Le juge des référés liberté du Conseil d’Etat vient de préciser les contours de son contrôle en matière d’assignation à résidence (CE ord. 6 janvier 2016, n°395622.

 

En l’espèce, le ministre de l'intérieur avait assigné à résidence une mère de trois enfants en se fondant sur les éléments mentionnés dans deux " notes blanches " des services de renseignement et produites au débat contradictoire.

 

La requérante avait soulevé un moyen qui a retenu l’attention du conseil d’Etat s’agissant de l'atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie familiale et à l'intérêt supérieur des enfants.

 

En effet, cette mère, qui élève seule ses trois enfants et qui sont nés en France en 2009, 2012 et 2014 avait fait remarquer  que l'aîné des trois est scolarisé de 8 h 20 à 16 h 10 et le deuxième de 8 h 10 à 11 h 45 tandis qu'elle garde le cadet à domicile, alors que l'arrêté d’assignation à résidence fixait à trois fois par jour (9 h, 14 h et 19 h), soit le maximum prévu par l'article 6 de la loi du 3 avril 1955 modifié, l'obligation de se présenter aux services du commissariat d'Arpajon qui est situé à 10 kilomètres de Brétigny-sur-Orge où réside la famille monoparentale alors que cette commune de 25 000 habitants abrite un poste de police ouvert, en principe, du lundi au vendredi de 8 h 30 à 12 h et de 14 h à 18 h 30.

 

La requérante avait produit l'attestation de sa voisine qui indique garder, dans la mesure du possible, ses trois enfants en fin d'après-midi seulement.

 

En outre, elle avait fait valoir que, ne disposant pas d'un véhicule personnel, elle effectuer, trois fois par jour, le trajet aller-retour de Brétigny-sur-Orge à Arpajon en empruntant un bus de son domicile à la gare puis le train jusqu'à Arpajon.

 

Elle ajoutait que la nécessité de devoir accompagner deux de ses enfants à l'école le matin avant de rejoindre Arpajon la conduisait parfois à se présenter avec quelque retard dont il lui avait été fait reproche.

 

De la même manière, elle mentionnait qu’eu égard au jeu des correspondances en début d'après- midi, elle arrivait parfois en avance, alors accompagnée de ses deux plus jeunes enfants, mais devait attendre 14 h pour s'acquitter de son obligation de présentation et que les après-midis où sa voisine n'était pas en mesure de prendre la garde de ses trois enfants, elle était contrainte de les amener avec elle pour la convocation de 19 heures.

 

Elle ajoutait qu’il en était de même s'agissant des week-end et jours fériés durant lesquels, faute de liaison par bus, elle devait se rendre à pied à la gare, au terme d'un trajet de 45 minutes et qu'en tout état de cause, elle ne regagnait jamais son domicile avant 19 h 45.

 

Au vu de l’ensemble de ces éléments, le juge des référés liberté du Conseil d’Etat a considéré que le respect de ces obligations de présentation faisait peser, « tant en raison de la localisation à Arpajon du lieu des convocations, du nombre de celles-ci par jour que des horaires fixés, des contraintes excessivement lourdes » sur la requérante quant à l'organisation de sa vie de famille que « ne justifient manifestement pas les motifs ayant conduit à décider de son assignation à résidence ».

 

Il en a conclu que « les modalités de l'assignation à résidence telles qu'elles étaient déterminées par l'arrêté du 22 novembre 2015 portent une atteinte grave et manifestement illégale au droit de Mme C...au respect de sa vie familiale ainsi qu'à l'intérêt supérieur de ses enfants auquel une attention primordiale doit être accordée en vertu de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant du 26 janvier 1990 ».

 

Il a constaté que, par un arrêté postérieur aux éléments échangés au cours de l'audience publique, le ministre de l'intérieur a modifié son arrêté d’assignation à résidence en ramenant le nombre des obligations de présentation à deux par jour ( la requérante devant désormais se présenter du lundi au vendredi au poste de police de Brétigny-sur-Orge) mais en prévoyant qu'en cas de fermeture exceptionnelle de ce poste de police dans la semaine ainsi que les samedi et dimanche, elle devrait continuer de se présenter au commissariat d'Arpajon.

 

Dans ces conditions, le juge des référés n’a pas annulé l’arrêté d’assignation à résidence mais a enjoint au ministre de l'intérieur de prendre, sans délai, toute mesure de nature à permettre, par tous moyens, à l'intéressée de s'acquitter dans « tous les cas et tous les jours de ses obligations de présentation dans la commune de Brétigny-sur-Orge ».

Catherine TAURAND

Avocat droit public – droit fiscal

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