Le 11 février 2016, le tribunal administratif de Cergy Pontoise a rendu un jugement exemplaire en matière de harcèlement des agents publics des collectivités territoriales (TA Cergy Pontoise 11 février 2016, n°1402706).
Dans cette affaire, une ingénieure territoriale, recrutée en qualité de chef de service, avait décidé, sous couvert de l’intérêt du service, avant même la saisine de la Commission Administrative Paritaire compétente (qui rendra près de deux mois plus tard un avis défavorable à l’unanimité et pour faire taire le harcèlement moral dont l’agent était victime, de lui faire subir une mutation interne vers un poste de coordinateur, inventé en urgence et ne correspondant à aucune réalité, vide de contenu, laissant l’agent totalement isolée, sans réunion, sans contact téléphonique et sans mission.
L’agent avait sollicité la protection fonctionnelle en raison du harcèlement moral qu’elle estimait subir dans l’exercice de ses fonctions et avait sollicité l’indemnisation du préjudice moral résultant de ces mêmes agissements.
Devant le silence de la ville, l’affaire a été portée devant le tribunal administratif de Cergy Pontoise qui a donné entièrement satisfaction à l’agent harcelé en annulant la décision par laquelle le maire avait muté l’agent, enjoignant à la commune d’accorder à l’agent le bénéfice de la protection fonctionnelle et de la réintégrer sur son ancien poste de chef de service et en condamnant la commune à verser à l’agent une somme de 15 000 euros, assortie des intérêts au taux légal au titre du préjudice subi par l’agent harcelé.
S’agissant de l’annulation de la décision de mutation interne, la décision du tribunal est sans surprise.
En effet, l’article 52 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale prévoit que: « L’autorité territoriale procède aux mouvements des fonctionnaires au sein de la collectivité ou de l’établissement ; seules les mutations comportant changement de résidence ou modification de la situation des intéressés sont soumises à l’avis des commissions administratives paritaires. / Dans le cas où il s'agit de remplir une vacance d'emploi compromettant le fonctionnement du service et à laquelle il n'est pas possible de pourvoir par un autre moyen, même provisoirement, la mutation peut être prononcée sous réserve d'examen ultérieur par la commission compétente ».
Or, en l’espèce, l’agent, qui exerçait les fonctions de chef du service, avait été affectée, contre sa volonté, à un poste de coordinateur qui, alors même qu’elle n’avait eu aucune incidence négative sur sa rémunération, avait entraîné une perte significative de responsabilités pour l’intéressée qui alors qu’elle encadrait une trentaine d’agents et gérait un budget de près de 30 millions d’euros dans ses anciennes fonctions, n’assumait plus aucune responsabilité de ce type dans ses nouvelles fonctions.
Constatant que la décision de mutation constituait bien une modification de la situation de l’agent au sens des dispositions précitées de l’article 52 de la loi du 26 janvier 1984, le tribunal l’a annulé, faute de consultation préalable de la commission administrative paritaire.
Cette décision encourait encore l’annulation, dans la mesure où aucun avis de vacance de l’emploi sur lequel l’agent avait été affecté n’avait été communiqué au centre de gestion compétent, en violation des dispositions de l’article 41 de la loi du 26 janvier 1984, en vigueur à la date des décisions attaquées.
Concernant la caractérisation du harcèlement moral, le jugement est un modèle du genre.
D’abord, il en rappelle la définition dans les termes suivants : « le harcèlement moral est constitué, indépendamment de l’intention de son auteur, dès lors que sont caractérisés des agissements répétés ayant pour effet une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte aux droits et à la dignité de l’agent, d’altérer sa santé ou de compromettre son avenir professionnel ».
Ensuite, il détaille le rôle de chacune des parties et du juge en la matière, en rappelant :
- qu’il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral, de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence d’un tel harcèlement ;
- qu’il incombe à l’administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement ;
- que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu’il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d’instruction utile ;
- que, pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu’ils sont constitutifs d’un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l’agent auquel il est reproché d’avoir exercé de tels agissements et de l’agent qui estime avoir été victime d’un harcèlement moral ;
- qu’en revanche, la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l’existence d’un harcèlement moral est établie, qu’il puisse être tenu compte du comportement de l’agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui ; que le préjudice résultant de ces agissements pour l’agent victime doit alors être intégralement réparé.
