Les promoteurs sont malheureusement depuis de nombreuses années la proie facile des riverains en mal d'argent. En effet, si le recours diligenté contre un permis de construire n'est pas suspensif en lui-même des travaux (sauf référé-suspension), les financements des différentes ventes conditionnant la viabilité d'un projet d'ampleur ne seront accordés que si ce projet est purgé de tout recours.

Compte tenu des délais actuels de traitement des procédures d'urbanisme par les juridictions administratives, les promoteurs se retrouvent souvent dans une situation délicate et cela même face à des recours dépourvus d'arguments sérieux.

Soucieux de mettre fin au rançonnage intempestif des riverains,  les pouvoirs publics ont adopté le 18 juillet 2013 une ordonnance relative au contentieux de l'urbanisme.

Cette dernière tente de mettre en place des moyens de lutte contre ces pratiques en insérant dans le code de l'urbanisme un article L.600-7 qui dispose :

" Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager est mis en œuvre dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant et qui causent un préjudice excessif au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l'auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel. (...)"

Cette disposition utile permettant au pétitionnaire de présenter une demande d'indemnisation par mémoire distinct au juge administratif n'a pour l'instant pas connu un développement fulgurant en jurisprudence.

Un jugement rendu le 17 novembre 2015 (n° 1303301) par le Tribunal administratif de Lyon reconnaît et précise le caractère abusif d'un recours de ce type :

« (...) En ce qui concerne le caractère abusif du recours :

28. Considérant, d’une part, ainsi qu’il a été dit aux points 4 à 6 du présent jugement, que les conclusions dirigées contre le permis de construire délivré à M. et Mme B. ne sont recevables qu’en tant qu’elles émanent de Mme M. E. et des consorts G., les autres requérants ne justifiant d’aucun intérêt à agir ; que les seuls requérants justifiant d’un tel intérêt, s’ils sont voisins du projet en cause, ne résident pas à proximité, dès lors que le terrain de Mme M. E. situé à proximité du projet est un terrain nu, et que le chalet, voisin du projet, dont Mme M. N. veuve G. est usufruitière, ne constitue pas sa résidence principale ; qu’ainsi la perte d’intimité invoquée au titre de l’intérêt à agir demeure relative, alors que les risques allégués d’inondations ou de déstabilisation du terrain ne sont nullement établis ;

29. Considérant, d’autre part, que les seuls requérants recevables n’ont produit une pièce utile pour établir cet intérêt à agir que le 17 juin 2015, soit peu de jours avant une mise à l’audience initialement prévue le 23 juin 2015, nécessitant un renvoi de l’affaire à l’audience du 31 août 2015, alors que les fins de non-recevoir opposées tant par la commune de Grilly que par M. et Mme B. à ce titre ont été présentées respectivement dès le 21 octobre 2013 et le 24 octobre 2013 ; que cette pratique apparaît manifestement comme dilatoire ;

30. Considérant, enfin et surtout, que la requête ne présente aucun moyen sérieux de nature à démontrer l’illégalité du permis de construire en litige, alors que nombre des moyens se trouvent inopérants, quand les autres moyens sont soit manifestement infondés, soit irrecevables, soit seulement assortis de faits manifestement insusceptibles de venir à leur soutien ou manifestement pas assortis des précisions permettant d’en apprécier le bien-fondé ; qu’il ressort des pièces du dossier, que la requête a été présentée dans un contexte de conflit politique et qu’il a été fait une publicité autour de ce recours qui excède largement son cadre alors que les écritures des requérants comportent des allégations non démontrées dirigées contre les époux Bores et plus spécialement contre M. Bores relativement à l’exercice de ses fonctions d’élu ;

31. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que, dans les circonstances de l’espèce, il apparaît que le recours a été mis en œuvre dans des conditions qui excèdent manifestement la défense des intérêts légitimes des requérants au sens des dispositions précitées du Code de l’urbanisme (...). »

L'apport de cet arrêt réside notamment dans le quantum des condamnations prononcées puisque le pétitionnaire s'est vu alloué la somme de 87.500 euros à titre de dommages et intérêts.

L'existence d'une telle possibilité dans le contentieux administratif n'exclut pas la compétence du juge judiciaire pour indemniser, sur le fondement de l'article 1240 (ex 1382) du code civil, le préjudice subi du fait d'un recours abusif.

Ainsi, la Cour de cassation a précisé que "  le recours pour excès de pouvoir formé par la société F. contre le permis de construire délivré à la SCI M.E. avait été inspiré non par des considérations visant à l’observation des règles d’urbanisme mais par la volonté de nuire aux droits du bénéficiaire, la cour d’appel, qui a caractérisé la faute de la société F., et qui n’était pas tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, a pu déduire, de ces seuls motifs, que l’exercice du droit d’ester en justice avait dégénéré en abus (...)".

Elle indique également que le recours pour excès de pouvoir et son maintien pendant plus de quatre années, malgré le caractère exécutoire du permis de construire délivré, avait perturbé le projet immobilier de la SCI et l'avait empêchée de le mettre en oeuvre, le permis de construire devant être définitif et purgé de tout recours en cas de vente en l'état futur d'achèvement, modalités que la SCI avaient choisies pour réaliser son programme immobilier de logements, la cour d'appel, qui a motivé sa décision, a caractérisé l'existence d'un lien de causalité entre l'exercice du recours et le préjudice subi par la SCI M., qu'elle a évalué en appréciant souverainement la valeur et la portée des éléments de preuve versés aux débats".

Elle confirme ainsi l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence qui avait condamné les auteurs du recours abusif à verser au pétitionnaire la coquette somme de 385.873,15 euros au titre de l’ensemble des préjudices.