Un employeur pouvait-il licencier un cadre consultant en sûreté à cause du port d’une barbe « taillée d’une manière volontairement signifiante aux doubles plans religieux et politique » ?

La Cour de cassation dans un arrêt du 8 juillet 2020 (Cass. soc., 8 juillet 2020 nº 18-23.743 FS-PBRI - qui fait l’objet d’une notice explicative partiellement reproduite) poursuit l’élaboration de sa jurisprudence relative aux libertés et droits fondamentaux du salarié dans l’entreprise et considère le licenciement nul en application de l’article L. 1132-4 du code du travail.

En effet, le licenciement du salarié reposait, au moins pour partie, sur le motif discriminatoire pris de ce que l’employeur considérait comme l’expression par l’intéressé de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe.

Faits et procédure

Un salarié engagé le 14 novembre 2011 en qualité de consultant sûreté, statut cadre, par la société Risk & Co, qui assure des prestations de services dans le domaine de la sécurité et de la défense à des gouvernements, organisations internationales non gouvernementales ou entreprises privées, a été licencié pour faute grave le 13 août 2013.  

L’intéressé qui soutenait avoir été licencié pour un motif discriminatoire en ce qu’il lui était reproché le port de la barbe, a saisi la juridiction prud’homale le 26 novembre 2013 de demandes tendant à la nullité de son licenciement, à sa réintégration et au paiement de diverses sommes indemnitaires.

La cour d’appel de Versailles (arrêt attaqué du 27 septembre 2018) a condamné la société Risk & Co à lui payer certaines sommes à titre de provision à valoir sur son préjudice et de salaire correspondant à la mise à pied conservatoire.

La position de la Cour de cassation

La chambre sociale, reprenant les règles énoncées par son arrêt de principe du 22 novembre 2017 (pourvoi n° 13-19.855, Bull. 2017, V, n° 200), réaffirme :

  1.  que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché.
  2. après rappel des termes de l’article L. 1321-3,2° du code du travail, prévoyant que le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché, que l’employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l’ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l’entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l’article L. 1321-5 du code du travail, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n’est appliquée qu’aux salariés se trouvant en contact avec les clients.

Dans la mesure où, dans l’entreprise concernée, aucune clause de neutralité ne figurait dans le règlement intérieur ou dans une note de service relevant du même régime légal, l’interdiction faite au salarié, lors de l’exercice de ses missions, du port de la barbe, en tant qu’elle manifesterait des convictions religieuses et politiques, et l’injonction faite par l’employeur de revenir à une apparence considérée par ce dernier comme plus neutre, caractérisaient une discrimination directement fondée sur les convictions religieuses et politiques du salarié.

Par conséquent, seule une exigence professionnelle et déterminante, résultant de la nature de l’activité professionnelle ou des conditions de son exercice et pour autant que l’objectif poursuivi soit légitime et que l’exigence soit proportionnée, permettant, en application de l’article 4 § 1 de la directive 2000/78 du 27 novembre 2000, de déroger au principe de non-discrimination, était susceptible en l’espèce de justifier le licenciement pour faute prononcé par l’employeur.

Or, il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 14 mars 2017, Micropole Univers, C-188/15) que la notion d’ « exigence professionnelle et déterminante », au sens de l’article 4 § 1 susvisé, renvoie à une exigence objectivement dictée par la nature ou les conditions d’exercice de l’activité professionnelle en cause, sans qu’elle puisse couvrir des considérations subjectives, telles que la volonté de l’employeur de tenir compte des souhaits particuliers du client.

S’inscrivant dans le droit fil de cette jurisprudence, la chambre sociale de la Cour de cassation énonce que les demandes d’un client relatives au port d’une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle et déterminante.

En revanche l’objectif légitime de sécurité du personnel et des clients de l’entreprise peut justifier, en application de ces mêmes dispositions, des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives et, par suite, permet à l’employeur d’imposer aux salariés une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif, ce qu’il lui appartient de démontrer.

Dans l’espèce en cause la cour d’appel a constaté, examinant souverainement les éléments de fait et preuve qui lui étaient soumis, que l’employeur ne justifiait pas des risques invoqués de sécurité spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l’exécution de la mission du salarié, de nature à constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés de ce dernier.

La cour d’appel est dès lors approuvée d’avoir jugé que le licenciement du salarié reposait, au moins pour partie, sur le motif discriminatoire pris de ce que l’employeur considérait comme l’expression par l’intéressé de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe, de sorte que le licenciement était nul en application de l’article L. 1132-4 du code du travail.