Dans son reportage « ENERGIE – COVID – Les Profiteurs de crise » diffusé le 22 février 2024, l’émission CASH INVESTIGATION a porté un coup de projecteurs sur certains membres peu scrupuleux d’une profession apparue il y a une dizaine d’années mais qui demeure encore assez méconnue, les courtiers en énergie, dans un contexte de flambée des prix de l’énergie.
Au cours de cette émission, on y entend certains cadres d’un cabinet de courtage en énergie indiquer à une journaliste infiltrée se faisant passer pour une nouvelle recrue, que la méthode pour faire souscrire un maximum de contrats aux prospects (potentiels clients) démarchés était :
- séduire le prospect, quitte à le draguer un peu ;
- provoquer dans l’esprit du prospect, un sentiment d’urgence en lui faisant miroiter la peur d’une flambée prochaine des prix de l’énergie s’il ne signe pas immédiatement ;
- ne pas hésiter à mentir, en s’appuyant si nécessaire sur des comparatifs bidons entre l’offre de contrat présentée et une offre inexistante totalement inventée.
Au-delà de la polémique, ces révélations appellent plusieurs questions :
- qu’est-ce qu’un courtier en énergie et quel est son rôle ?
- comment réagir quand on a été victime de pratiques telles que celles dénoncées par CASH INVESTIGATION, pour se sortir de la situation préjudiciable qui en a résulté, et peut-ont faire sanctionner le courtier indélicat et, le cas échéant, obtenir réparation ?
I- LE ROLE DU COURTIER EN ENERGIE
Le courtier en énergie est un intermédiaire entre ses clients, particuliers ou professionnels qui expriment un besoin de contrat d’énergie adapté à leurs besoins et des fournisseurs d’énergie.
En général, le courtier en énergie est rémunéré par le fournisseur d’énergie avec lequel le contrat d’énergie est conclu par son intermédiaire, sous forme de commissions d’apporteur d’affaires.
Selon le Syndicat des courtiers en énergie (« SCE »), le rôle du courtier en énergie est d’assister ses prospects ou clients déjà établis, dans leur opération d’achat de gaz naturel ou d’électricité.
Pour ce faire, selon le SCE, le courtier en énergie doit pour chaque personne qui en fait la demande expresse : (https://www.syndicatcourtierenergie.fr)
- obtenir des offres auprès de fournisseurs d’énergie adaptées à ses besoins,
- comparer honnêtement les offres qu’il a reçues
- conseiller et accompagner le client dans l’analyse des offres des différents fournisseurs et faciliter la signature du contrat.
Bien loin, en conséquence, des pratiques révélées par l’émission animée par Elise LUCET.
II- LES ACTIONS ENVISAGEABLES EN CAS DE CONTRAT D’ENERGIE SOUSCRIT SUITE A DES PRATIQUES COMMERCIALES TROMPEUSES COMMISES PAR UN COURTIER EN ENERGIE
Lorsque vous estimez avoir souscrit un contrat d’énergie à la suite d’une une tromperie, la première démarche à effectuer, est d’écrire au fournisseur avec lequel le contrat a été conclu, pour tenter de vous rétracter lorsque cela est possible.
Si cela n’est pas possible, vous devez adresser par courrier recommandé au fournisseur d’énergie avec lequel le contrat a été conclu, pour formuler une réclamation compte-tenu de votre absence de consentement et solliciter l’annulation du contrat litigieux.
Si vous ne recevez aucune réponse satisfaisante, 3 actions sont envisageables, selon votre situation, votre statut et vos attentes :
- saisir le Médiateur national de l’Energie (réservé aux consommateurs/micro entrepreneurs)
- déposer une plainte pénale,
- introduire une action judiciaire devant les juridictions civiles.
- La saisine du Médiateur national de l’Energie
Le médiateur national de l’énergie est une autorité publique indépendante, qui propose des solutions amiables aux litiges existant avec les entreprises du secteur de l’énergie et informe les consommateurs d’énergie sur leurs droits.
La saisine du Médiateur national de l’Energie, qui représente une alternative à la voie judiciaire, est réservée aux consommateurs (personnes n’ayant pas souscrit le contrat d’énergie pour les besoins de leur activité professionnelle) et aux micro-entrepreneurs. (Article L.122-1 du Code de l’énergie)
Sa saisine est gratuite, et peut avoir lieu soit par correspondance, soit par voie électronique.
Elle nécessite de justifier d’une démarche amiable préalable auprès du fournisseur d’énergie concerné.
Le délai de saisine du Médiateur national de l’Energie fixé est de deux mois, minimum (mais moins d’un an), à compter de la date de la réclamation écrite faite auprès de l'entreprise du secteur de l'énergie concernée.
Sa saisine suspend les délais de prescription applicables aux actions civiles et pénales envisageables. (Article R. 122-1 du Code de l’Energie).
Il rend ses avis dans un délai de 90 jours, sauf prorogations éventuelles de ce délai. (Ibidem)
Les modalités pratiques de saisine du Médiateur national de l’Energie et les informations utiles sur la procédure correspondante, sont disponibles sur le site web https://www.energie-mediateur.fr.
A noter : D’autres modes amiables de règlement des différends que la saisine du Médiateur national de l’énergie, existent, à savoir la conciliation (gratuite) et la médiation classique (payante), elles-mêmes suspensives de prescription.
