Aux termes de l’article 242 du code civil : le divorce peut être demandé par l’un des époux lorsque des faits constitutifs d’une violation grave ou renouvelée des devoirs et obligations du mariage sont imputables à son conjoint et rendent intolérable le maintien de la vie commune.
Dans un arrêt du 23 janvier 2025, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) a répondu « qu’elle ne saurait admettre, comme le suggère le Gouvernement, que le consentement au mariage emporte un consentement aux relations sexuelles futures », et par là même qu’un refus opposé constitue une violation des obligations du mariage." Merci pour ce recadrage très XXIème siècle....
En l’espèce, et par arrêt du 7 novembre 2019 (RG n° 18/05762), la Cour d’appel de Versailles avait prononcé le divorce de Monsieur Z et Madame X aux torts exclusifs de Madame X au motif que l’épouse avait opposé à son mari un refus de toutes relations intimes à compter de 2004 (Madame avait déposé une requête en divorce en 2012). Madame X s’était crue obligée de se défendre de cette situation par des problèmes de santé que la Cour d’Appel de Versailles n’avait d’ailleurs pas balayés :
« Considérant que M. reproche à son épouse, d’une part, d’avoir refusé de consommer le mariage, d’autre part d’avoir manqué à son devoir de respect entre époux ; Considérant que Mme reconnu elle-même dans la main courante qu’elle a effectuée le 9 mai 2014 au commissariat d’avoir cessé toute relation intime avec son mari depuis 2004 ; Considérant que Mme justifie cette situation par son état de santé, invoquant notamment un accident grave dans le métro reconnu accident de service le 29 décembre 2005 lui laissant de nombreuses séquelles et l’ayant immobilisée près d’une année, puis une opération en 2009 pour une hernie discale paralysante ; qu’elle établit également avoir présenté un syndrome polymorphe persistant à tiques (maladie de Lyme chronique – pièce 251) traité par un une antibiothérapie au long cours depuis octobre 2016 (…) ».
Et pourtant, au visa de l’article 242 du Code civil, la Cour d’Appel de Versailles avait néanmoins retenu:
« que de tels éléments médicaux ne peuvent excuser le refus continu opposé par l’épouse à partir de 2004 à des relations intimes avec son mari, et ce pendant une durée aussi longue, alors même que dans le cadre de main courante précitée, Mme relate les sollicitations répétées de son époux à ce sujet et les disputes générées par cette situation ».
Alors que la Cour de Cassation avait jugé que « les moyens ... n’étaient manifestement pas de nature à entraîner la cassation » (Cour de cassation, 17 septembre 2020, Pourvoi n°20-10.564), Madame X déposait un recours devant la CEDH, et demandait un euro symbolique pour indemnisation de son préjudice moral en raison du caractère infamant du prononcé du divorce à ses torts exclusifs, précisant avoir été particulièrement meurtrie par la sanction prononcée à son encontre sur une question touchant à sa vie sexuelle.
Si la CEDH ne lui a pas accordé cette indemnisation, elle a jugé qu’il y avait bien eu violation de l’article 8 de la Convention aux termes duquel « Toute personne a droit au respect de sa vie privée » :
« La cour ne saurait admettre, comme le suggère le Gouvernement, que le consentement au mariage emporte un consentement aux relations sexuelles futures. Une telle justification serait de nature à ôter au viol conjugal son caractère répréhensible. Or, la cour juge de longue date que l’idée qu’un mari ne puisse pas être poursuivi pour le viol de sa femme est inacceptable et qu’elle est contraire non seulement à une notion civilisée du mariage mais encore et surtout aux objectifs fondamentaux de la Convention dont l’essence même est le respect de la dignité et de la liberté humaines. Aux yeux de la cour, le consentement doit traduire la libre volonté d’avoir une relation sexuelle déterminée, au moment où elle intervient et en tenant compte de ses circonstances ». « En l’espèce, la cour constate que le devoir conjugal (…) ne prend nullement en considération le consentement aux relations sexuelles, alors même que celui-ci constitue une limite fondamentale à l’exercice de la liberté sexuelle d’autrui ». « Tout acte sexuel non consenti est constitutif d’une forme de violence sexuelle » « La cour considère que la réaffirmation du devoir conjugal et le fait d’avoir prononcé le divorce pour faute au motif que la requérante avait cessé toute relation intime avec son époux constituent des ingérences dans son droit au respect de la vie privée, dans sa liberté sexuelle et dans son droit de disposer de son corps ».
