Par trois arrêts rendus le 28 septembre 2018 (n°16/13806, 16/22391 et 16/22614), le Pôle 5 chambre 6 de la Cour d'appel de Paris écarte la jurisprudence de la Cour de cassation en matière de nullité des intérêts contractuels lorsque le TEG du contrat de prêt est erroné.

En substance par ces trois arrêts la Cour d'appel de Paris reproche à la Cour de cassation d'avoir ouvert une option aux particuliers entre déchéance des intérêts ou nullité des intérêts contractuels, ces derniers privilégiant bien évidemment la nullité sur la déchéance.

 

1.- L'enjeu de l'option

La déchéance des intérêts est une sanction prévue par le code de la consommation, et plus particulièrement une sanction civile qui confère au juge le pouvoir discrétionnaire d'annuler tout ou partie des intérêts. S'agissant des prêts immobiliers ce pouvoir a été plafonné par ordonnance et le juge ne peut aller au delà de 30 % des intérêts et de 30 000 € en cas de TEG erroné dans l'offre de prêt.

La nullité des intérêts est une nullité du droit des obligations dégagée par la Cour de cassation sur le double fondement du droit de l'usure qui a institué le TEG et du droit civil du prêt à intérêt : le capital du contrat de prêt dont le TEG est erroné doit être remboursé au taux de l'intérêt légal, sans pouvoir modérateur du juge.

 

2.- Les emprunteurs avaient bien pris soin de viser le TEG du contrat de prêt, et non celui de l'offre

La Cour d'appel ne vient pas heurter de plein fouet le principe de nullité des intérêts contractuels mais justifie qu'il doit y être dérogé dans la mesure où la sanction prévue par le code de la consommation est la seule qui soit en harmonie avec la jurisprudence et le droit européen qui prescrivent au juge de prononcer une sanction effective, proportionnée et dissusive contre le professionnel qui empêche le consommateur d'apprécier la portée de son engagement.

Pour justifier cette dérogation la Cour d'appel prend soin d'affirmer que l'unique objectif recherché par le législateur [français] a été de donner au TEG une fonction comparative, sous-entendu une fonction de comparaison des offres de crédit afin de mise en concurrence effective des établissements financiers.

Or l'objectif du législateur qui a créé le TEG en 1966, en dehors de tout droit européen sur la commercialisation des crédits, a été d'empêcher les banques de pratiquer des taux usuraires.

On objectera incidemment qu'avec le double plafonnement à 30 % et 30 000 € depuis 2016 en matière de crédit immobilier, c'est l'ordonnance qui restreint le pouvoir de déchéance du juge...

C'est la Cour de cassation, par sa jurisprudence présentement contournée, qui a fait du TEG l'instrument de la légalité de l'engagement de l'emprunteur à payer toutes les charges du crédit contracté et non de sa préférence de telle offre sur une autre.

 

3.- le TEG de l'offre n'est pas celui du contrat

D'une part le TEG de l'offre est calculé sur un tableau d'amortissement prévisionnel où la première échéance (non datée) tombe exactement un mois après le décaissement des fonds. En pratique il arrive fréquemment qu'une échéance "brisée", d'une durée de moins d'un mois, précède la première échéance "pleine", ce qui génère un intérêt supplémentaire qui doit être intégré au calcul du TEG.

D'autre part lorsque le prêt est conditionné à la souscription d'une Assurance Décès Invalidité (plus de 90 % des cas en matière immobilière), l'emprunteur est libre de préférer une autre assurance que celle sur laquelle le TEG de l'offre a été calculé, ce qui nécessite un nouveau calcul du TEG.

 

4.- La déchéance, qui est une sanction civile d'un régime de police de l'offre sur le marché des crédits aux consommateurs, ne relève pas du droit des contrats

Cette police de l'offre de crédit contient des sanctions pénales et des sanctions civiles dont la déchéance, ce qui est juridiquement distinct du régime du droit des contrats, et du droit du contrat de prêt à intérêt en l'occurence pour lequel le TEG erroné est une cause de nullité de la clause contractuelle d'intérêt.

La Cour de cassation le rapelle régulièrement (Civ 1ère 11 septembre 2013 n° 12-14905 non publié ou Civ1ère 14 décembre 2016 n° 15-26306 publié) mais la Cour d'appel de Paris ne veut pas l'entendre.

Comme a très bien pu le dire en son temps le TGI Paris: 9ème chambre, 25 mars 2014 n° 11/04698

"L'exigence d'un écrit mentionnant le taux effectif global est une condition de la validité de la stipulation d'intérêts, à défaut de laquelle le taux d'intérêt légal est substitué, à compter de la date du prêt, au taux conventionnel, sans qu'il y ait lieu de rechercher si l'omission de la mention est de nature à induire l'emprunteur en erreur sur les conditions du prêt.

Cette solution constante est parfaitement connue des acteurs du système bancaire, en particulier des banquiers dispensateurs de crédit."

... et pour cause puisque le premier arrêt de la Cour de cassation date des années 80 ! (Civ 1ère 24 juin 1981 n° 80-12773 et 80-12903).

 

5.- Le droit à la nullité de la stipulation d'intérêt est garanti par l'article 16 de la déclaration de 1789

C'est au visa de cet article 16 : "Toute Société dans laquelle la garantie des Droits n'est pas assurée, ni la séparation des Pouvoirs déterminée, n'a point de Constitution." que le Conseil constitutionnel a invalidé l'article 92 § 2 de la loi de finances pour 2014.

Ledit article 92 §2 visait à valider les clauses de stipulation d'intérêts de tous les prêts passés par des personnes morales qui les contestaient au moyen du défaut de mention du taux effectif global.

Dans sa décision n°2013-685 DC du 29 décembre 2013, le Conseil constitutionnel relève :

" qu'il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que l'exigence d'un écrit mentionnant le taux effectif global est une condition de la validité de la stipulation d'intérêts et qu'en l'absence de stipulation conventionnelle d'intérêts, il convient de faire application du taux légal à compter du prêt "

et invalide sur le fondement de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ce §2 en raison de sa portée très large qui porte une atteinte injustifiée aux droits des personnes morales ayant souscrit un emprunt.