Le coronavirus COVID-19 a fait son apparition en décembre 2019 en Chine, avant de se propager dans l’intégralité du monde entrainant plus de 25.000 décès dans le monde, mais également le confinement de la population dans de nombreux pays, sur tous les continents.

De nombreux pays ont déclaré l’état d’urgence, comme la France. Toutefois, alors que l’état d’urgence est prévu par la loi du 3 avril 1955, et a été déclaré à plusieurs reprises en France, d’abord lors des événements liés à la guerre d’Algérie, puis dans les années 80 dans certains territoires d’outre-mer, en 2005 lors des émeutes en banlieue, et enfin après les attentats terroristes du 13 novembre 2015.

La France a décidé d’entrer dans une nouvelle ère, celle de l’état d’urgence sanitaire.

C’est la théorie des circonstances exceptionnelles, développée en droit administratif lors de première guerre mondiale (CE, 26 juin 1918, Heyries), qui est alors invoquée pour adopter le décret n°2020-260 du 16 mars 2020 qui interdit alors les déplacements hors du domicile sauf dans cinq cas d’exception et permet aux préfets d’adopter des mesures plus restrictives. Ce décret est modifié trois jours plus tard, le 19 mars 2020, pour ajouter trois nouvelles exceptions permettant les déplacements.

Le Conseil d’Etat, saisi par une requête en référé-liberté du Syndicat des jeunes médecins sollicitant la mise en place d’un confinement dit total, a confirmé, par une ordonnance du 22 mars 2020, que le Premier ministre peut "édicter des mesures de police applicables à l’ensemble du territoire, en particulier en cas de circonstances exceptionnelles, telle une épidémie avérée, comme celle de Covid-19 que connaît actuellement la France" (CE, 22 mars 2020, Syndicat des jeunes médecins, n°439674).

Rappelons déjà qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, c’est la loi qui fixe les règles concernant l’exercice des libertés publiques. C’est la raison pour laquelle l’état d’urgence issu de la loi de 1955 est prévu par une loi, et sa prorogation au-delà de 12 jours doit également être prévu par la loi.

Le nouvel état d’urgence, dit sanitaire, a alors fait l’objet d’une loi le 23 mars 2020, publié le 24 mars 2020, soit déjà huit jours après la déclaration de l’état d’urgence, lui conférant ainsi une base légale codifiée dans le code de la santé publique…

Mais surtout, alors que l’état d’urgence de 1955, prévoit qu’il peut être déclaré "soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique", le nouvel état d’urgence peut lui être déclaré "en cas de catastrophe sanitaire mettant en péril, par sa nature et sa gravité, la santé de la population".

On s’interroge déjà, l’épidémie de COVID-19 ne caractérisait-elle pas, par sa nature et sa gravité, une calamité publique ? Pourquoi se doter d’un nouvel arsenal juridique, alors que la crise sanitaire impliquait de prendre des mesures importantes rapidement ?

Ces nouvelles mesures prises portent une atteinte grave aux droits et libertés les plus fondamentaux : liberté d’aller et venir, liberté d’entreprendre, droit de mener une vie familiale normale, et bien d’autres encore.

La nécessité de telles mesures n’est pas remise en cause, face à la crise sanitaire exceptionnelle à laquelle la France doit faire face. Néanmoins, l’importance d’un contrôle de ces mesures ne devrait faire aucun doute, et pourtant…

La prorogation de l’état d’urgence sanitaire doit être autorisée au delà d’un mois contrairement à douze jours dans l’état d’urgence de 1955. Le Gouvernement est donc libre d’adopter les mesures, les plus attentatoires aux libertés, sans contrôle du Parlement pendant un mois.

La loi du 23 mars 2020 a également permis au Gouvernement de procéder par ordonnances, et plus précisément à "prendre une série d’ordonnances pour faire face à l’urgence sanitaire" (CE avis, 18 mars 2020, n°399873), c’est à dire prendre les mesures nécessaires à l’organisation du second tour des élections municipales, mais également les mesures nécessaires en matière de droit du travail et de droit de la sécurité sociale, mais aussi concernant l’adaptation des délais en matière juridictionnelle et administrative, de recourir à l’assistance à distance de l’avocat en garde à vue, ou encore à l’allongement de la durée de validité des visas de longs séjours ou titres de séjour. En somme, le Gouvernement est autorisé à intervenir dans tous les domaines de la loi.

Le contrôle du Parlement n’est pas le seul à être écarté. Celui du Conseil constitutionnel, garant de la Constitution, est largement mis à mal. Cette fois, c’est la loi organique du 23 mars 2020 qui est venue suspendre l’intervention du Conseil constitutionnel durant l’état d’urgence sanitaire, en suspendant les délais dans lesquels le Conseil d’Etat et la Cour de cassation sont tenus de statuer sur la transmission au Conseil constitutionnel d’une QPC. Le Conseil d’Etat n’a émis aucune objection sur ce point (CE avis, 18 mars 2020, n°399878).

