Les conséquences de la récente loi Pinel en matière de bail commercial
La loi relative à l'artisanat, aux commerces et aux très petites entreprises, dite "loi Pinel", a été publiée au Journal Officiel le 19 juin 2014.
D'ores et déjà, certains clients, principalement des institutionnels, plus au fait des nouveautés en matière de bail commercial que des particuliers bailleurs, m'interrogent sur les effets de cette loi.
Il est vrai que cette loi, qui vise principalement à soutenir les artisans, commerçants et TPE, acteurs économiques touchés par la crise économique, est dans l'ensemble très favorable aux locataires, et peut susciter des interrogations, voire des doutes pour d'éventuels investisseurs sur l'intérêt et la rentabilité d'un local commercial.
L'on rappellera qu'en matière de bail commercial, et contrairement au bail d'habitation, le preneur acquiert une propriété commerciale, qui se caractérise notamment par le droit au renouvellement du bail ou à défaut de renouvellement, au paiement d'une indemnité d'éviction et que cette propriété commerciale a une valeur marchande généralement conséquente puisque le preneur a la possibilité de céder son droit au bail ou son fonds de commerce (pour lequel, si le bail commercial ne constitue pas le seul élément d'actif, il n'en reste pas moins un élément essentiel).
Or, si certaines dispositions prévues par la loi doivent être précisées ultérieurement par des décrets d'application - et peut-être nuancées, voire atténuées, - il n'en demeure pas moins que la loi vise d'ores et déjà à rapprocher le bail commercial du bail d'habitation et à octroyer de nouvelles protections au preneur.
Il faudra attendre la parution de ces décrets d'application pour connaître ainsi pleinement l'ampleur des conséquences des jalons et fondements posés par cette loi.
Toutefois, cette loi n'est pas sans soulever un certain nombre de questions, notamment au regard de l'impact de ces mesures sur les bailleurs, et plus particulièrement les "petits propriétaires" et sur les distorsions économiques qu'elle peut engendrer, notamment au sein d'un ensemble immobilier entre les baux conclus ou renouvelés avant le 1er septembre 2014 et les baux conclus ou renouvelés après le 1er septembre 2014, un certain nombre de mesures importantes entrant en vigueur à compter de cette date.
Ne seront abordés que les points majeurs et modifications essentielles apportées par cette loi.
1. Un encadrement de l'évolution du loyer
La loi Pinel a voulu tout d'abord "contrôler" les augmentations de loyer tant en cours de bail qu'en fin de bail.
1.1 Sur l'évolution du loyer en cours de bail commercial
L'on rappellera que le loyer du bail commercial fait l'objet, en cours de bail, d'une indexation annuelle ou triennale selon que le bail prévoit une clause d'échelle mobile ou non et que cette révision du loyer se fait sur la base de l'indice INSEE du coût de la construction (ICC), ou de l'indice des loyers commerciaux (ILC) ou de l'indice des loyers des activités tertiaires (ILAT).
Jusqu'à présent, une majorité de baux commerciaux faisaient expressément référence, pour réviser le loyer, à l'ICC, indice le plus ancien et en même temps le plus volatil et surtout le plus haussier, ce qui tendait à pénaliser le preneur.
Afin de remédier à cette situation de fait, la nouvelle loi substitue obligatoirement :
- l'ILC pour les activités commerciales, artisanales et industrielles ;
- l'ILAT pour les activités tertiaires autres que commerciales et artisanales.
Ces indices seront utilisés comme indices de références pour le calcul de l'évolution du loyer lors de la révision triennale ou du renouvellement du bail.
Toutefois, il doit être souligné que l'article L. 112-2 du Code monétaire et financier, qui vise les indices applicables en matière de droit immobilier, n'a aucunement été modifié par la loi Pinel. Aussi, la référence à l'indice ICC demeure tout à fait licite dans le cadre d'une clause conventionnelle d'échelle mobile (annuelle ou triennale).
1.2 Sur l'évolution du loyer en fin de bail commercial
L'on rappellera que si, à l'expiration du bail commercial, le loyer du bail en renouvellement doit en principe être "plafonné" (i.e., limité suivant l'application de l'indice), il est des cas - sous réserve bien évidemment qu'un des motifs de déplafonnement visés aux 1° à 4° de l'article L.145-33 du Code de commerce vient à s'appliquer - où, à la demande généralement du bailleur, le loyer du bail renouvelé doit être "déplafonné" et fixé en valeur locative, ce qui peut conduire à des écarts substantiels, notamment dans le cas où le loyer plafonné était faible et où la valeur locative des locaux loués a augmenté fortement
L'article L.145-34 du Code de commerce dispose désormais en son alinéa 4 que dans cette hypothèse, "la variation de loyer qui en découle ne peut conduire à des augmentations supérieures, pour une année, à 10% du loyer acquitté au cours de l'année précédente".
Il doit être précisé que cette mesure sera applicable aux baux commerciaux conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014.
Ainsi, la loi restreint le réajustement annuel qui peut être appliqué au preneur à 10% du montant du dernier loyer acquitté.
Autrement dit, le bailleur risque de se voir désormais contraint de récupérer sur plusieurs années la différence, d'autant plus qu'elle est substantielle, entre le loyer plafonné au renouvellement du bail et le nouveau loyer à compter de la date du renouvellement.
2. Un encadrement des droits et obligations financières des parties pour mieux protéger le locataire
La loi Pinel a inséré deux nouveaux articles, les articles L.145-40.1 et L.145-40-2 du Code de commerce, pour mieux encadrer les droits et obligations respectives du bailleur et du locataire et indirectement, pour mieux protéger le locataire, sur le modèle du bail d'habitation.
