Une salariée dont le licenciement est nul pour avoir été prononcé en raison de son état de grossesse et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont elle a pu bénéficier pendant cette période. (Cass.soc.29 janvier 2020 nº 18-21.862 )

Les faits et arguments des parties 

Une salariée chef de projet communication a été licenciée pour insuffisance professionnelle le 26 novembre 2012 par la société Marionnaud Lafayette. Estimant avoir été victime d'une discrimination, elle a saisi la juridiction prud'homale afin de voir prononcer la nullité de la rupture de son contrat de travail ainsi que sa réintégration, qui a été ordonnée par jugement du 18 septembre 2015.

La salariée fait valoir que la société a sciemment tardé à exécuter la décision du conseil de prud'hommes ordonnant sa réintégration malgré divers courriers et ce n'est que lorsqu'elle a annoncé par lettre du 8 décembre 2015 qu'elle se présenterait à l'entreprise le 15 décembre que l'employeur l'a convoquée à un entretien avec une responsable RH qui lui a alors expliqué que les postes disponibles n'étaient pas comparables à son poste antérieur, lui demandant d'ailleurs d'adresser un CV.

La société n'a réglé les salaires dûs qu'à la mi-février 2016 soit avec cinq mois de retard, de même qu'elle lui a remis des bulletins de paie erronés et ne contenant pas la plupart des mentions obligatoires ; sa réintégration dans l'entreprise n'a été que de façade, aucune fiche de poste ne lui a été donnée, ses missions n'ont pas été définies et ce, alors même que son poste antérieur existait toujours mais était confié à une autre salariée.

La société a ainsi adopté une attitude visant à la contraindre à prendre acte de la rupture de son contrat qui a eu un impact sur sa santé puisqu'elle a été victime d'un syndrome anxiodépressif la contraignant à un arrêt de travail dès le 22 janvier 2016.

Pour faire droit à la demande de l'employeur tendant à obtenir la déduction des revenus de remplacement perçus par la salariée ainsi que de l'indemnité de licenciement, des sommes versées au titre de la période d'éviction, la cour d'appel a considéré que la salariée dont le licenciement est nul et qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une somme correspondant à la totalité du préjudice subi au cours de la période qui s'est écoulée entre son licenciement et sa réintégration, déduction faite des revenus de remplacement perçus.

Dans son arrêt du 5 juin 2018, la Cour d’appel de Paris (pôle 6, chambre 11) saisie par l’employeur prononce la nullité du licenciement pour discrimination liée à l'état de grossesse de la salariée mais ordonne que soient déduites du rappel de salaires dû entre la date du licenciement et la date effective de réintégration de la salariée dans l'entreprise, les sommes perçues à titre de revenus de remplacement.

La salariée avait en effet touché durant la période d'éviction (soit du 27 février 2013 au 27 décembre 2015), une somme totale de 36 329,10 euros nets au titre de l'allocation de retour à l'emploi et des indemnités journalières versées par la CPAM.

La salariée a formé un pourvoi faisant grief à l'arrêt attaqué d'avoir déduit des sommes dues par l'employeur au titre des rappels de salaire pour la période d'éviction soit 77 098,36 euros nets les revenus de remplacement qu’elle a perçus soit 36 329,10 euros nets ainsi que l'indemnité de licenciement versée par la société.

La société Marionnaud Lafayette quant à elle fait grief à l'arrêt attaqué, d'avoir annulé la mesure de licenciement du 26 novembre 2012, ordonné la réintégration de la salariée dans les effectifs de la société Marionnaud Lafayette, et condamné l'employeur à payer à cette dernière  les sommes de 77 098,36 euros nets correspondant aux salaires dus pendant la période d'éviction, 8 784,24 euros bruts au titre du solde de rappel de salaire dû pour la période de mars 2013 à décembre 2015, en sus de la somme déjà réglée (77 098,36 euros), 3 500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice économique résultant de la discrimination, 1 056 euros bruts au titre du rappel de bonus dû pour l'année 2012, 2 162,40 euros bruts au titre de la prime d'ancienneté due de mars 2013 à décembre 2015, et 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La décision de la Cour de cassation

 « Attendu, qu'en application des dispositions des articles L. 1132-1 et L. 1132-4 du code du travail, tout licenciement prononcé à l'égard d'une salariée en raison de son état de grossesse est nul ; que, dès lors qu'un tel licenciement caractérise une atteinte au principe d'égalité de droits entre l'homme et la femme, garanti par l'alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, la salariée qui demande sa réintégration a droit au paiement d'une indemnité égale au montant de la rémunération qu'elle aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des éventuels revenus de remplacement dont elle a pu bénéficier pendant cette période. »

C’est donc sur le fondement du principe constitutionnel de l’égalité des droits entre les hommes et les femmes, que la Cour de cassation décide que la rémunération de la salariée doit être forfaitaire.

L’alinéa 3 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose en effet que : « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme. »

L'arrêt rendu le 5 juin 2018 par la cour d'appel de Paris est cassé et annulé mais seulement en ce qu'il dit qu'il convient de déduire des sommes dues à la salariée au titre du rappel de salaires entre le 27 février 2013 et le 27 décembre 2015 les sommes qui ont été versées à cette dernière à titre de revenu de remplacement et en ce qu'il condamne la salariée à restituer à la société Marionnaud Lafayette la somme de 36 329,10 euros nets correspondant aux revenus de remplacement perçus durant la période d'éviction.

Cette affaire est renvoyée devant la cour d'appel de Paris, autrement composée.

Conclusion

En posant en principe que le licenciement d'une salariée en raison de son état de grossesse est nul et que, dès lors un tel licenciement caractérise une atteinte au principe d'égalité de droits entre l'homme et la femme, et donc la violation d’une liberté fondamentale prévue par la Constitution, la Cour de cassation rend une décision protectrice du droit les femmes.

Par expérience, il est loin d’être rare qu’une salariée durant sa grossesse, en l’absence de tout dossier, se voie reprocher une prétendue insuffisance professionnelle comme dans l’espèce qui a été soumise à la Haute Cour.

Avant de décider de procéder à un licenciement dans un tel contexte aussi choquant que critiquable, les employeurs peu scrupuleux devront prendre en considération le risque financier non négligeable du paiement d'une indemnité forfaitaire égale au montant de la rémunération que la salariée aurait dû percevoir entre son éviction de l'entreprise et sa réintégration, sans déduction des revenus de remplacement éventuellement perçus.

Les salariées ne devront plus hésiter à engager un contentieux qui leur permettra une indemnisation forfaitaire parfaitement légitime !