Le baromètre France Esports de 2023 révèle que : « 11.8 millions d’internautes de 15 ans et plus s’intéressent à l’esport, soit une hausse de 1 million par rapport à 2022.

1.3 million sont exclusivement des personnes qui jouent à des parties classées et/ou s’inscrivent à des compétitions de jeux vidéo ».

L’article 101 de la loi n°2016-1321 pour une République numérique du 7 octobre 2016 définit les compétitions de jeux vidéo comme suit : « Est entendu comme jeu vidéo tout jeu relevant du II de l’article 220 terdecies du code général des impôts. Une compétition de jeux vidéo confronte, à partir d’un jeu vidéo, au moins deux joueurs ou équipes de joueurs pour un score ou une victoire.

L’organisation de la compétition de jeux vidéo au sens du présent chapitre n’inclut pas l’organisation d’une prise de paris« . (Art. L. 321-8 du Code de la sécurité intérieure)

1- Le joueur professionnel salarié de jeu vidéo compétitif et le recours obligatoire du contrat de travail à durée déterminée spécifique pour les sociétés bénéficiant d’un agrément

Depuis l’article 102 de la loi pour une République numérique, «  le joueur professionnel salarié de jeu vidéo compétitif est défini comme toute personne ayant pour activité rémunérée la participation à des compétitions de jeu vidéo dans un lien de subordination juridique avec une association ou une société bénéficiant d’un agrément du ministre chargé du numérique, précise par voie réglementaire« .

Le joueur professionnel ne peut être lié à son club que par un contrat de travail à durée déterminée spécifique. Et ce dès lors qu’un lien de subordination est caractérisé.

Le recours exclusif à un contrat de travail à durée déterminée est prévu à l’article 102 III de la loi, qui énonce que : « tout contrat par lequel une association ou une société bénéficiant de l’agrément prévu au I du présent article s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un joueur mentionné au même I est un contrat de travail à durée déterminée ».

Ainsi, l’agrément est une condition pour recourir au contrat à durée déterminée spécifique pour les joueurs professionnels de compétitions de jeu vidéo.

Autrement dit, en l’absence d’agrément, le club ne peut pas recourir au CDD spécifique mais peut signer un contrat de travail de droit commun avec son salarié.

La spécificité de ce contrat de travail réside entre autre, dans le fait que les dispositions de l’article L.1242-1 du Code du travail ne sont pas applicables aux joueurs professionnels salariés de jeu vidéo compétitif, à savoir l’interdiction de recourir à un CDD pour pourvoir à un emploi normal et permanent.

Les autres spécificités de ce CDD résident dans la durée de celui-ci. En effet, et comme le précise l’article 102 IV de la loi, «  La durée du contrat de travail mentionné au III ne peut être inférieure à la durée d’une saison de jeu vidéo compétitif de douze mois ».

Si la durée du contrat de travail ne peut être supérieure à cinq ans, il est néanmoins, précisé dans la loi que la durée maximale n’exclut pas le renouvellement indéfiniment du contrat ou la conclusion d’un nouveau contrat avec le même employeur.

Par ailleurs, il existe un risque de retrait de l’agrément et par voie de conséquence, de l’interdiction de recourir au CDD spécifique, prévu à l’article 7 du décret n°2017-872 du 9 mai 2017 relatif au statut des joueurs professionnels salariés de jeux vidéo compétitifs, dans lequel il est précisé que l’agrément est retiré à l’association ou à la société qui emploie, sous CDD spécifique, des personnes n’entrant pas dans la définition du joueur professionnel salarié de jeu vidéo compétitif.

Aussi, au-delà des obligations prévues par le régime de droit commun du droit du travail, notamment en termes de sécurité et de santé au travail, le club s’engage, par la signature de CDD spécifique de esportifs, à une obligation supplémentaire et ce, tout au long de l’exécution de leurs contrat de travail, qui est celle de leur offrir des conditions de préparation et d’entraînement équivalentes à celles des autres joueurs professionnels salariés du club.

En cas de non-respect des droits des joueurs professionnels salariés, prévus à l’article 102 de la loi, le contrat de travail risque d’être requalifié en contrat à durée indéterminée. Et le club risque, de surcroît une amende de 3 750 euros, qui peut être doublée en cas de récidive et assortie d’un emprisonnement de 6 mois.