Il applique alors cette méthode au cas d’espèce.
- Ainsi, il examine les témoignages et échanges de courriers électroniques versés aux débats par les parties et relève que l’agent a effectivement commencé à subir peu de temps après sa prise de fonctions des provocations verbales, humiliantes et répétées, de la part d’un agent placé sous son autorité et qui refusait de rendre compte à sa supérieure hiérarchique de l’état d’avancement de ses dossiers ou de participer aux réunions de service auxquelles il était convié et préférait s’adresser directement au supérieur hiérarchique de l’agent. Il remarque aussi qu’il ressort des pièces du dossier que ce harceleur avait un tempérament colérique et autoritaire et un comportement très impulsif et irrespectueux. La pétition rédigée par les deux tiers des agents du service de la requérante pour la soutenir ont également joué en sa faveur. Il a également relevé que le maire, informé de la situation a poussé l’agent vers la sortie et, face à son désaccord, l’a muté dans les conditions décrites précédemment et alors même que la commission administrative paritaire, consultée postérieurement, avait émis un avis négatif ; IL a également noté les retards d’avancement de la requérante malgré avis favorables de sa hiérarchie à sa promotion.
Tous ces éléments ont conduit le tribunal à considérer que « ces faits pris dans leur ensemble laissent présumer une situation de harcèlement moral ».
- Le tribunal a ensuite examiné les éléments avancés par la commune en sens contraire, lesquels insistaient sur une prétendue attitude agressive et intransigeante de l’agent, alors que, comme le remarque le tribunal, celle-ci avait, au contraire fait preuve, à plusieurs reprises, d’une volonté d’apaisement et de dialogue avec son harceleur.
Il relève également que les attestations d’autres agents du service sur les tensions qu’aurait provoquées la requérante émanaient essentiellement de personnes à qui celle-ci avait rappelé à bon escient leurs obligations de service et surtout qu’il existait au sein du service, dès avant l’arrivée de la requérante, une situation de conflit révélée notamment par une importante rotation à la tête du service.
Il remarque aussi que les reproches à l’encontre de la requérante dans l’exercice de ses nouvelles fonctions ne sont pas corroborés par l’entretien d’évaluation et que, si la commune fait valoir que le choix de modifier l’affectation de l’intéressée était justifiée par le souci de mettre fin à des conflits au sein du service « ne justifie pas le maintien de Mme X depuis plus de deux ans dans un emploi sans véritable contenu et dans une situation dans laquelle plus aucune mission effective ne lui est confiée ».
- Le tribunal titre à bon droit les conséquences de ces constatations en concluant qu’ « il résulte de tout ce qui précède, que les faits dénoncés par Mme X et corroborés par des éléments suffisamment nombreux et concordants, doivent être regardés comme constitutifs de harcèlement moral au sens des dispositions précitées de l’article 6 quinquiès de la loi du 13 juillet 1983, sans qu’ait à être caractérisée l’intention de nuire, et engage la responsabilité de la commune de X pour faute ».
- Dans la continuité de son raisonnement, le tribunal considère alors que l’agent est fondée à demander l’indemnisation du préjudice moral qu’elle a ainsi subi.
Quant aux injonctions prononcées à l’égard de la commune, on rappellera que l’annulation d’une décision ayant illégalement muté un agent public oblige l’autorité compétente à replacer l’intéressé, à la date de sa mutation, dans l’emploi qu’il occupait précédemment et à prendre rétroactivement les mesures nécessaires pour le placer dans une position régulière et qu’il appartient au juge, lorsqu'il est saisi de conclusions tendant à ce que soit prescrite une mesure d'exécution dans un sens déterminé, de statuer sur ces conclusions en tenant compte de la situation de droit et de fait existant à la date de sa décision, ce qui a été fait en l’espèce.
Catherine TAURAND
Avocat droit public – droit fiscal
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