Si vous avez été victime d’atteinte sexuelle, d’agression sexuelle, de viol, incestueux ou non, il est essentiel de déposer plainte, même si vous pensez que les faits sont a priori prescrits.
Parce que le droit évolue dans un sens favorable aux victimes
Depuis 1989, la législation n’a cessé d’évoluer pour passer d’une prescription de 10 ans à compter de la commission de l’acte, à une prescription de 30 ans à compter de la majorité de la victime.
Il est vrai que ces réformes ne s’appliquent qu’aux faits qui n’étaient pas déjà prescrits lors de l’entrée en vigueur de la loi puisque la loi pénale plus sévère ne peut pas rétroagir. Pour les victimes nées avant 1980, voire 1988 selon les faits, la prescription risque donc d’être opposée.
Néanmoins, plusieurs causes sont susceptibles d’interrompre cette prescription et d’autres sont en cours d’évolution législative.
Ainsi l’article 4 de la proposition de loi visant à protéger les jeunes mineurs des crimes sexuels, votée en première lecture au Sénat le 21 janvier 2021, propose d’interrompre la prescription en cas de commission par leur auteur d’un même crime contre d’autres mineurs.
De même les associations de victimes militent pour que l’amnésie traumatique, phénomène de protection psychique qui conduit la victime à ne plus pouvoir accéder au souvenir des faits pendant plusieurs années, soit reconnue comme un obstacle insurmontable empêchant le dépôt de plainte et justifiant la suspension de la prescription.
Rappelons que dans cet esprit, le droit civil prévoit que la prescription ne court pas à l’égard de celui qui est empêché d’agir. De même pour les infractions occultes, le point de départ de la prescription est le jour le jour où ces infractions sont apparues et ont pu être constatées dans des conditions permettant la mise en mouvement de l’action publique. La suspension de la prescription en cas d’amnésie traumatique a donc toutes les chances à mon sens d’être retenue par la justice à l’avenir.
Des circonstances aggravantes qui n’avaient pas été retenues initialement, comme l’autorité de fait sur la victime, sont quant à elles susceptibles d’allonger la prescription.
Enfin, si la Cour de cassation a une jurisprudence pour l’instant très sévère à l’égard des victimes, comme en témoigne son récent refus de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité au Conseil Constitutionnel sur cette la suspension de la prescription en cas d’amnésie traumatique, la Cour Européenne des Droits de l’Homme, elle, rend des décisions qui vont dans le sens de leur protection.
Ainsi, la Cour Européenne garantit le droit à une enquête aux victimes et rappelle régulièrement aux Etats leurs obligations pour sanctionner les violences sexuelles, particulièrement à l’égard des enfants. La Cour protège les victimes d’atteinte à l’intégrité physique qui doivent avoir le droit d’agir en justice lorsqu’elles sont effectivement en mesure d’évaluer le préjudice subi. Il est donc important que des victimes se mobilisent, avec leurs avocats, pour porter des dossiers français devant cette juridiction afin d’obtenir la condamnation de la France et la modification de sa législation.
Parce que les auteurs ne doivent plus rester dans un sentiment d’impunité qui ouvre la voie à d’autres agressions
Au-delà de l’intérêt de libérer la parole pour vous-même et de faire reconnaître votre qualité de victime, au moins au stade de l’enquête par cette parole souvent essentielle d’un avocat ou d’un enquêteur qui confirme l’illégalité absolue de ce que vous avez subi, votre plainte est utile pour d’autres.
Le Parquet ouvre en effet systématiquement une enquête, quand bien même les faits semblent à première vue prescrits, non seulement pour s’assurer de cette prescription effective mais aussi pour s’enquérir de l’existence d’éventuelles autres victimes.
Vous aurez noté que dans l’actualité, le frère de Camille Kouchner a finalement déposé plainte la semaine dernière pour l’inceste subi, alors même que le livre de l’intéressée prend soin de rappeler cette prescription. La parole libérée de Camille Kouchner et de son frère est susceptible de libérer la parole d’autres victimes potentielles, pour lesquelles les délais de prescription ne seront peut-être pas écoulés.
La victime qui subit la prescription ouvre ainsi la voie à celle pour lesquelles les faits peuvent encore conduire à une condamnation et elle vient soutenir l’action de ces dernières en intervenant en qualité de témoin, de première importance, dans le procès à intervenir.
Si l’enquête conforte les déclarations de la victime de faits prescrits, cette dernière pourra aussi agir devant la justice civile pour obtenir, à défaut d’une peine, à tout le moins l’indemnisation du préjudice subi.
Même s’il n’y a pas d’autres victimes, l’enquête menée va conduire à l’interrogatoire de la personne mise en cause, souvent dans le cadre d’une garde à vue et elle devra s’expliquer, et parfois être confrontée à la personne qui l’accuse.
Il est en ainsi fini du sentiment d’impunité qui pouvait l’habiter jusque-là, votre plainte permet à la honte et à la peur de changer de camp.
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