Aussi, l’agrément peut également être retiré lorsque les dispositions de l’article 101 de la loi relative au travail des mineurs ne sont pas respectées.

Quels sont les risques pour les clubs qui entendent recruter un mineur pour les compétitions sportives de jeux vidéo ?

2- Les obligations supplémentaires du club à l’égard des ejoueurs mineurs

Comme le précise l’article L. 321-10 du Code de la sécurité intérieure, « la participation d’un mineur aux compétitions de jeux vidéo peut être autorisée dans des conditions définies par décret en Conseil d’Etat. Elle est conditionnée au recueil de l’autorisation du représentant légal de ce mineur. Le représentant légal est informé des enjeux financiers de la compétition et des jeux utilisés comme support de celle-ci. Cette information comprend notamment la référence à la signalétique prévue à l’article 32 de la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu’à la protection des mineurs ».

Conformément à l’alinéa 4 de l’article L. 7124-1 du Code du travail, « un enfant de moins de seize ans ne peut, sans autorisation individuelle préalable, accordée par l’autorité administrative, être, à quelque titre que ce soit, engagé ou produit (…) 4° Dans une entreprise ou association ayant pour objet la participation à des compétitions de jeux vidéo au sens de l’article L. 321-8 du Code de la sécurité intérieure« .

Ainsi, le mineur qui a l’intention de participer à une compétition de jeux vidéo en qualité de salarié, devra remplir les mêmes conditions que pour les mineurs mannequins et les mineurs artistes-interprètes.

A savoir, l’entreprise employeuse doit se prémunir de l’autorisation individuelle préalable, délivrée par une autorité administrative et plus particulièrement, par une commission spéciale, qui vérifie si les conditions de l’emploi du mineur sont satisfaisantes, notamment au regard des horaires de travail et du rythme des activités, notamment en soirée ou au cours de la même semaine. (Art. R. 7124-5 du Code du travail et R. 7124-3 du Code du travail).

L’entreprise employeuse doit également obtenir l’autorisation du représentant légale.

A ce titre, un récent arrêt de la Cour d’appel de Rouen a apporté des solutions intéressantes pour les joueurs e-sport, notamment sur le recrutement d’un mineur de moins de seize ans. (CA ch sociale Rouen 18 janvier 2024 n°22/02012).

En effet, dans cette affaire, un joueur e-sport avait signé une promesse d’embauche le 13 février 2020 avec une société, alors qu’il était âgé de 15 ans, pour débuter le contrat le 22 juillet 2020.

La relation contractuelle de travail avait été rompue par un message texto transmis au joueur le 20 août 2020.

Le Tribunal de commerce avait prononcé la liquidation judiciaire de la société employeuse.

Le salarié, estimant avoir été engagé par le biais d’un contrat à durée déterminée à compter du 1er août 2020, a, dans un premier temps, saisi le conseil de prud’hommes en contestation de la rupture, ainsi qu’en paiement de rappels de salaires et indemnité. Et dans un second temps, il a interjeté appel devant la Cour d’appel de Rouen.

Les AGS soutiennent que le contrat de travail qui a lié la société et le e-joueur est nul, en ce que ce dernier a contracté sans l’accord de son représentant légal, et que c’était illégal, puisqu’il avait moins de seize ans. S’agissant d’une règle d’intérêt général, les AGS devaient être mise hors de cause dès lors que sa garantie ne peut être mise en oeuvre, qu’à l’égard d’un contrat de travail valablement et légalement souscrit.

Le e-joueur soutient quant à lui, qu’il était lié par un contrat de travail à l’égard du club, dès la date de la promesse d’embauche, soit le 13 février 2020, et il produit des captures d’écran permettant de constater qu’il a, dès le 14 février 2020, était présenté comme faisant partie de l’équipe Esport de la société, puis à compter de cette date, il a régulièrement participé à des tournois de compétitions, ce qui permet de s’assurer non seulement de la réalité des prestations, mais aussi d’un lien de subordination.

Selon la Cour d’appel, il résulte de l’article L. 4153-1 du Code du travail, qu’à l’exception de trois situations limitativement énumérées qui ne concernent pas le cas d’espèce, il est interdit d’employer des travailleurs de moins de seize ans.

