Alors que le 26 mai 2016, un projet de loi « relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique », prescrivant notamment la création d’un répertoire des représentants d’intérêts, était enregistré à la Présidence de l’Assemblée Nationale, le Législateur amendait le projet de loi « Travail » sous l’impulsion « des groupes de pression ».

Durant les manifestations qui ont eu lieu lors de l’élaboration du projet de loi « Travail », les revendications syndicales se sont essentiellement portées sur  la critique « de l’inversion de la hiérarchie des normes, la redéfinition des licenciements économiques, le référendum ou encore  la refonte de la médecine du travail ».

Pourtant d’autres mesures inscrites dans le projet de loi auraient pu être abordées par les défenseurs des salariés, tant leurs effets  entrainent des conséquences importantes sur leurs droits, d’autant que l’élaboration de celles-ci résulte très clairement de l’influence de groupes d’intérêts.

Tel est le cas de l’article 95 de la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 dite loi « Travail » qui a créé le nouvel article 1224-3-2 du Code du travail et qui réduit la possibilité pour certains salariés de se prévaloir d’une inégalité de traitement dont ils seraient victimes par rapport à leurs collègues de travail.

Avant d’aborder concrètement cette nouvelle disposition, un bref rappel s’impose.

LE PRINCIPE D’EGALITE DE TRAITEMENT : SOURCES ET APPLICATIONS

Si le droit de l’Union Européenne, le droit Constitutionnel ou encore le Code du travail prévoient des principes de non-discrimination et d’égalité, le principe de l’égalité des rémunérations entre salariés placés dans une situation « identique  de travail », découle principalement d’une décision « PONSOLLE » de la Cour de Cassation, rendue le 29 octobre 1996, dont la portée est sans nul doute connue de tous : « à travail égal, salaire égal ».

Ainsi, un salarié placé dans une situation d’emploi « identique » vis-à-vis d’un autre salarié qui  bénéficie, d’un avantage salarial et qui appartient à la même entreprise, à la possibilité, d’invoquer dans les prétoires la violation du principe d’égalité pour obtenir ledit avantage.

Dans ce cas l’employeur, auteur de la disparité salariale, ne peut « échapper à sa condamnation » qu’en démontrant que la rupture d’égalité  repose, en réalité, sur des raisons objectives et pertinentes.

Seulement voilà, pour certains employeurs prestataires de service agissant sur des marchés de travail ; égalité salariale, gestion des rémunérations et reprise de contrat, ne font pas bon ménage.

L’EGALITE DE TRAITEMENT ET LES REPRISES DE MARCHES

Il est important de rappeler que, sous certaines conditions,  lorsqu’il y a une reprise d’activité d’une entreprise par une autre entreprise, la loi prévoit que les contrats de travail des salariés sont transférés à l’entreprise qui reprend l’activité.

Cependant cette obligation prévue à l’article L1224-1 du Code travail, régissant le transfert légal des contrats de travail, ne s’applique pas lorsque la reprise d’activité s’effectue dans le cadre d’une reprise de marché de certaines activités telles que le nettoyage, la sécurité ou encore le transport (non-assimilable à un transfert d’une entité économique autonome, condition essentielle d’application de l’article L1224-1 du Code du travail).

Pour y remédier et dans le but de permettre aux salariés d’être maintenus sur le marché repris, les partenaires sociaux de ces branches d’activités ont mis en place conventionnellement, et sous conditions, des transferts de contrats dits « de plein droit ».

Tel est, par exemple, le cas de l’article 7 de la convention collective des entreprises de propreté, ou encore de l’accord du 28 janvier 2011 rattaché à la convention collective des entreprises de sécurité.

Or pour la jurisprudence, un transfert conventionnel n’est pas juridiquement assimilable à un transfert légal.

