Le salarié qui justifie d'une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.  (Cass. soc., 11 septembre 2019, nº 17-24.879) 

Il convient de rappeler le cadre juridique de la réparation du préjudice d’anxiété (loi et jurisprudence) avant d’évoquer cet arrêt important en ce qu’il va permettre un élargissement de la voie de la réparation aux salariés qui n’ont pas été exposés à l’amiante mais justifient d’une exposition à une « substance nocive ou toxique » générant un risque élevé de développer une pathologie grave.

 

La loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998

L’article 41  de la loi (1) rend possible un départ à la retraite anticipé pour les salariés (salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, ouvriers dockers professionnels et personnels portuaires assurant la manutention …)  qui ont été particulièrement exposés à l’amiante sans qu’ils aient pour autant développé une maladie professionnelle liée à cette exposition.

 

L’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation

- Par un arrêt du 11 mai 2010 (Cass.soc., 11 mai 2010, nº 09-42.241), adopté en formation plénière la chambre sociale a reconnu aux salariés ayant travaillé dans un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi précitée et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel, le droit d'obtenir réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété tenant à l'inquiétude permanente générée par le risque de déclaration à tout moment, d'une maladie liée à l'amiante.

Elle a instauré au bénéfice des salariés éligibles à l'ACAATA (allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l’amiante) un régime de preuve dérogatoire, les dispensant de justifier à la fois de leur exposition à l'amiante, de la faute de l'employeur et de leur préjudice, tout en précisant que l'indemnisation accordée au titre du préjudice d'anxiété réparait l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence.

- Par un arrêt du 26 avril 2017, (Cass.soc., 26 avril 2017, nº 15-19.037), la chambre sociale a précisé que les salariés n’entrant pas dans le champ de l’article 41 de la loi de 1998 ne peuvent pas bénéficier de la réparation du préjudice d’anxiété, même sur le fondement d’un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Revirement de jurisprudence

- Par un arrêt d’assemblée plénière du 5 avril 2019,  (Cass. ass. plén., 5 avril 2019, nº 18-17.442), la chambre sociale procède à un réexamen complet de la question de la réparation du préjudice d’anxiété des travailleurs de l’amiante qui ont pu être exposés à l'inhalation de poussières d'amiante dans des conditions de nature à compromettre gravement leur santé mais ne remplissent pas les conditions prévues par la loi et étend l’indemnisation du préjudice d’anxiété :

« … il y a lieu d'admettre, en application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, que le salarié qui justifie d'une exposition à l'amiante, générant un risque élevé de développer une pathologie grave, peut agir contre son employeur, pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité, quand bien même il n'aurait pas travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 modifiée.»

Ainsi, même s’il n’a pas travaillé dans l’un des établissements mentionnés à l’article 41 précité, un salarié exposé à l’amiante et ayant, de ce fait, un risque élevé de développer une maladie grave peut demander la réparation d’un préjudice d’anxiété, sur le fondement du droit commun régissant l’obligation de sécurité de l’employeur. Il devra en apporter la preuve.

Ce principe est repris dans des arrêts rendus le 11 septembre 2019, concernant 39 salariés de la société SNCF mobilités (pourvoi nº17-18.311) et 17 salariés de la Société Nationale Maritime Corse Méditerranée (SNCM) (pourvoi nº 17-26.879) qui avaient été exposés à l’amiante mais n’étaient pas éligibles à la préretraite amiante en application de l’article 41 de la loi du 23 décembre 1998.

 

L’arrêt du 11 septembre 2019 concernant des salariés qui n’avaient pas été exposés à l’amiante. (Cass. soc., 11 septembre 2019, nº 17-24.879)

Il s’agit principalement de 730 mineurs de fond des Charbonnages de France du bassin de Lorraine qui ont saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la condamnation de leur employeur au paiement de dommages-intérêts en réparation de leur préjudice d'anxiété et du manquement à une obligation de sécurité. La cour d'appel de Metz a rejeté les demandes des salariés.

