« Les conseillers prud’hommes exercent leurs fonctions en toute indépendance, impartialité, dignité et probité et se comportent de façon à exclure tout doute légitime à cet égard. Ils s’abstiennent notamment, de tout acte ou comportement public incompatible avec leurs fonctions. Ils sont tenus au secret des délibérations. Leur est interdite toute action concertée de nature à arrêter ou à entraver le fonctionnement des juridictions lorsque le renvoi de l’examen d’un dossier risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie ».
Issu de la loi du 6 août 2015, l’article L.1421-2 du Code du travail, qui contraint tout conseiller prud’homal à être « impartial », constitue une étape cruciale vers la normalisation du statut des conseillers prud’homaux.
Cette normalisation, qui tend à rapprocher le statut des juges prud’homaux de celui des magistrats professionnels, s’inscrit dans une large réforme de la procédure prud’homale de première instance et d’appel. Elle pose, en miroir, la question de l’identité du conseil des prud’hommes si ardemment défendue depuis un siècle et demi.
La notion d’impartialité objective
En précisant que le juge devait se conduire de façon « à exclure tout doute légitime », la loi consacre la définition forgée par la Cour européenne des droits de l’Homme, développée par la Cour de cassation en matière de récusation.
Par opposition à l’impartialité subjective qui concerne ce qu’un juge peut penser en son for intérieur, l’impartialité objective consiste à rechercher si ce même juge offre des garanties extérieures suffisantes pour exclure tout doute légitime à son égard. Autrement dit, il doit offrir des garanties suffisantes pour que chaque justiciable soit assuré qu’il sera en mesure de le convaincre par un fait, un argument ou une interprétation du droit quel que soit son statut (employeur ou salarié) ou son appartenance syndicale.
Cela implique une neutralité et une réserve permanente et pas uniquement au sein du prétoire.
L’identité du conseil de prud’hommes en question
Dans ces conditions, comment admettre qu’un juge puisse être sommé de se montrer impartial alors qu’il était auparavant élu soit par un collège de salariés, soit par un collège d’employeurs et qu’il est aujourd’hui, depuis la loi du 18 décembre 2014, nommé soit par des organisations syndicales salariées, soit par des organisations syndicales patronales ?
Cette exigence d’impartialité du juge semble impossible si l’on admet que l’engagement syndical est à l’origine de son mandat, qu’il est le produit d’une lutte entre deux classes et le résultat d’une équation entre des rapports historiquement déséquilibrés.
Ce constat d’une partialité du juge était traditionnellement résolu grâce à un paradoxe : ce n’était pas l’impartialité du « juge » qui était recherchée mais l’impartialité de la « juridiction ». Cette impartialité, intrinsèque à toute justice, devait naître de la confrontation entre deux partialités, de l’opposition entre deux points de vue, de l’affrontement entre deux camps, de manière institutionnalisée.
Autrement dit, la meilleure garantie d’impartialité du conseil de prud’hommes résidait dans son paritarisme qui, finesse des finesses, était assuré de ne jamais connaître de blocage. En effet, en cas de partage des voix, un magistrat professionnel appelé « juge départiteur » était appelé à trancher.
Le paritarisme entre les conseillers employeurs et les conseillers salariés existe toujours. Le juge départiteur aussi. Toutefois, l’impartialité de la juridiction prud’homale ne suffit plus, la loi exige aussi celle de ses conseillers prud’homaux considérés un à un.
L’impartialité des conseillers prud’homaux garantie par la formation
Les conseillers prud’homaux nouvellement nommés vont être soumis à des règles déontologiques, ainsi qu’à une formation. Ils devront respecter un recueil de déontologie, actuellement en cours d’élaboration par le Conseil supérieur de la prud’homie, mais aussi suivre des cours théoriques dispensés par l’Ecole nationale de la magistrature.
L’impartialité des conseillers prud’homaux sanctionnée par la discipline
Depuis une ordonnance du 22 septembre 2017, les manquements graves aux devoirs du conseiller prud’homal seront jugés par une commission nationale de discipline.
L’impartialité des conseillers prud’homaux renforcée par la règlementation
Plus discrète mais tout aussi redoutable, la règlementation pointilleuse du droit constitue un moyen efficace de s’assurer de l’impartialité des juges dont la marge d’appréciation est réduite à son plus strict minimum.
C’est ainsi que l’instauration de planchers et de plafonds d’indemnités en matière de licenciements abusifs constitue une des mesures les plus emblématiques de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017.
Dans l’esprit du gouvernement, cette mesure devrait permettre d’uniformiser sur le territoire les montants indemnitaires accordés par les conseils de prud’hommes alors qu’ils pouvaient considérablement varier d’une région à l’autre, ce qui provoquait un sentiment d’insécurité et de défiance.
Elle devrait aussi permettre de sécuriser les employeurs dans leur décision de procéder à un licenciement tant était ancrée, à tort ou à raison, l’idée que licencier pouvait s’apparenter au jeu de la roulette russe devant le conseil de prud’hommes.
L’efficacité n’étant pas nécessairement le gage de l’élégance, elle devrait enfin permettre d’assécher une partie du contentieux prud’homal en fixant des plafonds bas pour les salariés ayant de petites anciennetés (spécialement en dessous de deux ans) et ainsi de supprimer l’enjeu d’une procédure prud’homale.
Toutefois, il faut se garder de toute confusion : il s’agit davantage d’une mesure de défiance à l’égard des juges qu’une décision permettant de renforcer l’impartialité de la juridiction. Gageons que cette nouvelle règlementation n’emportera pas la satisfaction des justiciables, qu’ils soient employeurs ou salariés désireux avant tout de se faire entendre.
Paritarisme et collégialité comme rempart efficace à la partialité
Est-ce à dire que l’ensemble de ces mesures va permettre de garantir l’impartialité des conseillers prud’homaux de façon à ce que tout justiciable ne soit saisi d’aucun « doute légitime » lorsqu’il sera confronté à ses quatre juges considérés individuellement ?
Grâce à cette réforme, les conseillers prud’homaux vont gagner en compétences, en connaissance de la procédure et en professionnalisme. Ils conserveront toutefois cet atout qu’est l’expérience de l’entreprise et demeureront également nourris de valeurs et de convictions syndicales.
Cette réforme fait le pari que, grâce aux mécanismes institutionnels du paritarisme, de la formation et de la déontologie, les conseillers prud’homaux réussiront à donner individuellement l’apparence extérieure constante de l’impartialité, en faisant la démonstration de leur capacité à entendre et à recevoir tous les arguments et toutes les interprétations. Ce faisant, ils contribueraient grandement à faire taire les critiques concernant cette juridiction non professionnelle, issue du monde du travail, représentative de toutes les luttes syndicales - et pourtant impartiale.
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