Après balance ton agency, « Balance ta start up » un nouveau compte anonyme lancé en décembre 2020 est apparu sur instagram. Celui-ci vise à dénoncer le management toxique, les situations discriminatoires et/ou de harcèlement au sein des jeunes entreprises.
Ces mouvements sociaux sur internet sont en plein essor.
Permettent-ils de lutter efficacement contre les situations qu’ils dénoncent ?
Quels sont les risques pour le salarié ou l’ancien salarié critiquant l’entreprise sur le web ?
1. LES LIMITES A LA LIBERTE D’EXPRESSION
Le salarié bénéficie d’une liberté d’expression tant à l’intérieur qu’en-dehors de l’entreprise.
Cette liberté fondamentale n’est cependant pas absolue.
Compte tenu de la large publicité/portée offerte par internet, la tentation peut être grande pour le salarié de critiquer violemment ses conditions de travail ou la politique d’entreprise sur les réseaux sociaux, y voyant alors un moyen d’informer.
La dénonciation est alors perçue comme un acte de libre expression à l’ère de la communication numérique.
S’il jouit de la liberté d’expression et du droit au respect de la vie privée, le salarié est également tenu à une obligation de loyauté à l’égard de son employeur.
Si le développement d’internet permet de nouvelles formes d’expression, le salarié ne peut pas tout dire ni tout écrire sur internet.
Il faut être attentif aux risques de dérapage, et ce d’autant que les propos tenus sur internet peuvent rapidement avoir une forte audience.
La liberté d’expression n’est donc pas sans limite.
La jurisprudence réaffirme constamment qu’elle ne doit pas dégénérer en abus de droit.
Si les termes utilisés par le salarié au sujet de son entreprise, des dirigeants de celle-ci, ou de ses collègues de travail sont « injurieux, diffamatoires ou excessifs », le salarié encourt des sanctions disciplinaires mais aussi pénales.
Par ailleurs, ces propos tenus sur les réseaux sociaux relèvent-ils d’un échange privé ou ont-ils un caractère public ?
Une ligne jurisprudentielle peut être dégagée :
Les propos tenus dans un groupe fermé restreint relèvent en principe de la sphère privée.
A l’inverse, le compte / le mur ouvert à tous constitue un espace public.
2. LES RISQUES DE SANCTION
A. LES SANCTIONS DISCIPLINAIRES
L’employeur peut être amené à sanctionner le salarié en cas d’abus de la liberté d’expression.
Cette sanction peut aller de l’avertissement jusqu’au licenciement pour faute grave ou lourde selon le degré de gravité.
Les juridictions du fond n’hésitent pas à considérer que l’employeur peut faire usage du pouvoir disciplinaire.
L’employeur peut également solliciter la condamnation du salarié à lui verser des dommages et intérêts en réparation notamment de son préjudice moral.
A titre d’exemple, un directeur artistique d’une agence de publicité avait posté sur un site de notation des entreprises « salaire minimum, aucune prime, ni même d’heures sup payées (sauf celles du dimanche pour les téméraires !). Le client est roi en toutes circonstances, peu importe qu’il faille travailler à perte, et votre travail sera parfois descendu devant le client. Rien n’incite à la motivation, si ce ne sont que les promesses jamais tenues ». Pour la Cour de Cassation, les propos ont un caractère excessif et sont tant déloyaux que malveillants à l’égard de l’employeur. Le licenciement pour faute grave est justifié (Cass. Soc. 11 Avril 2018 n°16-18.590).
B. LES SANCTIONS PENALES
Le salarié est également passible de sanctions pénales.
Les délits d’injure et de diffamation publique sont lourdement sanctionnés même si les employeurs agissent plus rarement sur ces terrains.
Les propos injurieux ou diffamatoires tenus sur un réseau social peuvent être considérés comme une injure publique lorsqu’ils sont accessibles à tous.
Le salarié encourt une amende de 12000 € pouvant aller selon les cas jusqu’à 45000 € d’amende et un an d’emprisonnement (si l’injure ou la diffamation est discriminatoire : notamment propos racistes, sexistes, homophobes). Articles 32 et 33 loi du 29 Juillet 1881 relative à la liberté de la presse.
