La neutralisation du droit des femmes par un obstacle procédural
Ne baissons pas la garde
Le 25 novembre 2017, dans son discours à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et du lancement de la grande cause du quinquennat, le Président de la République érigeait la lutte contre les violences faites aux femmes en cause nationale.
« De façon générale, c'est toute la société qu'il faut embarquer dans un véritable combat culturel ; l'Etat doit s'engager et il en va de sa responsabilité évidente d'exemplarité ; l'Etat est en capacité de faire changer ces représentations et de faire émerger une vraie prise de conscience, (…) C’est donc à dessein qu’aujourd’hui, en cette Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, je décrète le lancement de la grande cause du quinquennat. »
Avec la publication au Journal Officiel de la République Française, le 28 mai 2020, du décret n°2020-636 du 27 mai 2020, la lutte contre les violences faites aux femmes vient de subir un recul stupéfiant et une mise à néant des avancées obtenues.
Ces avancées consistaient tout d’abord, en la promulgation de la loi n°2019-1480 du 28 décembre 2019 dont l’apport principal était de réduire le délai de la procédure en imposant au Juge de prononcer sa décision dans un délai maximum de six jours à compter de la date d’audience.
Cette loi a également instauré le bracelet antirapprochement, un dispositif destiné à éloigner les conjoints et ex-conjoints violents. Il pourra être mis en place à titre de peine ou avant tout jugement pénal dans le cadre d'un contrôle judiciaire, ou afin de rendre plus efficace l’ordonnance de protection.
Puis des instructions incitant à lutter contre ce type de violences ont été adressées à l’intégralité des Parquets de France.
Par manque de moyens humains et techniques, nous avons pu constater un manque de réactivité tant sur le plan pénal s’agissant du traitement des plaintes déposées ; que sur le plan civil en matière de délai d’audiencement des demandes d’ordonnance de protection.
Face à cette problématique, le gouvernement s’était engagé à ce qu’un Décret, très attendu par les professionnels, vienne pallier cette difficulté.
Loin de combler ses attentes, le Décret du 27 mai 2020 rend quasiment impossible la mise en oeuvre de la procédure de l’ordonnance de protection.
Si le Décret prévoit que le Juge rend sans délai une ordonnance fixant la date d’audience, en revanche, il rajoute une obligation à la charge du demandeur c’est-à-dire de la victime, presque impossible à réaliser.
Jusqu’au 27 mai dernier, destinataire d’une demande d’ordonnance de protection le greffe du Juge aux Affaires Familiales notifiait par lettre recommandée avec accusé de réception l’ordonnance fixant la date d’audience, la requête et les pièces visées à la requête, à l’adversaire.
Depuis le 28 mai 2020, l’article 2 du Décret modifiant l’article 1136-3 du Code de procédure civile, impose qu’en sus de la notification réalisée par le greffe, il appartient au demandeur, la victime, de déposer au greffe dans un délai de vingt quatre heures, à compter de la date de l’ordonnance fixant la date de l’audience, la signification de ladite ordonnance, de la requête et des pièces visées à la requête.
Autrement dit, la victime, souvent dépendante économiquement de son conjoint, désargentée, et apeurée se voit contrainte, à ses frais de faire signifier par voie d’huissier tous les actes de procédure à son adversaire, puis de les déposer au greffe, le tout dans un délai impératif, quasiment intenable de vingt quatre heures à compter de l’ordonnance fixant la date de l’audience.
Réforme parfaitement inutile puisque le greffe notifie déjà les actes de procédure à l’adversaire et jusqu’alors le demandeur n’était tenu de faire délivrer une citation par voie d’huissier que dans l’hypothèse où le défendeur n’aurait pas été rendu destinataire du courrier recommandé avec accusé de réceptionné adressé par le greffe.
En pratique les modalités prévues par ce Décret posent de nombreuses difficultés.
La première, celle du point de départ du délai de vingt quatre heures.
Le texte prévoit « dans un délai de vingt quatre heures à compter de l’ordonnance fixant la date d’audience ». Il ne s’agit donc pas de l’heure à laquelle l’Avocat recevra ladite ordonnance, ni de l’heure à laquelle le greffe adressera l’ordonnance, puisqu’il est mentionné « à compter de l’ordonnance », donc de sa signature.