Ces dispositions portent sur l'état des lieux (2.1) et sur la répartition des charges, taxes, impôts et travaux (2.2).
2.1 Des états des lieux obligatoires
La loi rend obligatoire l'établissement d'un état des lieux contradictoire d'entrée et de sortie lors de la conclusion du bail, de la cession du droit au bail, de la mutation à titre gratuit ou onéreux du bail commercial, soit à l'amiable, soit, à défaut, par huissier de justice à frais partagés à moitié entre les deux parties.
L'alinéa 3 du nouvel article L.145-40.1 du Code de commerce dispose expressément que le bailleur qui n'aura pas fait toutes diligences pour la réalisation de l'état des lieux ne pourra invoquer la présomption de l'article 1731 du Code civil selon laquelle le bien a été remis en bon état de réparation.
Autrement dit, dans cette dernière hypothèse, le bailleur ne pourra se prévaloir de la présomption de l'article 1731 du Code civil pour s'opposer, suite au départ du locataire, à la restitution du dépôt de garantie, en partie ou en totalité, au motif que le locataire aurait commis de prétendues dégradations dans les locaux.
2.2 Une répartition des charges, taxes, impôts et travaux mieux encadrée et définie
L'article L.145-40.2 du Code de commerce prévoit, dans un souci d'améliorer la transparence et prévisibilité des obligations financières mises à la charge du locataire, qu'un inventaire précis et limitatif des charges locatives, taxes et impôts revenant à chaque partie, soit annexé au contrat de bail pour les contrats conclus ou renouvelés à compter du 1er septembre 2014.
Un décret d'application doit venir préciser les charges qui ne sauraient être imputées au locataire.
Autrement dit, s'il n'est pas, à l'heure actuelle, permis de savoir exactement les charges, taxes et impôts, que le bailleur pourra continuer à répercuter à son locataire en vertu de la liberté contractuelle, les dispositions de la loi laissent à penser que certaines taxes et impositions, et notamment la taxe foncière, ne seront plus récupérables sur le locataire.
Dans un même souci de meilleure transparence et visibilité pour le locataire, la loi Pinel encadre les travaux réalisés lors du bail en mettant notamment à la charge du bailleur une obligation d'information de son locataire sur les travaux envisagés lors de la conclusion du contrat de bail puis tous les trois ans ainsi que les travaux réalisés dans les trois précédentes années ainsi que leur coût.
3. Un droit de préemption au profit du locataire en cas de vente du local commercial
Le nouvel article L.145-46-1 du Code de commerce prévoit la création d'un droit de préemption au profit du preneur du bail commercial en cas de cession des murs par le bailleur.
Cette mesure n'est pas sans rappeler le droit de préemption dont bénéficie le locataire en matière de bail d'habitation de locaux vides et non meublés au titre de l'article 15 II de la loi du 6 juillet 1989, à la différence toutefois que le droit de préemption n'impliquera pas la délivrance d'un congé pour vendre comme en matière de bail d'habitation, ce qui impliquera concrètement que le locataire commerçant ne se retrouvera pas, en cas de refus, occupant sans droit ni titre et ne sera pas expulsé et que le bien sera simplement vendu occupé à un tiers cessionnaire.
Si ce droit de préemption pouvait parfois être expressément prévu dans un bail commercial, il sera désormais automatique.
Aussi, le bailleur devra, dans l'hypothèse où il souhaiterait céder les murs du fonds, purger au préalable le droit de préemption selon les modalités prescrites audit article. Pour ce faire, il devra respecter le formalisme prévu audit article.
Il convient de préciser que cette mesure sera effective pour les cessions intervenant à compter du 18 décembre 2014.
4. L'impossibilité pour le preneur de renoncer à son droit de donner congé à l'expiration de chaque période triennale
L'article L. 145-4 du Code de commerce permettait précédemment de prévoir conventionnellement que le preneur renonce à donner congé à l'expiration de telle ou telle période triennale.
Cette clause était généralement demandée par le bailleur et accordée par la locataire et était de nature à garantir au bailleur que le locataire se maintiendrait a minima jusqu'à la seconde période triennale, voire pendant toute la durée du bail.
Désormais, il ne sera désormais plus possible au preneur de renoncer à son droit de donner congé à l'expiration d'une période triennale.
Cette disposition est d'ordre public sauf pour les baux conclus pour une durée supérieure à neuf ans, les baux des locaux monovalents, les baux consentis à usage exclusif de bureaux et les baux de locaux de stockage.
5. Une protection accrue du locataire en cas de cession de son bail commercial
La plupart des baux commerciaux prévoient une clause de solidarité entre le cédant et le cessionnaire en cas de cession de fonds de commerce ou de droit au bail.
Concrètement, cette clause de garantie du locataire cédant au profit du bailleur vise à garantir le paiement par l'ancien locataire cédant en cas de défaillance du nouveau locataire cessionnaire dans le paiement des loyers.
Il est vrai que cette clause est de nature à apeurer quelque peu le locataire cédant en cas de cession de leur fonds de commerce ou de leur droit au bail.
Les nouveaux articles L. 145-16-1 et L.145-16-2 du Code de commerce prévoient (i) une obligation d'information à la charge du bailleur en cas de défaut de paiement du locataire dans un délai d'un mois à compter de la date à laquelle la somme aurait dû être versée - sans toutefois indiquer une éventuelle sanction en cas de non-respect de cette disposition - et (ii) une limitation de la durée de validité de cette clause de solidarité, à savoir trois ans à compter de la cession.
Je reste à votre disposition pour tout renseignement complémentaire.
Cet article n'engage que son auteur
David MICHEL
Avocat au Barreau de Paris
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