Dans quelles conditions un passager aérien souhaitant être remboursé à la suite de l’annulation de son vol prévu, est-il réputé avoir valablement consenti à un remboursement sous forme de bon d’achat, plutôt que par voie pécuniaire ?

En matière d’indemnisation des passagers aériens, le Règlement (CE) n°261/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 établissant des règles communes en matière d'indemnisation et d'assistance des passagers en cas de refus d'embarquement et d'annulation ou de retard important d'un vol, dispose notamment :

 

  • en son article 5 §1 c), qu’en cas d’annulation d’un vol, les passagers concernés ont droit à une indemnisation, à la charge du transporteur aérien effectif (qui aurait dû réaliser le vol annulé) conforme à l’article 7 ;
  • en son article 7§3, que cette indemnisation doit être effectuée (en principe) en espèces, par virement bancaire électronique, par virement bancaire ou par chèque, ou (par exception) avec l’accord signé du passager, sous la forme de bons de voyage et / ou d’autres services.

 

Toutefois, le Règlement (CE) n°261/2004 n’indique pas ce qu’il convient d’entendre par « accord signé du passager ».

Quelle est la portée de la notion d’ « accord signé du passager » en vertu de l’article 7§3  de ce règlement européen?

Telle est la question qui a été soumise à la Cour de justice de l’Union européenne à titre préjudiciel par le Tribunal régional de Francfort dans le dossier ayant donné lieu à l’arrêt du 21 mars 2021 dans l’affaire C-76/23 Cobult UG c/ TAP Air Portugal SA.

 

I - Circonstances de l’affaire C-76/23

 

Dans cette affaire, un passager avait réservé un vol, prévu le 1er juillet 2020 au départ du Brésil et à destination de Frankfort (Allemagne), auprès d’une compagnie aérienne qui a ensuite annulé ce vol.

Ladite compagnie aérienne met à la disposition de ses passagers, sur la page d’accueil de son site internet, une procédure leur permettant de demander un remboursement pour, notamment, les vols qu’elle avait annulés.

 

Dans le cadre de cette procédure, les passagers ont le choix entre :

  • d’une part, un remboursement immédiat sous forme de bon de voyage en remplissant un formulaire en ligne ;
  • d’autre part, un remboursement sous une autre forme, par exemple une somme d’argent, à condition de prendre préalablement contact avec le service Clientèle de la compagnie aérienne, pour que celui-ci procède à l’examen des faits.

 

Les conditions d’acceptation, uniquement disponibles en anglais, auxquelles les passagers doivent souscrire pour obtenir leur remboursement, précisent que s’ils font le choix d’un remboursement sous forme de bon de voyage, le remboursement du billet d’avion en argent est exclu.

A la suite de l’annulation de son vol prévu, le passager a demandé, et obtenu, le remboursement de son billet d’avion sous forme de bon de voyage.

Quelques temps plus tard, le passager a cédé ses droits à l’égard de la compagnie aérienne à un tiers, la société COBULT, qui a sollicité un remboursement en argent à la compagnie aérienne en cause.

Cette dernière ayant refusé, dans la mesure où un remboursement avait d’ores et déjà eu lieu sous forme de bon de voyage, la société COBULT a porté l’affaire en justice, en considérant que le consentement du passager, dont elle avait acquis les droits, au principe de remboursement par bon de voyage, n’était pas valable.

 

II - Portée de la notion d’accord signé du passager au remboursement par bon de voyage

 

Pour déterminer la portée de la notion d’ « accord signé du passager », la Cour de justice de l’Union européenne scinde la notion qu’il lui est demandé d’interpréter : « « accord » et « signé du passager ».

Si la notion d’ »accord » ne fait pas réellement débat, en ce qu’elle s’entend, selon son sens usuel, comme un « consentement libre et éclairé », tel n’est pas le cas de l’accord « signé du passager ».

En effet, il s’avère que cette mention (« signé du passager »), qui apparaît dans les certaines des versions linguistiques du règlement européen n°261/2004, notamment dans ses versions anglaise et française, n’est pas commune à toutes les versions linguistiques de ce texte.

En conséquence, cette formulation ne peut pas servir de base d’interprétation de l’article 7§3 du Règlement (CE) n°261/2004, les dispositions de cet article devant être interprétées de manière uniforme dans l’Union européenne.

En cas de disparités entre versions linguistiques d’un texte européen, la disposition en cause doit être interprétée en fonction de l’Economie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément.

A ce titre, la Cour de Justice de l’Union européenne considère notamment que :

  • la finalité du Règlement (CE) n°261/2004, est de garantir un niveau élevé de protection des passagers et des consommateurs,  en renforçant leurs droits dans un certain nombre de situations qui leur causent des difficultés et des désagréments sérieux;
  • l’annulation d’un vol constitue une telle situation, devant donner lieu à une réparation standardisée et immédiate ;
  • la compagnie aérienne doit fournir au passager les informations nécessaires pour leur permettre de faire un choix efficace et informé quant à l’exercice de leur droit à remboursement, sans exiger une contribution active de la part du passager.

 

En conséquence, la Cour de justice de l’Union européenne indique, qu’il y a lieu de considérer, que la notion d’ « accord signé du passager » mentionnée à l’article 7§3 du Règlement (CE) n°261/2004 :

  • exige avant tout et surtout, que ce passager ait été en mesure d’effectuer un choix efficace et informé (ce qui suppose une information claire et complète, dans une langue que le passager maîtrise et fournie de manière loyale),

étant précisé qu’est déloyal, le fait de soumettre le remboursement du billet d’avion en       argent, à une procédure comportant des étapes supplémentaires à celle prévue pour un remboursement par bon de voyage.

  • quant  à la forme de l’accord, celui-ci est réputé signé, dès lors que le passager a rempli le formulaire mis à sa disposition sur le site internet de la compagnie aérienne, peu importe qu’il y ait apposé sa signature numérique.

Source : Arrêt de la CJUE du 21 mars 2021, aff. C-76/23 Cobult UG c/ TAP Air Portugal SA

 

III - Conclusion

Au vu de la jurisprudence issue de cet arrêt en date du 21 mars 2024, il est crucial, pour les compagnies aériennes, de mettre à disposition de leurs clients, sur leur site internet :

  • une information claire et exhaustive, de préférence présentée en plusieurs langues différentes, quant aux modalités de remboursement proposées en cas d’annulation de leurs vols,
  • une procédure de demande de remboursement simple et rapide, quel que soit le mode de remboursement choisi par le passager.