Le droit à la preuve peut justifier la production en justice d’éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié portant atteinte à sa vie privée, à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

Ainsi en a décidé la Chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt en date du 30 septembre 2020 (Cass.soc. 30 septembre 2020  pourvoi n°19-12.058 PBRI) voué à une large diffusion.

En matière prud’homale, la preuve est libre et peut être rapportée par tous moyens sous réserve du respect de la vie personnelle  du salarié.

Dans un arrêt rendu le 12 septembre 2018, la chambre sociale de la Cour de cassation (Cass. soc., 12 septembre 2018, nº 16-11.690 FS-PB) avait estimé que les propos d’une salariée sur son compte Facebook accessibles à un groupe fermé composé de quatorze personnes, de sorte qu’ils relevaient d’une conversation de nature privée, ne caractérisait pas une faute grave ni même une cause réelle et sérieuse de licenciement. (Facebook : injurier et calomnier son employeur dans un groupe fermé ne justifie pas un licenciement. https://village-justice.com/articles/facebook-injurier-calomnier-son-employeur-dans-groupe-ferme-peut-justifier,29501.html =

 

Faits et procédure

Une salariée engagée à compter du 1er juillet 2010 en qualité de chef de projet export par la société Petit Bateau a été licenciée pour faute grave, par lettre du 15 mai 2014, notamment pour avoir manqué à son obligation contractuelle de confidentialité en publiant le 22 avril 2014 sur son compte Facebook une photographie de la nouvelle collection printemps/été 2015 qui avait été présentée exclusivement aux commerciaux de la société.

Elle a saisi la juridiction prud’homale de diverses demandes et contesté son licenciement.

Elle a formé un pourvoi contre l’arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 12 décembre 2018 qui a dit son licenciement fondé sur une faute grave et l’a déboutée de ses demandes au titre de la rupture du contrat.

Les arguments de la salariée

Elle a notamment fait valoir que :

- L’employeur ne peut accéder aux informations extraites d’un compte Facebook de l’un de ses salariés sans y avoir été autorisé. Ainsi la preuve des faits invoqués contre un salarié dans une procédure disciplinaire issue de publications figurant sur son compte Facebook privé, rapportée par l’intermédiaire d’un autre salarié de l’entreprise autorisé à y accéder, est irrecevable.

- La preuve des faits reprochés n’est pas non plus opposable, ces derniers se rapportant à un compte Facebook privé, non accessible à tout public mais uniquement aux personnes que cette dernière avait accepté de voir rejoindre son réseau. 

- L’employeur ne peut porter une atteinte disproportionnée et déloyale au droit au respect de la vie privée du salarié. Il ne peut donc pas s’immiscer abusivement dans les publications du salarié sur les réseaux sociaux.

La position de la Cour de cassation

La chambre sociale dans son arrêt du 30 septembre 2020, approuve la cour d'appel et rejette le pourvoi.

Elle rappelle qu’en vertu du principe de loyauté dans l’administration de la preuve, l’employeur ne peut avoir recours à un stratagème pour recueillir une preuve.

En l’espèce, la publication litigieuse avait été spontanément communiquée à l’employeur par un courriel d’une autre salariée de l’entreprise autorisée à accéder comme « amie » sur le compte privé Facebook de la salariée. Ce procédé d’obtention de preuve n’était donc pas déloyal.

Il résulte des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, 9 du code civil et 9 du code de procédure civile, que le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie privée à la condition que cette production soit indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.

Elle relève que la production en justice par l’employeur d’une photographie extraite du compte privé Facebook de la salariée, auquel il n’était pas autorisé à accéder, et d’éléments d’identification des « amis » professionnels de la mode destinataires de cette publication, constituait une atteinte à la vie privée de la salariée.

Cependant, pour être en mesure d’établir la divulgation par la salariée d’une information confidentielle de l’entreprise auprès de professionnels susceptibles de travailler pour des entreprises concurrentes, l’employeur s’était borné à produire la photographie de la future collection de la société publiée par l’intéressée sur son compte Facebook et le profil professionnel de certains de ses « amis » travaillant dans le même secteur d’activité.

Il n’avait fait procéder à un constat d’huissier que pour contrecarrer la contestation de la salariée quant à l’identité du titulaire du compte.

En conséquence de quoi, cette production d’éléments portant atteinte à la vie privée de la salariée était indispensable à l’exercice du droit à la preuve et proportionnée au but poursuivi, soit la défense de l’intérêt légitime de l’employeur à la confidentialité de ses affaires.

Conclusion

Cet arrêt est important en ce qu’il consacre le droit à la preuve de l’employeur.

Désormais, pour établir la réalité des faits fautifs dans le cadre d’un licenciement disciplinaire, l’employeur pourra produire en justice des éléments extraits du compte privé Facebook d’un salarié portant atteinte à sa vie privée, dès lors que cette production est indispensable à l’exercice de ce droit et que l’atteinte est proportionnée au but poursuivi.