Ainsi, dans deux décisions  (Soc. 15 janvier 2014 n°12-25402 - afférente aux entreprises de nettoyage et Soc.16 septembre 2015 n°13-26788 - afférente aux entreprises de sécurité) en interprétant le principe d’égalité lors de transferts conventionnels alors que des salariés « originaires » de l’entreprise entrante réclamaient les mêmes avantages que leurs collègues nouvellement repris, les Juges du quai de l’Horloge vont préciser que :

« le maintien des contrats de travail des salariés issus de la société X ne résultant pas de l'application de la loi et n'étant pas destiné à compenser un préjudice spécifique à cette catégorie de travailleurs, l'inégalité qui en résultait entre salariés accomplissant le même travail pour le même employeur sur le même chantier n'était pas justifiée par des raisons pertinentes et méconnaissait ainsi le principe d'égalité, la cour d'appel a violé le principe et le texte susvisés. »

En d’autres termes, si dans le cadre d’une reprise d’un marché, l’entreprise entrante se retrouve, par l’application du transfert conventionnel, avec des salariés bénéficiant d’avantages supplémentaires, elle doit, sous couvert du principe d’égalité, octroyer ces avantages à ses propres salariés sans pouvoir justifier de l’inégalité par la simple application des dispositions conventionnelles.

Si certains ont vu dans ces arrêts de la Cour de cassation un nivellement vers le haut des rémunérations, d’autres n’y ont vu qu’une atteinte prétorienne au pouvoir de direction des employeurs et un « gouffre financier exponentiel ».

LA FORMATION DU GROUPE « DE PRESSION » ET L’AMENDEMENT DE LA LOI « TRAVAIL »

En raison des multiplications des actions judicaires des salariés des entreprises concernées et des condamnations de ces dernières, la Fédération des Entreprises de Propreté et Services Associés (F.E.P.), va dès l’année 2015 s’ériger en « groupe de pression » en obtenant du Ministère du Travail, la création d’un groupe de travail sur l’application du  principe « à travail égal, salaire égal ».

La volonté de la F.E.P. était d’obtenir l’intervention du législateur au travers de propositions d’amendements pour restreindre la portée des actions judiciaires.

C’est dans le cadre du projet de la loi « Travail » que les actions menées par la F.E.P. vont se matérialiser.

En effet, dès sa première version, le projet sera « amendé » à l’Assemblée Nationale, puis au Sénat, par l’inclusion de deux articles 41BISA et 41BIS AA  rédigés en des termes strictement identiques, qui après le changement de dénomination de la loi, seront rétablis à l’article 95 du projet définitif.

Issu de cette disposition, le nouvel article L.1224-3-2 du Code du travail prévoit que :

«  Lorsque les contrats de travail sont, en application d'un accord de branche étendu, poursuivis entre deux entreprises prestataires se succédant sur un même site, les salariés employés sur d'autres sites de l'entreprise nouvellement prestataire et auprès de laquelle les contrats de travail sont poursuivis ne peuvent invoquer utilement les différences de rémunération résultant d'avantages obtenus avant cette poursuite avec les salariés dont les contrats de travail ont été poursuivis. »

Cette nouvelle disposition empêcherait donc un salarié appartenant à la même entreprise et faisant le même travail qu’un autre, mais sur un « site » différent, « d’invoquer utilement une différence de rémunération », (apparaissant pourtant injustifiée, dès lors que cette différence de rémunération résulte du transfert conventionnel).

Là où le processus apparait critiquable est qu’en raison de l’application par le Gouvernement de l’article 49 alinéa 3 de la Constitution, le débat sur cette disposition n’a pas réellement eu lieu devant les Parlementaires.

Il aurait été pourtant nécessaire de savoir si cette disposition qui porte atteinte à un principe constitutionnel n’avait pas uniquement pour but de protéger des intérêts financiers particuliers avant de la faire entrer dans le corpus législatif français.

Si tel était le cas, la loi «Travail » deviendrait alors un énième exemple d’un processus législatif manifestement dévoyé permettant à des entreprises ou des associations d’influencer en leur faveur les décideurs publics, corroborant, par là même, la nécessité de légiférer sur le sujet et justifiant d’ailleurs, la note peu glorieuse de 2,7/10 attribuée à la France par l’association « Transparency International », qui milite pour plus de transparence et d’intégrité dans la vie publique.

Il est à noter qu’une Question Prioritaire de Constitutionnalité déposée et transmise le 5 octobre 2016 par le Conseil de Prud’hommes de MONTPELLIER, permettra, peut-être, de savoir si cette disposition, de la loi « Travail », était bien l’expression de la volonté générale...