En suite du plan de reprise présenté par le Premier Ministre, le Ministère du travail a publié un « protocole national de déconfinement pour les entreprises pour assurer la santé et la sécurité des salariés » ainsi que des fiches dites « métiers » avec des recommandations par secteur d’activité.

A la lumière des décisions rendues en avril, notamment dans l’affaire « AMAZON », il faut garder à l’esprit que l’obligation de sécurité qui pèse sur l’employeur reste une obligation de résultat.

Les entreprises doivent donc tout mettre en œuvre pour protéger leurs salariés et, de fait, protéger leur responsabilité tant civile que pénale.

Il faut en effet être prudent car même le respect du protocole ministériel ne suffit pas à désengager la responsabilité de l’employeur. C’est sur le fondement d’un défaut de mise à jour du Document Unique d’Évaluation des Risques Professionnels que 3 grandes entreprises ont été retoquées en ce mois d’avril.

 

1)    PROTEGER SES SALARIES : METTRE EN PLACE LE PROTOCOLE MINISTERIEL :

Avant d’exposer les mesures détaillées e ce long protocole, la Ministre du travail rappelle que le télétravail doit être la règle chaque fois qu’il le peut. Le protocole n’a qu’un caractère supplétif en cas d’impossibilité de maintenir le télétravail.

Le protocole édité par le Ministère du travail édicte des règles relativement simples :

  •  Mesures barrières et distanciation physique :

Nul besoin de rappeler ici dans le détail les fameuses mesures barrières répétées à l’envi depuis le mois de janvier : se laver les mains, utiliser un mouchoir jetable, éternuer dans son coude, ne pas se serrer la main, se tenir à au moins 1 mètre de distance.

Les règles de distanciation physique imposent que chaque salarié puisse disposer d’un espace libre au tour de lui de 4m2.

Pour savoir combien de personnes peuvent occuper un espace au même moment, il faut diviser la surface résiduelle (c’est à dire la surface diminuée de l’espace occupé par les meubles etc.) par 4.

Idéalement, une personne par bureau. Pour les open space : éviter le face à face, distancer les postes de travail, installer des plexiglas de séparation. Enfin, c’est la fin des Open Flex : il faut attribuer un poste fixe.

 

  • Gestion des flux 

​Des plans de circulation doivent être mis en œuvre pour garantir le respect de la distanciation physique minimale, que ce soit dans des lieux clos et exigus ou dans des espaces ouverts, mais sous une forme incitative plus que contraignante.

Les tourniquets doivent être condamnés.

Il faut réaménager les horaires d’arrivée, éventuellement mettre en place des équipes alternantes.

Un circuit de circulation peut également être installé.

Pour les locaux communs, les horaires de pause doivent être échelonnés. Un marquage au sol peut être installé devant la machine à café…

La réception dans certains services internes plus sollicités que d’autre (les RH par exemple) doit se faire sur rendez-vous.

 

  • Les masques :

Les masques sont finalement recommandés mais les gants sont désormais déconseillés.

Mais attention le port du masque n’est obligatoire que dans le cas où la distanciation physique d’un mètre entre deux personnes ne peut être garantie.

Pour les employeurs qui souhaitent tout de même mettre à disposition des masques, il faudra rappeler les conditions d’une bonne utilisation de celui-ci : couvrir la bouche et le nez, ne pas le toucher…

 

  • Les dépistages

Les entreprises ne sont pas autorisées à organiser des campagnes de dépistage de leurs salariés.

Mais elles doivent se faire le relais des messages des autorités sanitaires, notamment en invitant tout salarié qui présenterait des symptômes à quitter son lieu de travail et à consulter un médecin lequel pourra le cas échéant prescrire un test de dépistage.

L’employeur pourra être amené à collaborer avec les autorités sanitaires dans le cadre du contact tracing à venir.

 

  • La prise de température

Un contrôle de température à l’entrée des établissements est déconseillé mais n’est pas interdit.

Pour pouvoir le mettre en place, les entreprises doivent élaborer une note de service valant adjonction au règlement intérieur prévue à l’article L. 1321-5 du code du travail qui autorise une application immédiate des obligations relatives à la santé et à la sécurité́.

Cette note de service doit être communiquée simultanément au secrétaire du Comite Social et Économique ainsi qu’à l’inspection du travail.

Elle doit alors respecter les dispositions du code du travail relatives au règlement intérieur : être proportionnée à l’objectif recherché et offrir toutes les garanties requises aux salariés concernés tant en matière d’information préalable, de conséquences à tirer pour l’accès au site, que d’absence de conservation des données. 

A cet égard, ces contrôles doivent être destinés à la seule vérification de la température à l’entrée d’un site au moyen d’un thermomètre (par exemple de type infrarouge sans contact), sans qu’aucune trace ne soit conservée, ni qu’aucune autre opération ne soit effectuée (relevés de ces températures, remontées d’informations, etc.). 

Doivent être exclus : 

    -       Les relevés obligatoires de températures de chaque employé́ ou visiteur dès lors qu’ils seraient enregistrés dans un traitement automatisé ou dans un registre papier ; 

   -       Les opérations de captation automatisée de température au moyen d’outils tels que des caméras thermiques. 

En tout état de cause, en l’état des prescriptions sanitaires des autorités publiques, le contrôle de température n’est pas recommandé́ et a fortiori n’a pas un caractère obligatoire et le salarié est en droit de le refuser. Si l’employeur, devant ce refus, ne laisse pas le salarié accéder à son poste, il peut être tenu de lui verser le salaire correspondant à la journée de travail perdue. 

