Sur la requalification de la relation contractuelle (16 ans en CDDU) en contrat de travail à durée indéterminée depuis le 22 juillet 2005

S’il résulte de la combinaison des articles L1242-1, L1242-2, L1245-1 et D1242-1 du Code du travail, dans leur rédaction alors applicable, que dans les secteurs d’activité définis par décret ou par voie de convention ou d’accord collectif étendu, certains des emplois en relevant peuvent être pourvus par des contrats à durée déterminée lorsqu’il est d’usage constant de ne pas recourir à un contrat à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois, et que des contrats à durée déterminée successifs peuvent, en ce cas, être conclus avec le même salarié, l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée conclu le 18 mars 1999, mis en œuvre par la directive n° 1999/70/CE du 28 juin 1999, en ses clauses 1 et 5, qui a pour objet de prévenir les abus résultant de l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs, impose de vérifier que le recours à l’utilisation de contrats à durée déterminée successifs est justifié par des raisons objectives qui s’entendent de l’existence d’éléments concrets établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi.

L’article D1242-1 du Code du travail vise expressément le secteur audiovisuel parmi les secteurs d’activité dans lesquels des contrats de travail à durée déterminée peuvent être conclus pour les emplois pour lesquels il est d’usage constant de ne pas recourir aux contrats de travail à durée indéterminée en raison de la nature de l’activité exercée et du caractère par nature temporaire de ces emplois.

L’accord national « branche de la télédiffusion » en date du 22 décembre 2006 vise les fonctions de montage, post-production, graphisme parmi celles pour lesquelles il est possible de recourir au contrat de travail à durée déterminée d’usage.

L’article 1. 2 de la convention collective de la communication et de la production audiovisuelle prévoit que pour les métiers énumérés dans l’annexe 1 (dans laquelle sont mentionnés les métiers de monteur et de chef monteur) les parties reconnaissent [...], pour des activités temporaires, la possibilité de recourir à des contrats à durée déterminée.

Pour autant, la détermination par le décret et par l’accord collectif de la liste précise des emplois pour lesquels il peut être recouru au contrat de travail à durée déterminée d’usage ne dispense pas le juge, en cas de litige, de vérifier concrètement l’existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné. Il ressort des éléments communiqués que Madame X a toujours exercé les mêmes fonctions de monteuse ou de chef monteuse et était en charge du montage pour le journal télévisé diffusé à midi et le soir, de l’une des antennes de RFO sur l’île de La Réunion, étant précisé qu’il ressort de la lecture des plannings qu’elle communique qu’elle occupait, au moins depuis le mois de janvier 2017, le poste de chef-monteur, nonobstant les indications des contrats mentionnant celui de monteur.

Au surplus, la cour relève que la société France Télévisions ne communique pas tous les contrats ayant été signés par les parties ni ne justifie des motifs invoqués pour ceux conclus entre 2005 et 2013, s’agissant de remplacements ou d’accroissements temporaires d’activité, et ne démontre pas l’existence de raisons objectives établissant le caractère par nature temporaire de l’emploi concerné.

Il découle des constats ainsi opérés que la société France Télévisions disposait d’un volant de plusieurs monteurs et chefs monteurs, qu’elle pouvait alternativement solliciter, et que Madame X a, entre le 22 juillet et le 24 juillet 2005, entre le 15 et le 16 octobre 2005, entre le 5 juillet 2006 et le 22 octobre 2006, puis à compter du 2 janvier 2008, occupé un emploi dans des conditions strictement identiques et qu’elle était amenée, à compter de l’année 2008, à travailler tout au long de l’année, et de façon continue.

Nonobstant le nombre limité de jours travaillés et rémunérés chaque année par la société France Télévisions au cours de cette collaboration, les conditions concrètes des interventions de la salariée révèlent que l’activité elle-même de montage des journaux télévisés sur l’antenne de RFO était permanente, de même que l’activité de la salariée, alors qu’il n’est pas utilement contesté que d’autres chefs monteurs assuraient les mêmes tâches, suivant les mêmes directives ou chartes de programme.

Il s’ensuit que les contrats à durée déterminée successifs avaient, dans le cas d’espèce, pour objet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise, nonobstant l’exercice d’une activité salariée résiduelle par Madame X au profit d’autres sociétés en 2015 et en 2016, ainsi qu’il ressort de ses déclarations de revenus.

Dès lors, il sera fait droit à la demande de requalification remontant au premier contrat, la salariée étant réputée avoir occupé un emploi à durée indéterminée depuis le jour de son engagement par un contrat à durée déterminée irrégulier, soit depuis le 22 juillet 2005, peu important que la relation ne soit pas constituée d’une succession ininterrompue de contrats de travail à durée déterminée et qu’il y ait eu des périodes non travaillées.

Le jugement déféré est infirmé sur ce point et l’intégration de Madame X au poste de chef monteur en contrat à durée indéterminée au sein de la société France Télévisions sera ordonnée.

Dans son arrêt du 24 mars 2021 (Pole 6 Chambre 10), la Cour d’appel de Paris :

Sur la forme,
. Déclare recevable la demande de requalification des contrats à déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée à compter du 22 juillet 2005,
. Déclare recevable les demandes nouvelles de Madame X de rappels de salaire pour les périodes interstitielles et de dommages et intérêts pour manquement à l’obligation de sécurité.

Sur le fond,
. Confirme le jugement déféré en ce qu’il a débouté Madame X de sa demande de dommages et intérêts pour discrimination liée à l’origine, L’infirme pour le surplus, Requalifie les contrats à durée déterminée d’usage conclus entre la SA France Télévisions et Madame X en contrat à durée indéterminée à compter du 22 juillet 2005,
. Ordonne l’intégration de Madame X au poste de chef monteur en contrat à durée indéterminée au sein de la SA France Télévisions, avec une reprise d’ancienneté au 22 juillet 2005,
. Fixe la rémunération de base mensuelle de Madame X pour un contrat à durée indéterminée à temps complet au poste de chef monteur à la somme de 2 215,89 euros,
.Condamne la SA France Télévisions à payer à Madame X les sommes suivantes :
- 1 618,16 euros d’indemnité de requalification,
- 2 500 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile,
. Déboute Madame X de ses demandes de rappels de salaire pour les périodes interstitielles et de dommages et intérêts pour manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

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Frédéric CHHUM avocat et membre du conseil de l’ordre des avocats de Paris (mandat 2019-2021)

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