Les Juges du fond visent également l’article 1128 du Code civil, selon lequel sont nécessaires à la validité d’un contrat : le consentement des parties, leur capacité de contracter et un contenu licite et certain.

La société et le e-joueur ont signé le 13 février 2020 une promesse d’embauche rédigée de la manière suivante :

« Veuillez considérer par la présente mon souhait de donner une suite positive à votre candidature. Aussi, je vous propose un emploi au poste suivant : joueur d’e-sport dans le cadre d’un contrat à durée déterminée. Le salaire correspondant est de 2 500 euros nets par mois. La société s’engage à verser à [S] [F] la somme de 12 500 euros nets comme prime de signature au jour même de sa signature du contrat, à savoir le 22 juillet 2020. Dans le cas où vous accepteriez, sans réserve, les présentes, votre entrée en fonction se fera le 22 juillet 2020. Je vous prie, afin de prendre toutes les dispositions préalables en vue de votre intégration, de me donner une réponse à cette proposition d’embauche au plus tôt. Dans l’attente de votre réponse, que j’espère positive, je vous prie d’agréer l’assurance de ma considération distinguée. »

Les Juges du fond ont retenu l’existence d’un contrat de travail entre le e-joueur et la société. Et ils ont soulevé que cette qualification n’était pas en soi contestée par les AGS qui n’invoque que la nullité du contrat de travail.

Néanmoins, la Cour d’appel rappelle que l’article L. 4153-1 du Code du travail n’a pas pour seul objet la défense d’un intérêt privé, mais relève au contraire de la défense d’un intérêt général, « comme en témoigne le fait qu’en cas de constat par une autorité habilitée, un tel contrat ne pourrait être poursuivi malgré l’accord du mineur et de ses représentants légaux ». Ainsi, les Juges du fond ont prononcé la nullité de cette promesse d’embauche, de même que celle de la relation contractuelle entre le e-joueur et la société employeuse du 13 et 21 juillet 2020.

De telle manière, qu’en cas de nullité du contrat de travail, l’intéressé doit être indemnisé pour les prestations qu’il a fournies et il ne peut prétendre au paiement de salaires.

Les Juges ont toutefois fixé au passif de la liquidation judiciaire de la société la somme de 3 000 euros à titre d’indemnité de préavis correspondant à un mois de salaire.

Mais également la somme de 15 000 euros au passif de la société à titre d’indemnité pour travail dissimulé. En ce que selon les juges, les conditions même de signature de la promesse d’embauche et de l’emploi, qui s’en est suivi, démontraient l’intentionnalité de se soustraire aux obligations de déclaration préalable à l’emploi et de délivrance de bulletins de salaire et cette intentionnalité s’est poursuivie après le 22 juillet 2020, comme en témoigne le fait que, le e-joueur a continué à travailler jusqu’au 20 août sans signature d’un contrat, sans déclaration préalable à l’embauche et, sans remise d’un bulletin de paie pour ce mois de travail, ni de documents de fin de contrat.

En somme, les sociétés de compétitions de jeux vidéo doivent être particulièrement prudentes lorsqu’ils entendent recruter des joueurs professionnels. Si elles ont tendances à être séduites par les contrats de prestation de service, afin d’éviter le cadre strict du droit de travail, elles doivent, néanmoins, garder à l’esprit, les risques de requalification en contrat de travail, s’il existe un lien de subordination entre la société et le e-joueur; ou si le e-joueur, qui a un statut de micro-entreprise par exemple, n’a comme seul client la société contractante. En effet, en théorie, il a le droit de jouer pour d’autres équipes et d’avoir, ainsi, plusieurs clients. Or, concrètement, il est difficile, une fois qu’il intègre l’équipe, de prévoir une exclusivité avec un e-joueur, qui n’est en compétition qu’avec une seule équipe.

Aussi, si la société fait le choix de recruter un e-joueur en signant un CDD spécifique, elle doit solliciter un agrément à renouveler tous les 3 ans. Et si le joueur est mineur, la société doit respecter les obligations supplémentaires découlant d’un tel recrutement.

Dalila MADJID, avocate au Barreau de Paris