Par sa décision n° 471605 du 29 janvier 2024, le Conseil d’Etat vient de se prononcer sur une question inédite dans le cadre d’une affaire du Cabinet : l’application de la présomption d’urgence à la suspension d’une décision portant refus de renouvellement de l’autorisation provisoire de séjour au titre de la protection temporaire.

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Le Cabinet a saisi le Tribunal administratif de Montpellier afin de solliciter la suspension de l’exécution d’un arrêté du Préfet de l’Hérault, refusant à un ressortissant ukrainien le renouvellement de son autorisation provisoire de séjour en tant que bénéficiaire de la protection temporaire.

Notre client est arrivé en France avec sa famille après le début de la guerre en Ukraine. A ce titre, ils ont pu bénéficier d’une autorisation provisoire de séjour prévue par la directive n° 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001. Cette autorisation arrivant à expiration, il en a été demandé le renouvellement auprès de la Préfecture. Cette dernière a refusé d’y faire droit, il s’agit de la décision attaquée par le Cabinet devant le Tribunal.

Toutefois, le Tribunal a rejeté la demande en considérant que la condition de l’urgence à suspendre le refus de renouvellement de l’autorisation provisoire de séjour n’était pas remplie (TA Montpellier, ord. n° 2206346, 27 décembre 2022). C’est dans ce cadre qu’un pourvoi a été formé devant le Conseil d’Etat.

 

  • L’élargissement de la présomption d’urgence en droit des étrangers :

A titre liminaire, il convient de rappeler que les dispositions de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative prévoient que deux conditions doivent être réunies pour qu’il soit fait droit à une demande de suspension d’une décision administrative : ​​​​​​​

  • L’existence d’une urgence à suspendre la décision ;
  • L’existence d’un moyen propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision.

En droit des étrangers et plus particulièrement en cas de refus de titre de séjour ou de refus de renouvellement de ce titre, la jurisprudence considère qu’une telle décision emporte une présomption d’urgence (CE, Section, 14 mars 2001, Ministre de l’Intérieur c/ Mme A., n° 229773).

Une telle application du régime de la présomption d’urgence se justifie compte tenu des effets immédiats de ces décisions sur la situation de l’intéressé : celui-ci ne bénéficie plus d’un titre de séjour régulier et perd, de fait, les droits qui y sont attachés.

Pour la première fois, le Conseil d’Etat a eu à se prononcer sur la question de l’application de la présomption d’urgence à la suspension d’une décision portant refus de renouvellement de la protection temporaire.

Pour se prononcer sur cette question inédite, le Conseil d’Etat s’est tout d’abord interrogé sur le point de savoir si le refus de renouvellement d’une protection temporaire pouvait être assimilé à un refus de renouvellement de titre de séjour.

Faisant application de la directive précitée du 20 juillet 2001, depuis transposée notamment aux articles L. 581-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, le Conseil d’Etat considère que la protection temporaire implique un droit au séjour, en ce que les intéressés bénéficient d’un droit au travail, à l’hébergement, à l’accès aux aides sociales, aux soins médicaux et à la scolarisation.

Dès lors, en retenant une appréciation identique à celle retenue de longue date pour les refus de titre de séjour et de refus de renouvellement de ces titres, le Conseil d’Etat considère dans sa décision du 29 janvier 2024 que le refus de renouvellement de la protection temporaire fait naitre une situation d’urgence pour l’intéressé.

La présomption d’urgence se retrouve alors étendue aux refus de renouvellement d’une autorisation provisoire de séjour au titre de la protection temporaire.

Appliquant ce principe aux faits, le Conseil d’Etat a retenu que le juge des référés du Tribunal administratif de Montpellier a commis une erreur de droit en rejetant la requête du Cabinet pour défaut d’urgence :

« 6. Pour rejeter la demande de suspension dont il était saisi, dirigée contre un refus de renouvellement d’une autorisation provisoire de séjour au titre de la protection temporaire, qui constitue, au regard de ses caractéristiques, un titre donnant droit au séjour, le juge des référés du tribunal administratif de Montpellier a recherché si la décision contestée préjudiciait de manière suffisamment grave et immédiate à la situation du requérant, en se fondant notamment sur la circonstance que les membres de sa famille bénéficient d’une autorisation provisoire de séjour, ouvrant droit au travail pour son épouse et sa belle-mère, sont logés et reçoivent des aides matérielles, et que la décision n’emportait pas obligation pour l’intéressé de quitter le territoire français. En statuant ainsi, alors que la condition d’urgence doit, ainsi qu’il a été dit au point précédent, en principe être regardée comme satisfaite, le juge des référés a commis une erreur de droit. Par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’autre moyen du pourvoi, M. A est fondé à demander l’annulation de l’ordonnance qu’il attaque ».

Source : https://www.legifrance.gouv.fr/ceta/id/CETATEXT000049059346?init=true&page=1&query=&searchField=ALL&tab_selection=cetat  

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