En conséquence, désormais, l’ordonnance prise par le Juge devra mentionner non seulement la date mais également l’heure de signature, laquelle constituera le point de départ du délai de vingt quatre heures.
Il conviendra naturellement, ensuite que le greffe s’engage dans un sprint pour porter à la connaissance du demandeur ladite ordonnance dans les meilleurs délais, afin que le temps restant lui permette de remplir sa nouvelle obligation.
Ensuite, celle du moment de la réception de l’ordonnance fixant la date de l’audience.
Jusqu’alors cette ordonnance est transmise au demandeur par courrier postal ou à son Avocat par courrier palais. Il s’agit d’un moyen de communication entre les Avocats d’un Barreau et les Juridictions qui consiste pour l’Ordre des Avocats, une fois le courrier récupéré auprès de tous les greffes, parfois situés dans des lieux différents comme c’est le cas à Toulouse, à le distribuer dans la case dans laquelle l’Avocat reçoit son courrier professionnel se trouvant dans les locaux de l’Ordre. Ainsi, il arrive fréquemment que l’ordonnance ne soit pas réceptionnée dans ce délai de 24 heures.
Qu’en est-il si le greffe n’adresse pas cette ordonnance dès sa signature ? Que se passe-t-il si l’ordonnance est signée un vendredi ? Rien n’a été précisé …
La communication de cette ordonnance pourrait se faire par RPVA, c’est-à-dire la voie électronique de communication entre les Avocats et les juridictions mais cela n’a pas été prévu.
Une fois l’ordonnance reçue, il incombe donc au demandeur, de mandater un huissier de justice dans les plus brefs délais, lequel devra tout quitter pour traiter la demande toutes affaires cessantes.
En pratique, cela lui impose de rédiger l’acte de signification, de se rendre au domicile de l’adversaire, de vérifier l’exactitude de l’adresse, de remettre l’acte au défendeur, si l’adversaire est détenu de réserver un parloir auprès de l’administration pénitentiaire lui permettant de le visiter, de dresser le procès verbal de signification, puis de retour à son étude de transmettre cette signification au demandeur. Il appartiendra ensuite à ce dernier de déposer au greffe l’acte de signification dressé par l’huissier au greffe du Tribunal et ce, donc, vingt quatre heures au plus tard après la signature de l’ordonnance de protection.
Le Décret pose la sanction de l’inexécution de cette signification, ainsi, la remise de la signification au greffe dans les vingt quatre heures est prescrite sous peine de caducité de la requête.
La caducité est un mécanisme qui fait disparaitre pour l’avenir un acte valable en raison d’une condition nécessaire à sa survie. Elle provoque une extinction anticipée de l’instance. La caducité de la demande met fin à l’instance, définitivement.
Ainsi, les modalités pratiques prévues par ce Décret apparaissent totalement en contradiction tant avec les objectifs fixés par le Président de la République qu’avec l’intitulé même du texte « Décret (…) visant à agir contre les violences au sein de la famille ».
Ce Décret rend quasi impossible la mise en oeuvre de la protection des victimes et signe l’arrêt de mort de l’ordonnance de protection.
« Sous leurs coups, sous leurs abus, une femme meurt tous les trois jours en France. De cela, nous devons tous nous sentir responsables. (…). Notre situation jusqu'alors démontre que quelque chose ne marche pas dans notre République. La honte que subissent ces femmes, une honte illégitime parce qu'elles sont déjà victimes, cette honte doit devenir celle de ces auteurs de violences et c'est surtout une honte civique et politique, une honte nationale car la République en échouant à éradiquer ces violences, a échoué dans sa vocation même qui est celle d'éduquer, de civiliser, de protéger et ce discours de dignité, d'égalité de droits, de justice, de respect que la République porté partout et en tout temps, semble n'avoir pas atteint la conscience de ceux qui commettent ces violences. »
Discours du Président de la République le 25 novembre 2017
Les modalités pratiques prévues par ce Décret apparaissent totalement incompréhensibles au regard de l’esprit de ce Discours.
Rien n’est jamais acquis aux femmes.
Une honte nationale car la République signant ce Décret, par la main de ses rédacteurs « hors sol », révèle à tout le moins une inquiétante et terrifiante incompétence.
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