La mer a souvent été le vecteur de grandes découvertes. Mais, l’une d’elles a connu un incroyable succès. C’est dans la Marine, en effet, sous Louis XIV, qu’a été organisée la première véritable forme de sécurité sociale (1).
Dans ce domaine, les sociétés européennes du XVIIième siècle ne connaissaient rien d’autre que des mécanismes rudimentaires de protection sociale : charité chrétienne, aides mutuelles corporatives greffées autour de quelques métiers privilégiés. Il ne s’agissait, cependant, que d’initiatives purement privées.
C’est grâce à Colbert qu’est né le premier système de protection sociale sous contrôle étatique. Ce ministre du Roi voulait doter la France d’une flotte de guerre réellement puissante, et afin de réaliser cet objectif, il exerça son action dans de nombreux domaines. Cependant, une faiblesse de la Marine Royale de l’époque concernait le recrutement des équipages. Le système de la « presse » était alors le moyen de pourvoir les bateaux en hommes. C’était, tout simplement, un enrôlement forcé. Dans le pire des cas, un bas quartier du port était bouclé, et tout homme valide était embarqué de gré ou de force.
Colbert a supprimé cette pratique pour instaurer, en 1668, le « système des classes ». Le littoral a été découpé en 80 quartiers, et les gens de mer qui le peuplaient, divisés en trois classes. Chaque classe servait une année sur trois dans la Marine Royale. L’année de service était, elle-même, divisée en deux périodes de six mois : l’une consistait pour le marin à être embarqué et à toucher une solde complète, l’autre le laissait de réserve à terre, avec une demi-solde. L’année du service, les hommes perdaient toute possibilité de s’embarquer au commerce ou même de déménager. Ce fut l’origine de l’Inscription Maritime qui a ultérieurement été remplacée, en 1965, par l’Administration des Affaires Maritimes. Ce système permettait à la « Royale » de disposer d’hommes amarinés, et conciliait, en principe, les besoins de la pêche, du commerce et de la guerre.
Mais, cette obligation fut mal acceptée, et pour susciter plus de volontarisme, Colbert institua un véritable mécanisme de sécurité sociale. En peu de temps, il instaura l’Etablissement des Invalides à Rochefort, puis une Caisse des Invalides de la Marine. Le premier était un établissement capable d’accueillir les estropiés, devenus invalides des suites de leur service dans la Marine. La seconde permettait de distribuer des prestations pour indemniser les veuves, les blessés, les invalides. Cette caisse était financée par des cotisations retenues sur les soldes des marins (0, 5 %), et sur le budget du département de la Marine (1%).
C’était donc un système de protection sociale déjà fort élaboré. On y retrouvait tous les mécanismes de la sécurité sociale moderne : cotisations ouvrières et patronales, prestations pour compenser la réalisation d’un risque de l’existence, tutelle ou gestion de l’Etat sur la caisse.
Cette technique d’assurance est allée en se développant puisqu’elle a été étendue à la Marine Marchande et aux corsaires, au début du XVIIIième siècle. L’Ordonnance de Castries attribua, en 1784, une retraite aux vieux marins de 60 ans.
La marine était alors à la pointe du progrès social, car rien d’équivalent n’existait à terre, pour protéger les travailleurs. Cependant, à partir du XIXième siècle, d’autres secteurs ont pu conquérir des avantages en matière de protection sociale. Finalement, la sécurité sociale s’est généralisée après la seconde guerre mondiale. Cependant, il reste encore de nombreux régimes spéciaux. L’Etablissement National des Invalides de la Marine (ENIM), dont le nom rappelle encore les origines, en est le plus ancien.
1) Le présent commentaire est inspiré des données historiques citées dans l'ouvrage du Professeur Patrick CHAUMETTE, "Le contrat d'engagement maritime" (éditions du CNRS 1998)
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