d’entre eux faisant obstacle à la mise en œuvre d’autres modalités d’établissement de la filiation biologique.

54. En conclusion, le Gouvernement déclare réfléchir à la possibilité d’une procédure de révision en matière civile afin d’apporter une solution à ce type de situation.

2. Appréciation de la Cour

55. La Cour constate que la situation des requérants en l’espèce est similaire à celle des requérants dans les affaires Mennesson et Labassee précitées, dans lesquelles elle a jugé qu’il n’y avait pas eu violation du droit au respect de la vie familiale des requérants (les parents d’intention et les enfants concernés), mais qu’il y avait eu violation du droit au respect de la vie privée des enfants concernés.

56. La Cour prend bonne note des indications du Gouvernement selon lesquelles, postérieurement à l’introduction des présentes requêtes et au prononcé des arrêts Mennesson et Labassee précités, la Cour de Cassation a, par deux arrêts du 3 juillet 2015, procédé à un revirement de jurisprudence. Selon le Gouvernement, il résulte de cette jurisprudence nouvelle qu’en présence d’un acte étranger établi régulièrement selon le droit du pays dans lequel la gestation pour autrui a été réalisée et permettant d’établir le lien de filiation avec le père biologique, plus aucun obstacle ne peut être opposé à la transcription de la filiation biologique. Il ajoute que, le 7 juillet 2015, la garde des Sceaux a adressée aux parquets concernés une dépêche indiquant qu’il convenait de procéder à la transcription des actes de naissance étrangers des enfants nés à l’étranger d’une gestation pour autrui, sous réserve de leur conformité à l’article 47 du code civil (paragraphe 51 ci-dessus). La Cour relève ensuite que le Gouvernement entend déduire de ce nouvel état du droit positif français que le troisième requérant et les quatrième et cinquième requérants ont désormais la possibilité d’établir leur lien de filiation par la voie de la reconnaissance de paternité ou par celle de la possession d’état ; il indique à cet égard que « ces voies juridiques paraissent aujourd’hui envisageables » (paragraphe 53 ci-dessus). Elle relève toutefois le caractère hypothétique de la formule dont use le Gouvernement. Elle constate en outre que les intéressés contestent cette thèse et que le Gouvernement n’en tire lui-même aucune conclusion quant à la recevabilité ou au bien-fondé de leur requête.

57. Ceci étant souligné, et considérant les circonstances de l’espèce, la Cour ne voit aucune raison de conclure autrement que dans les affaires Mennesson et Labassee.

58. La Cour conclut en conséquence qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit des requérants au respect de leur vie familiale, mais qu’il y a eu violation de cette disposition s’agissant du droit des deuxième, quatrième et cinquième requérants au respect de leur vie privée.

(...)

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1. Décide de joindre les requêtes nos 9063/14 et 10410/14 ;

2. Rejette la demande du Gouvernement tendant à la radiation des requêtes du rôle ;

3. Déclare les requêtes recevables quant au grief tiré de l’article 8 de la Convention ;

4. Dit qu’il n’y a pas eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit des requérants au respect de leur vie familiale ;

5. Dit qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention s’agissant du droit des deuxième, quatrième et cinquième requérants au respect de leur vie privée ;"

Voic le lien pour l'arrêt complet http://hudoc.echr.coe.int/eng?i=001-164968