La jurisprudence de la chambre sociale marque une évolution concernant l’indemnisation du préjudice du salarié lié à certains manquements de son employeur.
C’est ainsi que par un arrêt du 13 avril 2016, elle abandonne la notion du préjudice du salarié dit « préjudice nécessaire ». (Cassation sociale, 13 avril 2016, n° 14-28293).
Si l’enjeu du litige est très faible, la nouvelle règle de droit est d’importance.
Cette notion de préjudice « nécessaire » relève d’une construction jurisprudentielle de la chambre sociale, en vigueur depuis plusieurs années, qui se démarquait d’ailleurs du droit commun de la responsabilité civile, et par là même, de la position des autres chambres de la Cour suprême.
En effet, en droit commun de la responsabilité civile, la victime qui prétend à une indemnisation doit démontrer d’une part, l’existence du manquement ou du fait fautif reproché à l’auteur du dommage, et d’autre part, en quoi ce manquement lui aurait causé un préjudice.
La démonstration de la réalité du préjudice reste donc une étape indispensable en droit de la responsabilité civile de droit commun, et la preuve doit en être apportée par la victime
Ce préjudice peut revêtir différentes formes. Il peut s’agir, sans que cette liste ne soit exhaustive, d’un préjudice financier ou économique, d’un préjudice moral ou encore d’une perte de chance...
Or, dans le domaine de l’indemnisation du préjudice, la chambre sociale s’était, dans certains cas, éloignée de ce principe de droit commun et avait admis la possibilité de reconnaitre de manière « automatique » l’existence d’un préjudice, dès lors que les faits fautifs ou les manquements étaient démontrés.
Tel était le cas par exemple du non-respect, par l’employeur, de la procédure de licenciement.
Si ce non-respect ne rendait pas le licenciement sans cause réelle et sérieuse, il causait nécessairement un préjudice au salarié, qu’il convenait de réparer par l’octroi de dommage et intérêt (représentant en pratique l’équivalent d’un mois de rémunération).
Dès lors, le salarié n’avait pas à apporter la preuve que le non-respect de la procédure lui avait causé un préjudice réel, ce qui le dispensait de l’administration parfois délicate d’une telle preuve.
La chambre sociale retenait également l’existence d’un préjudice nécessaire dans d’autres types de contentieux, notamment la remise tardive des documents de fin de contrat (certificat de travail, bulletins de salaire et attestation de pôle emploi).
Il s’agissait pour la jurisprudence de faciliter l’action du salarié, puisque la preuve du préjudice lié à certains comportements peut parfois être extrêmement complexe à rapporter devant les juridictions, tout en assurant l’effectivité de certaines règles de droit en prévoyant une forme de « sanction automatique » à certains comportements de l’employeur.
Il semblerait qu’aujourd’hui ce mouvement jurisprudentiel soit terminé et que la Cour de cassation, par son arrêt du 13 avril 2016, décide de revenir à une position plus orthodoxe.
Les faits ayant conduit à la décision sont les suivants : un salarié a saisit le Conseil de Prud’hommes de Lisieux aux fins d’obtenir une remise sous astreinte de divers documents de fins de contrat.
Ces documents ont été remis par l’employeur lors de l’audience de conciliation, ce qui a été acté dans le procès-verbal de conciliation.
Lors de l’audience au fond le salarié a sollicité la condamnation de l’employeur au paiement des dommages intérêts pour réparer cette remise tardive.
Par une décision en date du 3 décembre 2013, le Conseil de Prud’hommes l’a débouté de sa demande en retenant que les documents en question étaient des documents quérables et que l’employeur les avaient remis lors de l’audience de conciliation.
Ce jugement est rendu en dernier ressort.
Le salarié décide alors de saisir la Cour de Cassation en indiquant dans l’un de ses moyens que la non délivrance ou la délivrance tardive des certificats de travail et bulletins de paies lui causent nécessairement un préjudice que le juge doit réparer, le salarié n’ayant pas à en prouver la réalité.
Il s’inspire en cela de la jurisprudence jusqu’à présent bien établie concernant le préjudice nécessaire lié à certains comportements de l’employeur.
Cependant, par un attendu bref et lapidaire, la Cour de Cassation rejette le pourvoi du salarié en indiquant :
« Attendu que l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relève du pouvoir souverain de l’appréciation des juges du fond, que le Conseil de Prud’hommes qui a constaté que le salarié n’apportait aucun élément pour justifier le préjudice allégué, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ».
Cet arrêt marque un retour, en matière sociale, aux règles de droit commun de la responsabilité civile, et notamment la nécessité de démontrer la réalité du préjudice allégué.
Il faut savoir que seule la Chambre Sociale admettait l’existence d’un préjudice automatique, ne nécessitant pas une démonstration de son existence par celui qui l’invoque.
Toutes les autres chambres et notamment les chambres mixtes en matière de responsabilité civile exigeaient que cette démonstration soit apportée et le vérifiaient auprès des juridictions du fond.
Cet arrêt marque la volonté de la Cour de Cassation de se rapprocher du droit commune de la responsabilité tout en permettant l’unification de la jurisprudence des différentes chambres de la cour de cassation.
C’est ainsi que désormais il appartient aux juridictions du fond de vérifier que le salarié apporte la preuve de l’existence de son préjudice dont il leur appartient d’apprécier souverainement le montant.
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