Assouplissement de la position de la Cour de cassation qui considère que le seul fait qu'un employeur soit obligé de recourir à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et que ces remplacements puissent également être couverts par l'embauche de salariés en contrats de travail à durée indéterminée n'implique pas l'absence d'une raison objective ni l'existence d'un abus.

Dans l’affaire soumise à la Cour de cassation (Cass. soc. 14 février 2018 n°16-17966) la salariée avait été engagée en qualité d'agent de service en contrat à durée déterminée par une association d’abord en 2010 pour pourvoir au remplacement d'une personne en congé maladie. Puis elle avait, à nouveau été sollicitée : 104 contrats à durée déterminée réguliers en la forme, pour remplacer des salariés absents ont été conclus entre 2011 et 2014.

Elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de requalification du contrat en un contrat à durée indéterminée. Elle a obtenu gain de cause tant en première instance qu’en appel ; la cour ayant retenu que :

- l'association qui dispose d'un nombre de salariés conséquent est nécessairement confrontée à des périodes de congés, maladie, stage, maternité qui impliquent un remplacement permanent des salariés absents pour diverses causes ponctuelles,

- que dès lors que les remplacements prévisibles et systématiques assurés par la salariée pendant trois années constituent un équivalent à plein temps pour faire face à un besoin structurel de l'association

- c'est à juste titre que le conseil de prud'hommes a procédé à la requalification sollicitée même si ces contrats sont formellement réguliers (cause de l'absence, nom et qualification professionnelle du salarié remplacé, durée).

 

La Cour de cassation s’aligne sur la jurisprudence européenne et assouplit sa position :

Elle rappelle que le contrat de travail à durée déterminée, quel que soit son motif, ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et qu'un contrat à durée déterminée peut être conclu pour le remplacement d'un salarié en cas d'absence ou de suspension du contrat de travail. (Articles L. 1242-1 et L. 1242-2 du code du travail, interprétés à la lumière de la clause 5, point 1, a) de l'accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999 mis en oeuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000 )

Elle reprend les termes d’un arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE, 26 janv. 2012, Bianca Z... c/Land Nordrhein-Westfalen, n°C-586/10) :

« Toutefois, lors de l'appréciation de la question de savoir si le renouvellement des contrats ou des relations de travail à durée déterminée est justifié par une telle raison objective, les autorités des États membres, dans le cadre de leurs compétences respectives, doivent prendre en compte toutes les circonstances de la cause, y compris le nombre et la durée cumulée des contrats ou des relations de travail à durée déterminée conclus dans le passé avec le même employeur".

 «… la Cour de justice a précisé, dans les motifs de cette décision, que dans une administration disposant d'un effectif important, il est inévitable que des remplacements temporaires soient fréquemment nécessaires en raison, notamment, de l'indisponibilité d'employés bénéficiant de congés de maladie, de congés de maternité ou de congés parentaux ou autres, que le remplacement temporaire de salariés dans ces circonstances est susceptible de constituer une raison objective […] justifiant tant le caractère déterminé de la durée des contrats conclus avec le personnel de remplacement que le renouvellement de ces contrats en fonction de la survenance des besoins […]

« que cette conclusion s'impose d'autant plus lorsque la réglementation nationale justifiant le renouvellement de contrats à durée déterminée en cas de remplacement temporaire poursuit également des objectifs reconnus comme étant des objectifs légitimes de politique sociale  […] que des mesures visant à protéger la grossesse et la maternité ainsi qu'à permettre aux hommes et aux femmes de concilier leurs obligations professionnelles et familiales poursuivent des objectifs légitimes de politique sociale ».

L’arrêt de la cour d'appel de Limoges est cassé et annulé considérant que les motifs invoqués étaient insuffisants pour caractériser, au regard de la nature des emplois successifs occupés par la salariée et de la structure des effectifs de l'association, que ces contrats avaient pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'association.

Cette affaire est renvoyée devant la cour d'appel de Poitiers qui devra se prononcer à la lumière des principes dégagés par la Cour de cassation.

 

Conclusion

Dans le contentieux abondant des demandes de requalification de CDD en CDI, les juges du fond désormais, ne pourront plus automatiquement trancher en faveur de la requalification.

Ils devront motiver leur décision :

- sans pouvoir prendre seulement en compte la multiplicité des contrats conclus avec le même salarié et leurs durées, dans le cadre de remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente,

en estimant que ces contrats ont pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise et que ces remplacements auraient pu donner lieu à des embauches de salariés en CDI.

Ils devront constater l'absence d'une raison objective ou l'existence d'un abus dans la conclusion de ces CDD.