2. Le dépôt d’une plainte pénale
Les pratiques commerciales trompeuses de certains courtiers en énergie qui ont été dénoncées dans l’émission CASH INVESTIGATION du 22 février 2024, ne paraissent pas a priori caractériser le délit d’escroquerie défini à l’article 313-1 du Code pénal, dans la mesure où un simple mensonge, même accompagné de pressions ou de menaces verbales, n’en constitue pas. (Crim. 6 novembre 1991, pourvoi n°90-84.872 P)
Il en sera différemment, lorsque les pressions, mensonges et menaces seront accompagnées d’autres manœuvres, comme par exemple la présentation d’un faux comparatif d’offres comme évoqué par l’un des courtiers intervenants dans le reportage de CASH INVESTIGATION diffusé le 22 février dernier.
Les pratiques commerciales agressives dénoncées dans l’émission CASH INVESTIGATION du 22 février dernier, semblent en revanche pouvoir être qualifiées de pratiques commerciales trompeuses, délit défini par l’article L.121-1 I. du Code de la consommation, notamment comme une pratique commerciale qui est commise :
« (…) 1° Lorsqu'elle crée une confusion avec un autre bien ou service, une marque, un nom commercial, ou un autre signe distinctif d'un concurrent ;
2° Lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur l'un ou plusieurs des éléments suivants:
a) L'existence, la disponibilité ou la nature du bien ou du service ;
b) Les caractéristiques essentielles du bien ou du service, à savoir : ses qualités substantielles, sa composition, ses accessoires, son origine, sa quantité, son mode et sa date de fabrication, les conditions de son utilisation et son aptitude à l'usage, ses propriétés et les résultats attendus de son utilisation, ainsi que les résultats et les principales caractéristiques des tests et contrôles effectués sur le bien ou le service ;
c) Le prix ou le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix et les conditions de vente, de paiement et de livraison du bien ou du service ;
d) Le service après-vente, la nécessité d'un service, d'une pièce détachée, d'un remplacement ou d'une réparation ;
e) La portée des engagements de l'annonceur, la nature, le procédé ou le motif de la vente ou de la prestation de services ;
f) L'identité, les qualités, les aptitudes et les droits du professionnel ;
g) Le traitement des réclamations et les droits du consommateur ;
3° Lorsque la personne pour le compte de laquelle elle est mise en œuvre n'est pas clairement identifiable.
Des pratiques commerciales trompeuses commises dans de telles circonstances peuvent viser, indifféremment, des consommateurs et des professionnels. (Art. L.121-1 III Code de la consommation)
En vertu de l’article L.121-1 II du Code de la consommation, une pratique commerciale peut également être trompeuse, exclusivement à l’égard de consommateurs, si « (…) compte tenu des limites propres au moyen de communication utilisé, elle omet, dissimule ou fournit de façon inintelligible, ambiguë ou à contretemps une information substantielle (…)
Sont notamment considérées comme substantielles en vertu de cet article, les informations portant sur le prix, toutes taxes comprises, et les frais de livraison à charge du consommateur, ou leur mode de calcul s’ils ne peuvent être établis à l’avance.
Les courtiers en énergie dont les pratiques douteuses ont été révélées dans le reportage CASH INVESTIGATION du 22 février dernier pourraient bien risquer des condamnations du chef du délit de pratique commerciale trompeuse, si l’on s’en tient aux paroles qu’on y entend.
En effet, les informations sur lesquelles certains des courtiers en énergie entendus en caméra cachée ont reconnu avoir menti à leurs prospects, tout en les pressant de signer les contrats qu’ils leur vendaient, portaient avant tout sur la détermination et l’évolution prévisible du prix de fourniture d’énergie en cours d’exécution des contrats vendus, rendant potentiellement inadaptées (voire ruineuses) les offres correspondantes aux besoins des prospects.
Le délit de pratique commerciale trompeuse est puni d’une peine d’amende, le jugement de condamnation étant en outre publié sur décision du Tribunal qui la prononce.
Le courtier concerné peut également être condamné, le cas échéant, à vous indemniser du préjudice que vous aurez subi en conséquence des pratiques frauduleuses qu’il a commises.
A noter : En tout état de cause, tant la qualification des faits que les condamnations d’être prononcées, seront appréciées au cas par cas par les juridictions pénales saisies, et adaptée aux éléments de personnalité de chaque personne poursuivie.
3. Introduire une action judiciaire devant les juridictions civiles / commerciales
Sur le plan civil, vous serez en mesure, si les pratiques commerciales dont vous avez été victimes sont jugées trompeuses au sens de l’article 121-1 du Code de la Consommation, de solliciter en Justice :
- l’annulation du contrat de fourniture d’énergie, que vous avez été induit à conclure suite à ces pratiques, sur le fondement de l’erreur au sens de l’article 1133 du Code civil ;
- des dommages et intérêts en réparation du préjudice (financier, perte de chance, moral, etc.) que vous ont causé les pratiques litigieuses, le cas échéant. (Art. 1241 Code civil)
Ces demandes peuvent être formulées soit devant le Tribunal judiciaire (demandes > 10.000 €) / la Chambre de proximité du Tribunal judiciaire (demandes < 10.000 €), soit devant le Tribunal de commerce dans le cadre de procédure introduite par un consommateur.
Dans le cadre d’un litige entre commerçants, il conviendra de saisir le Tribunal de commerce.
En tout état de cause, il est recommandé de saisir un avocat qui sera en mesure de vous conseiller et de vos assister dans vos démarches, pour préserver et défendre vos droits.
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