Les enregistrements issus d’un dispositif de surveillance constant, attentatoire à la vie personnelle du salarié et disproportionné au but allégué par l’employeur de sécurité des personnes et des biens, ne sont pas opposables au salarié. (Cass.soc. 23 juin 2021 n°19-13.856)

Ils ne sont donc pas recevables comme moyen de preuve pour justifier une sanction disciplinaire.

Article L1121-1 du Code du travail

 « Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché. »

Faits et procédure

Un salarié engagé le 1er septembre 1997 par la société Mazel, qui exploite une pizzeria, en qualité de cuisinier a été licencié pour faute grave le 17 octobre 2013, l’employeur lui reprochant notamment des faits qu’il avait la possibilité de prouver au moyen d’images obtenues par un dispositif de vidéo-surveillance.

Le salarié a décidé de contester son licenciement et a saisi la juridiction prud’homale.

La cour d’appel de Paris, par un arrêt du 17 janvier 2019 a estimé que le licenciement n’était pas justifié et a condamné l’employeur à lui payer des sommes à titre d’indemnité compensatrice de préavis et congés payés afférents, d’indemnité de licenciement, de rappels de salaire et congés payés afférents et dommages-intérêts pour licenciement abusif.

L’employeur forme un pourvoi faisant valoir notamment que l’avertissement notifié le 6 juillet 2012 au salarié visait les manquements de ce dernier à ses obligations professionnelles en lien avec les règles d’hygiène et les horaires de travail et ses absences injustifiées, et indiquait : "Ne constatant, malgré nos précédents et nombreux rappels à l’ordre verbaux, aucun changement dans votre comportement, nous nous voyons dans l’obligation, par cette lettre, de vous adresser un avertissement. »

Parallèlement, il avait informé le salarié de son intention de mettre en place, dans les prochains jours, un système de vidéo-surveillance et un registre de contrôle et pointage des heures de travail.

L’employeur considérait donc avoir clairement informé le salarié de ce que le dispositif de vidéosurveillance évoqué avait pour finalité d’éviter la reproduction des manquements commis par ce dernier en cuisine.

Réponse de la Cour de cassation

Par un arrêt de rejet en date du 23 juin 2021, la chambre sociale approuve la décision de la cour d’appel.

Aux termes de l’article L. 1121-1 du code du travail, nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

La cour d’appel a constaté que le salarié, qui exerçait seul son activité en cuisine, était soumis à la surveillance constante de la caméra qui y était installée.

Elle en a déduit à bon droit que les enregistrements issus de ce dispositif de surveillance, attentatoire à la vie personnelle du salarié et disproportionné au but allégué par l’employeur de sécurité des personnes et des biens, n’étaient pas opposables au salarié et a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision.

La position de la CNIL

Cette décision protectrice des libertés individuelles, peut être utilement rapprochée de la délibération (SAN-2019-006 du 13 juin 2019) de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL).

En effet, saisie de plaintes de 4 salariés, la CNIL a été amenée à se prononcer dans une espèce comparable concernant une société ayant pour activité la traduction assermentée et libre de documents (traduction juridique, financière, état civil) qui employait neuf salariés et avait mis en place un dispositif de vidéosurveillance dans les locaux de la société.

Cette dernière considérait que ce dispositif se justifiait dans un souci de sécurité des biens et des personnes et qu’il n’était pas utilisé pour surveiller les activités du personnel.

S’agissant de la proportionnalité du dispositif de vidéosurveillance

La CNIL relève que la société a indiqué avoir mis en place un tel dispositif pour assurer la sécurité des personnes et des biens. Trois caméras sont installées dans les locaux de la société, dont une dans le bureau des traducteurs, non accessible au public, qui filme en continu les salariés présents et l’armoire contenant les documents à traduire.

Elle considère que la mise en œuvre d’un système de vidéosurveillance doit obligatoirement respecter le principe de proportionnalité et que la collecte de données personnelles réalisées via ce dispositif doit être strictement nécessaire à l’objectif poursuivi.

En effet, l’article 5 1. c) du règlement (UE) n° 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la protection des données pose le principe de minimisation des données, c’est-à-dire que les données à caractère personnel collectées doivent être limitées à ce qui est nécessaire au regard des finalités pour lesquelles elles sont traitées.

Dès lors qu’un dispositif de vidéosurveillance est susceptible de viser des membres du personnel, le nombre, l’emplacement, l’orientation, les périodes de fonctionnement des caméras ou la nature des tâches accomplies par les personnes concernées, sont autant d’éléments à prendre en compte lors de l’installation du système.

Il en résulte que, si la surveillance de zones sensibles peut être justifiée par des impératifs de sécurité, le placement sous surveillance permanente de salariés, attentatoire à leur vie privée, ne peut toutefois intervenir que dans des circonstances exceptionnelles tenant, par exemple, à la nature de la tâche à accomplir.

Il en est ainsi lorsqu’un employé manipule des objets de grande valeur ou lorsque le responsable de traitement est à même de justifier de vols ou de dégradations commises sur ces zones.

Au demeurant, l’article L. 1121-1 du code du travail prévoit que nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.

En l’espèce, aucune circonstance exceptionnelle justifiant de placer les traducteurs, qui sont des traducteurs assermentés, sous surveillance permanente n’est démontrée par la société. Cette dernière invoque la nécessité de protéger les documents traduits.

Pour autant, si la nature des documents peut justifier la mise en place de mesures particulières de protection, il convient d’envisager, préalablement à l’utilisation d’un dispositif de vidéosurveillance conduisant à filmer de manière constante les salariés, des procédés alternatifs tels que la sécurisation des accès sur le lieu de travail. Or de tels procédés alternatifs n’ont pas été envisagés par la société, qui ne fait d’ailleurs pas état de vols ou de dégradations survenus dans ses locaux, susceptibles de justifier la mise en place d’un tel dispositif.

Dans ces conditions, l’utilisation d’un dispositif de vidéosurveillance conduisant à placer des salariés sous une surveillance permanente n’apparaît pas justifiée et doit être considérée comme manifestement disproportionnée et excessive au regard de la finalité déclarée.

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