 

  • Le nettoyage et l’entretien des locaux

Pour les locaux qui sont restés fermés pendant la durée du confinement ou à tout le moins s’ils n’ont pas été fréquentés dans les 5 derniers jours, un simple nettoyage suffit sans nécessiter de désinfection.

Pour le nettoyage quotidien après réouverture, il faudra utiliser des produits spécifiques.

Lorsque l’évaluation des risques le justifie (par exemple présence dans les locaux d’une personne testée positive), une opération de désinfection peut être effectuée en plus du nettoyage.

A ces règles, des mesures de bon sens rappelées par le Ministère :

    -       Une aération régulière de 15 minutes toutes les 3 heures des pièces fermées,

    -       La désinfection régulière des objets manipulés (photocopieur, machine à café) et les surfaces y compris les sanitaires

 

Pour les rampes d’escalier, le Ministère indique qu’elles doivent être nettoyées au moins deux fois par jour.

 

2)    SE PROTEGER : METTRE A JOUR LE DOCUMENT UNIQUE D’EVALUATION DES RISQUES PROFESSIONNELS ET LE REGLEMENT INTÉRIEUR

 

Trois décisions ont été rendues au cours du mois d’avril sur la question de la sécurité des salariés.

Le 3 avril 2020, le Tribunal judiciaire de Lille a rappelé l’obligation d’information pesant sur l’employeur et le devoir de sécurité pesant sur les salariés quant au respect des règles de prévention. Mais le Tribunal a rappelé qu’il appartient à l’employeur de veiller à la bonne exécution de ces règles.

Le 9 avril 2020, le Tribunal judiciaire de Paris, saisi par la Fédération SUD des Activités Postales d’une action en référé contre LA POSTE, rappelle que même dans ce contexte l’obligation de sécurité demeure une obligation de résultat.

Malgré la mise en place de solutions concrètes (mesures barrières, mise à disposition de masques, de point d’eau, de savon, de gel hydro alcoolique etc.), le Tribunal sanctionne LA POSTE pour ne pas avoir adapter son DOCUMENT UNIQUE D’EVALUATION DES RISQUES PROFESSIONNELS (DUERP).

Enfin dans l’affaire AMAZON, l’entreprise est sanctionnée (entre autres) pour ne pas avoir intégré dans sa DUERP l’évaluation des risques psycho-sociaux liés à l’épidémie actuelle.

Aussi, au-delà du respect du protocole décrit ci-dessus, deux mesures s’imposent avant la reprise : mettre à jour sa DUER et le règlement intérieur.

D’un point de vue pratique, le DUER doit faire l’objet d’une mise à jour :

   -       Annuelle a minima ;

    -       Lorsqu’une décision d’aménagement risque d’avoir des conséquences importantes sur les conditions de travail ou sur l’hygiène et la sécurité ;

    -       Lorsqu’une information supplémentaire sur l’évaluation d’un risque professionnel dans une unité de travail est recueillie, c’est-à-dire après avoir analysé le risque de répétition d’un accident de travail déjà survenu.

Depuis le début de l’épidémie de Covid-19, la Direction générale du travail préconise la mise à jour par l’employeur du DUER afin de réduire au maximum les risques de contamination sur le lieu de travail ou à l’occasion du travail en faisant intervenir le CSE et la médecine du travail.

En cas de litige, le DUER constitue un élément indispensable à la défense de l’employeur.

Aucun formalisme n’est exigé pour établir ce document. Cela peut être un simple tableau à double entrée avec d’un côté les risques, de l’autre les mesures mises en œuvre.

Pour l’évaluation des risques, en collaboration avec les représentants du personnel, l’employeur doit procéder à l’évaluation des risques professionnels inhérents à l’épidémie de Covid-19. Il doit identifier les situations de travail dans lesquelles les conditions de transmission du Covid-19 sont réunies et évaluer pour chacune d’elles l’importance du risque eu égard à la fréquence des contacts et échanges entre individus (faible, moyen, élevé).

En face de chaque risque identifié, l’employeur se doit de mettre en œuvre toutes les mesures permettant d’éviter ou a minima de réduire les risques de contamination. Le DUER devra alors permettre au travers de l’organisation de l’entreprise, la mise en place des différentes mesures de distanciation sociale, conformément au protocole national de déconfinement, ainsi que le respect permanent des gestes barrières.

Conformément à l’alinéa 2 de l’article L.4121-1 du Code du travail, ces mesures devront faire l’objet d’actions d’information et de formation du personnel : affichage des infographies rappelant les gestes barrières, panneau de restriction sur la porte des ascenseurs, fléchage, mise à disposition de fiches relatives à la bonne utilisation des équipements de protection (masques, gants etc.).

Pour finir, les mesures mises en œuvre dans le cadre du DUER doivent être formalisées dans le règlement intérieur. Cela exige normalement une consultation préalable du CSE.

Cependant, dans le contexte actuel, comme déjà indiqué pour la prise de température, il est possible d’agir par voix de note de service valant adjonction au règlement intérieur par une procédure simplifiée.

Les notes de services peuvent recevoir application immédiate sous réserves d’avoir été immédiatement et simultanément communiquées au secrétaire du CSE et à l’inspection du travail. La consultation du CSE devra alors intervenir dans les plus brefs délais.

Enfin, il faudra veiller à la bonne diffusion du règlement intérieur mis à jour et des notes de service afin de garantir l’opposabilité des règles qu’elles contiennent.

 

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Je reste à votre entière disposition pour tout complément d’information qui vous serait nécessaire.

Votre bien dévouée,

 

Julie BELMA

Avocat à la Cour