Or, la QPC qui permet à tous justiciables de faire contrôler la conformité de dispositions législatives aux droits garantis par la Constitution est un contrôle nécessaire dans un état de crise exceptionnel. Lors de l’état d’urgence déclaré à la suite des attentats du 13 novembre 2015, le Conseil constitutionnel a été saisi d’une dizaine de QPC, dont la moitié a entrainé la censure de certaines dispositions sur les perquisitions administratives, la généralisation des contrôles d’identité et des fouilles de bagages, sur les conditions d’assignation à résidence ou bien encore les interdictions de séjour (Décisions n°2016-567/568 QPC ; n°2017-624 QPC, n°2017-635 QPC ; n°2017-677 QPC).

Pourquoi donc limiter l’utilisation de cet outil juridique indispensable pour veiller au respect de la Constitution ?

En tout état de cause, le Conseil constitutionnel est allé jusqu’à autoriser une violation manifeste de la Constitution. Le projet de loi organique du 23 mars 2020 a été soumis à la délibération du Sénat le lendemain de son dépôt, alors que l’article 46 de la Constitution prévoit un délai minimal de quinze jours entre le dépôt et l’examen par le Parlement. le Conseil constitutionnel a considéré que "compte tenu des circonstances particulières de l’espèce, il n’y a pas lieu de juger que cette loi organique a été adoptée en violation des règles de procédure prévues à l’article 46 de la Constitution" (Décision n°2020-799 DC du 26 mars 2020).

Demeure alors le contrôle du Conseil d’Etat qui peut être saisi en référé-liberté. Toutefois, le Conseil d’Etat seul peut-il suffire à faire front face à la crise sanitaire, à l’absence de certitudes médicales sur ce coronavirus, et aux atteintes graves aux libertés fondamentales ?

C’est d’abord, saisi par le Syndicat des jeunes médecins, que dans son ordonnance du 22 mars 2020, le Conseil d’Etat a considéré que, d’une part, le Premier ministre n’avait pas fait preuve d’une carence grave et manifestement illégale en ne décidant pas un confinement total, compte tenu de la nécessité de poursuivre certaines activités vitales et, d’autre part, a enjoint au Premier ministre de prendre les mesures permettant de préciser la portée de la dérogation au confinement pour raison de santé, réexaminer le maintien de la dérogation concernant les activités physiques et d’évaluer les risques concernant les marchés ouverts (CE, 22 mars 2020, n°439674).

Puis, saisi par plusieurs associations de défense des droits des étrangers tel que le GISTI et la CIMADE, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur la nécessité d’enjoindre aux Premier ministre, ministre des solidarités et de la santé et ministre de l’intérieur de prononcer la fermeture temporaire des centres de rétention administrative.

En effet, alors que le Ministre de la Justice a décidé de prononcer la libération de plusieurs milliers de détenus face au danger du coronavirus dans les établissements pénitentiaires, dans lesquels la promiscuité et la surpopulation carcérale sont de nature à menacer la santé de milliers de personnes, - notons, toutefois, que n’ont pas été remis en liberté toutes les personnes placées en détention provisoire, donc présumées innocentes, et que dans le même temps la durée de la détention provisoire a été allongée... - les centres de rétention administratives n’ont pas été logés à la même enseigne que les établissements pénitentiaires.

Des obligations de quitter le territoire français continuent d’être adoptées - même si leur nombre est plus faible -, des expulsions ont lieu malgré la fermeture des frontières - prenant encore le risque de propager le coronavirus dans les pays étrangers -, le Conseil d’Etat a refusé la fermeture des centres de rétention administrative au motif que le nombre de personnes retenues avait fortement diminué, que seules 350 personnes étaient actuellement retenues, permettant ainsi à l’autorité administrative de faire respecter les consignes données pour lutter contre la propagation du virus (CE, 27 mars 2020, n°439720).

Par trois ordonnances du 28 mars 2020 (CE, 28 mars 2020, n°439693 ; n°439726 ; n°439765), le Conseil d’Etat a rejeté les demandes tendant à ce que des mesures soient prises pour que soit mis à disposition du matériel aux personnels de santé, pour augmenter la production de masques, de test de dépistages ou bien encore des recommandations sur l’utilisation du Plaquenil. Le Conseil d’Etat a timidement reconnu la carence de l’Etat dans la mise à disposition de masques mais a rejeté la requête considérant que la situation devrait connaître une nette amélioration au fil des jours et semaines à venir compte-tenu des mesures annoncées par le Gouvernement : c’est donc une décision au conditionnel qu’a rendu le Conseil d’Etat…

La juridiction administrative devra être mobilisée dans son intégralité, dès lors que des mesures de police extrêmement restrictives ont, d’ores et déjà, été adoptées au niveau local tel qu’à Sanary-sur-Mer où par un arrêté du 27 mars 2020, le maire a interdit à ses habitants de se déplacer à plus de 10 mètres de leur domicile.

A l’heure où la plupart des juridictions sont à l’arrêt, ou à tout le moins au ralenti, il y a fort à parier que le Conseil d’Etat aura beaucoup à faire, pour veiller à ce que les atteintes aux libertés sont strictement proportionnées à la lutte contre le COVID-19.

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