Par un arrêt qui peut paraître légitimement critiquable, le Conseil d'État revient sur une jurisprudence qui semblait établie concernant  le sort, au contentieux, des sommes qu’une entreprise omet d’inclure dans son projet de décompte final (CE 16 décembre 2015, n° 373509 au Lebon).

Dans un premier temps, le Conseil d’Etat rappelle clairement qu’une entreprise qui omet d’inclure dans son projet de décompte final l’indemnisation des préjudices liés aux éventuels retards du chantier ou la révision du prix de son marché n’est plus recevable à réclamer cette somme au maître de l’ouvrage au stade de la contestation du décompte général du marché.

 

Cette position est tout à fait conforme aux stipulations de l’article 13.3 CCAG-Travaux.

 

En revanche, il considère que le défendeur en première instance est recevable à invoquer en appel tous moyens, même pour la première fois sous réserve qu’il énonce, dans le délai d'appel, la ou les causes juridiques sur lesquelles il entend fonder son appel.

 

En d’autres termes, à condition qu’il repose sur la même cause juridique qu’un moyen soulevé avant l’expiration du délai d’appel, l'appelant est recevable à invoquer un moyen nouveau pour la première fois, en défense mais aussi à l'appui de conclusions d'appel incident.

 

Cet arrêt nous semble revenir sur les solutions des cours jusqu’alors adoptées.

 

En effet, il était acquis que, lorsque l’entreprise omet d’intégrer des sommes dans son projet de décompte final et tente de les réintégrer au stade de la contestation du décompte général en produisant un mémoire en réclamation mais que le maître de l’ouvrage se prévaut à titre principal de l’effet cliquet des dispositions de l’article 13.3.3 du CCAG-Travaux sans se prononcer sur le bien- fondé de la créance, l’entreprise n’a plus aucune chance de recouvrer les sommes omises (CAA Nancy 3 février 2015, Centre Hospitalier de Chaumont, req. n° 13NC01240).

 

Mais, jusqu’ici, il était également acquis que, si, en revanche, le maître de l’ouvrage instruit le mémoire de réclamation et notifie une décision de rejet sur le fond, sans se prévaloir de l’effet cliquet du projet de décompte final, celui-ci était réputé avoir implicitement renoncé à se prévaloir de l’effet cliquet du projet de décompte final et ne pouvait plus se prévaloir au contentieux de l’effet cliquet du projet de décompte final (CAA Paris 18 décembre 2012, SA Colomboa, req. n°11PA01446).

Or, dans le présent arrêt du 16 décembre 2015, le Conseil d’Etat considère, au contraire, que le maître de l’ouvrage peut se prévaloir pour la première fois devant le juge administratif de l’effet cliquet du projet de décompte final, alors même qu’il ne l’aurait pas fait au stade de la réponse au mémoire en réclamation de l’entreprise, dès lors que le moyen tiré de ce que, faute d'en avoir inclus le montant dans son projet de décompte final, conformément aux stipulations de l'article 13.3 du cahier des clauses administratives générales applicable aux marchés publics de travaux, l'entreprise n'était recevable à réclamer au maître d'ouvrage ni l'indemnisation du préjudice lié au retard dans le démarrage du chantier ni la révision du prix du marché, se rattache à la même cause juridique que le moyen tiré du caractère forfaitaire du prix du marché (dès lors que ces deux moyens sont relatifs à l'exécution d'un même contrat).

 

Il est donc plus que jamais recommandé aux entreprises de bien veiller à intégrer toutes les sommes qu’elles estiment devoir percevoir au titre du Marché dès le stade du projet de décompte final.

 

Catherine TAURAND

Avocat droit public – droit fiscal

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