La chambre sociale considère que la cour d'appel s’est déterminée par des motifs insuffisants à établir que l'employeur démontrait qu'il avait effectivement mis en oeuvre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et qu’elle n'a pas donné de base légale à sa décision car elle devait rechercher si les conditions de mise en oeuvre de la responsabilité de l'employeur étaient réunies.

 « En application des règles de droit commun régissant l'obligation de sécurité de l'employeur, le salarié qui justifie d'une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d'un préjudice d'anxiété personnellement subi résultant d'une telle exposition, peut agir contre son employeur pour manquement de ce dernier à son obligation de sécurité.

La Cour casse et annule, en toutes leurs dispositions, les arrêts rendus le 7 juillet 2017 par la cour d'appel de Metz, renvoie les parties devant la cour d'appel de Douai -qui devrait leur attribuer une indemnisation au égard aux circonstances de l’espèce- et accorde aux salariés ou leurs ayants droit (+ de 730 personnes) la somme globale de 5 000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.

 

La portée de cet arrêt du 11 septembre 2019

Cet arrêt entraîne un élargissement du périmètre du préjudice d’anxiété qui devrait donner lieu à un contentieux notable dans certaines branches.

Le salarié justifiant d'une exposition à une substance nocive ou toxique générant un risque élevé de développer une pathologie grave et d'un préjudice d'anxiété résultant d'une telle exposition pourra désormais demander réparation sur le fondement du manquement de l’employeur à son obligation de sécurité.

Il aura la charge de la preuve de son exposition à une substance nocive ou toxique, du risque de développer une pathologie grave et de son préjudice ; dossier médical à l’appui.

L’employeur ne pourra s’exonérer de sa responsabilité que s’il rapporte la preuve de ce qu’il a mis en œuvre son obligation de protéger la santé et la sécurité des travailleurs et qu’il a pris toutes les mesures prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail »

 


 

 

(1) Loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998  Article 41

Modifié par loi n°2016-1827 du 23 décembre 2016 - art. 34 (V)

I.-Une allocation de cessation anticipée d'activité est versée aux salariés et anciens salariés des établissements de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, des établissements de flocage et de calorifugeage à l'amiante ou de construction et de réparation navales, sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes :

1° Travailler ou avoir travaillé dans un des établissements mentionnés ci-dessus et figurant sur une liste établie par arrêté des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget, pendant la période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante. L'exercice des activités de fabrication de matériaux contenant de l'amiante, de flocage et de calorifugeage à l'amiante de l'établissement doit présenter un caractère significatif ;

2° Avoir atteint l'âge de soixante ans diminué du tiers de la durée du travail effectué dans les établissements visés au 1°, sans que cet âge puisse être inférieur à cinquante ans ;

3° S'agissant des salariés de la construction et de la réparation navales, avoir exercé un métier figurant sur une liste fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et du budget.

Le bénéfice de l'allocation de cessation anticipée d'activité est ouvert aux ouvriers dockers professionnels et personnels portuaires assurant la manutention sous réserve qu'ils cessent toute activité professionnelle, lorsqu'ils remplissent les conditions suivantes :

1° Travailler ou avoir travaillé, au cours d'une période déterminée, dans un port au cours d'une période pendant laquelle était manipulé de l'amiante ; la liste de ces ports et, pour chaque port, de la période considérée est fixée par arrêté conjoint des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale, des transports et du budget ;

2° Avoir atteint l'âge de soixante ans diminué du tiers de la durée du travail effectué dans les ports visés au 1°, sans que cet âge puisse être inférieur à cinquante ans.

Ont également droit, dès l'âge de cinquante ans, à l'allocation de cessation anticipée d'activité les personnes reconnues atteintes, au titre du régime général ou du régime d'assurance contre les accidents du travail et les maladies professionnelles des salariés agricoles, d'une maladie professionnelle provoquée par l'amiante et figurant sur une liste établie par arrêtés des ministres chargés du travail, de la sécurité sociale et de l'agriculture. […]