Les ordonnances Macron ont instauré un barème obligatoire de dommages intérêts dûs par l'employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Plusieurs Conseils de prud'hommes refusent de l'appliquer.

Les ordonnances Macron ont instauré des mesures peu favorables au salarié, notamment par la mise en place d’un barème obligatoire des dommages et intérêts dus par l’employeur en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse par le Conseil de prud’hommes. Celui-ci fixe des montants planchers et plafonds en fonction de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise. Quelques exceptions à l’application de ce barème y sont prévues (violation d’une liberté fondamentale, harcèlement moral…). (ord. 2017-1387 du 22 septembre 2017, art. 2, JO du 23 ; article L.1235-3 du Code du travail).

 

Ce barème a été fortement décrié, notamment parce qu’il pouvait y être vu une opportunité pour les entreprises de licencier sans motif, moyennant une « petite enveloppe » en cas de contestation. D’un point de vue plus juridique, il peut être considéré comme contraire aux normes internationales et à la Constitution, des actions avaient tenté d’y faire barrage ; en vain : ainsi, aussi bien le Conseil d’Etat que le Conseil constitutionnel avaient validé le barème.

Les débats laissaient donc la place à un grand suspense sur l’accueil que les conseils de prud’hommes allaient réserver à ce barème, et comment ils allaient s’en emparer. Allaient-ils y voir une restriction à leur pouvoir d’appréciation ou au contraire un guide permettant de rendre des décisions plus « justes » et « uniformes » entre Conseils ?

Plusieurs justiciables ont invoqué la Convention 158 de l’OIT et la Charte sociale européenne pour inciter des Conseils de prud’hommes à ne pas prendre le barème en considération pour fixer le montant de leur indemnisation.

L’article 10 de la Convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) impose le versement d’une « indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée » en cas de licenciement injustifié ;

L’article 24 de la Charte sociale européenne consacre le « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

 

  • Les premières décisions des Conseils de prud’hommes

Premier à traiter cette question, le Conseil de prud’hommes du Mans n’a pas été convaincu. D’une part, il a refusé d’appliquer l'article 24 de la Charte sociale européenne et, d'autre part, a considéré que le barème était conforme à la Convention 158 (CPH du Mans, 26 septembre 2018, RG F 17/00538).

Pourtant, d’autres conseils de prud’hommes, majoritaires en nombre, ont pris des décisions contraires en refusant d’appliquer le barème, ouvrant peut être le début d’une série ...

- Tout d’abord, le 13 décembre 2018 le Conseil de prud’hommes de Troyes, a considéré que le barème de l’article L. 1235-3 violait la Charte sociale européenne et la Convention 158 de l’OIT (CPH de Troyes, 13 décembre 2018, RG F 18/00036).

- Le Conseil de prud’hommes d’Amiens a ensuite confirmé cette position, dans un jugement du 19 décembre 2018, sur le seul fondement de la Convention 158. Dans cette affaire, les conseillers prud’homaux se sont exonérés du barème pour décider d’une indemnité plus « appropriée » (CPH d’Amiens, 19 décembre 2018, RG F 18/00040).

Ici, il est intéressant de noter que le Conseil évaluait à un ½ mois de salaire l’indemnité due au salarié en application du barème, correspondant au montant plancher de l’indemnité prévue par le barème, lequel prévoit un maximum de 3 mois.

- Enfin, le Conseil de prud’hommes de Lyon vient de rendre en décision dans le même sens : par un jugement du 21 décembre 2018, il s’affranchit du barème légal sans même l’évoquer, pour fixer le montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse au visa de la Charte sociale européenne (CPH de Lyon, 21 décembre 2018, RG F 18/01238).

 

  • Une suite incertaine

Ces décisions ouvrent donc une période d’incertitude, car si certains conseils de prud’hommes vont vraisemblablement s’inscrire dans le sillage de la jurisprudence « Troyes-Amiens-Lyon », d’autres préféreront s’en tenir à celle du conseil de prud’hommes du Mans.

Reste à savoir comment les Cours d’appel accueilleront le sujet, et comment se positionnera la Cour de cassation ! Celle-ci aura la lourde tâche de trancher le fait de savoir si le barème Macron est conforme ou non aux textes internationaux et européens.