Lorsque les propos injurieux ou diffamatoires sont publiés en accès restreint (exemple : compte accessible aux contacts/amis), le salarié encourt une amende de 38€ pouvant aller jusqu’à 1500 € en cas de circonstances aggravantes.
L’injure non publique (lorsque les propos injurieux sont publiés en accès restreint : compte accessible aux contacts/amis) constitue une contravention : le salarié encourt une amende de 38 € pouvant selon les faits aller jusqu’à 1500€ (si discriminatoire). Contraventions d’injure ou diffamation non publique R 625-8 et R 621-2 du Code Pénal
C. SITUATION APRES LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL
La responsabilité délictuelle de l’ancien salarié fondée sur le code civil peut être recherchée et des dommages et intérêts peuvent être demandés en Justice par l’ancien employeur.
Aussi, même s’il a quitté définitivement l’entreprise, le salarié doit éviter toute communication portant atteinte à l’image de celle-ci. A défaut, il risque de devoir indemniser son ancien employeur en réparation des préjudices subis sur le fondement de l’article 1240 du Code civil.
D. L’UTILISATION D’UN PSEUDONYME
Internet n’est pas une zone de non droit.
L’utilisation d’un pseudonyme ne protège pas le salarié contre un risque de sanction, notamment lorsque l’employeur peut être identifié et que les propos s’apparentent à la relation professionnelle.
Le Salarié peut difficilement se retrancher derrière l’anonymat pour soutenir que les propos tenus relèveraient de la sphère privée.
Même sous un pseudonyme le salarié peut être identifié.
Les fournisseurs d’accès et les hébergeurs doivent conserver les données permettant d’identifier toute personne ayant contribué à la création du contenu. Ces informations peuvent être demandées devant l’autorité judiciaire par exemple lorsqu’une action en diffamation est engagée à l’encontre d’un salarié.
L’employeur peut également être autorisé par le Juge à obtenir les coordonnées du titulaire de l’adresse IP.
En outre d’un point de vue technique l’anonymat total est impossible. Il peut donc être brisé/levé.
3. LES RISQUES DE DERIVE SUR LES RESEAUX SOCIAUX
Le défi est de trouver un équilibre entre les libertés et droits du salarié et la réputation de l’entreprise qui peut être mise à mal par des dénonciations non vérifiées ou/et calomnieuses.
Les conséquences peuvent être dévastatrices pour l’entreprise et donc pour l’emploi.
L’entreprise se retrouve jugée publiquement, avant toute action judiciaire, parfois sur la base de simples allégations. Le droit de réponse est illusoire puisque les témoignages sont anonymes et le débat contradictoire est rendu impossible.
Sans construire un monde plus égalitaire, ces espaces sociaux utilisés sans modération ni éléments de preuves, peuvent attiser les conflits sans pour autant ouvrir sur de véritables solutions pour le salarié. Le salarié doit également veiller à sa réputation sur le web.
De plus, même si la Jurisprudence en dessine les contours, les délimitations entre la liberté d’expression, la vie privée, et l’obligation de loyauté restent floues.
D’une part, les réseaux sociaux sont considérés tantôt comme un espace public tantôt comme un espace privé.
Ainsi, par exemple, le profil du salarié comporte un nombre « d’amis » (179 en l’occurrence) dont l’importance ne permet pas de caractériser une sphère privée d’échanges (CA Aix-en-Provence, 5 février 2016, nº 14/13717).
Il est donc difficile de savoir jusqu’où la liberté d’expression peut aller.
D’autre part, les faits sont appréciés au par cas, selon les circonstances, il en résulte une jurisprudence nécessairement variable et fluctuante.
Il est donc important d’appeler les salariés à la prudence dans leur communication sur les réseaux sociaux.
La longueur des délais prud’hommaux ne saurait justifier que le web devienne un lieu de règlement de comptes. Le salarié pourrait à plusieurs égards être pénalisé (risque de sanction et vis-à-vis de ses futurs employeurs) sans pour autant défendre efficacement ses droits.
Le Salarié dispose d’un arsenal juridique pour faire valoir ses droits et dénoncer ou alerter sur des situations anormales de travail en particulier en matière de harcèlement au travail. Il peut entre autres solliciter le CSE, l’inspection du travail, le médecin du travail.
Il existe également sous certaines conditions le dispositif du lanceur d’alerte.
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