La CEDH remet retire l’église du centre du village et rappelle aux conservateurs en mal avec leur siècle que le mariage, dans sa notion "civilisée", ne peut entraver le droit fondamental de disposer de son corps.
La CEDH constate qu’en prononçant le divorce aux torts exclusifs d’un époux qui se refuse à son conjoint, on lui impose de fait des relations sexuelles, on l’oblige à mettre dans une boîte son consentement jusqu’à la fin de sa vie conjugale. On justifie donc le viol conjugal pourtant bien réprimé par le code pénal.
Au-delà de l’interrogation sur le consentement lui-même, la motivation archaîque de la Cour d’Appel de Versailles ouvre à d’autres questions :
- Quelle serait la fréquence acceptable des relations intimes pour échapper à la sanction du divorce pour faute ?
- Pourrait-on envisager un critère d’âge et d’état de santé à prendre en considération pour tempérer cette fréquence ?
- Qu’entend-on d’ailleurs par relations intimes ?
- Devrait-on envisager une obligation de résultat dans la satisfaction de son conjoint ?
Les deux arrêts précités nous rappellent que le droit absolu de disposer de son corps se heurte à une certaine notion du mariage, institution encore trop ancrée dans une tradition judéo-chrétienne dont on doit s’affranchir pour de bon. Le sacrement du mariage dans la religion chrétienne se fonde sur quatre piliers que scelle l’échange des consentements : la liberté, la fidélité, l’indissolubilité et la fécondité. Mais le mariage civil, le mariage républicain, ne reconnaît que la liberté et la fidélité. Jamais le législateur, depuis 1803, n’a entendu imposer aux époux un devoir de relations intimes. Et pourtant, derrière la jurisprudence qui tente encore de punir l’époux qui se refuse à son conjoint, plane bien les notions d’indissolubilité et de fécondité.
S’agissant de la fécondité d’abord, n’est-il pas surprenant qu’en 2025 les deux futurs époux s’entendent toujours lire par l’Officier d’Etat civil qui les unit les articles 213 et 371-1 du Code civil qui renvoient à l’éducation des enfants et à l’autorité parentale ? Doit-on vouloir des enfants pour se marier ? Doit-on pouvoir avoir des enfants pour se marier ? Rappelons que la France n’a permis aux couples homosexuels de se dire oui qu’en 2013, et sur fond d’une profonde division nationale. La Manif pour Tous, devenue en 2023 Le Syndicat de la Famille, s’’opposait notamment à l’ouverture du mariage aux couples homosexuels en raison de la possibilité qui allait leur être offerte d’adopter des enfants et de fonder une famille… adoption qui n’était ouverte qu’aux couples mariés jusqu’au 1er janvier 2023 !
Malgré une législation qui s’écarte doucement mais toujours plus sûrement du sacrement judéo-chrétien, mariage et conception sont encore extrêmement lié dans l’imaginaire collectif. Or, si l’on se mariait à l’origine « pour faire des enfants », n’y a-t-il pas un droit et un devoir historiques et réciproques d’avoir des relations sexuelles avec son époux (se) ? Ne voit-on pas encore sortir des églises comme des mairies de longues robes blanches symboles absurdes de virginité ? Ne parle-t-on pas encore de « nuit de noces » ou de « lune de miel », expressions renvoyant hypocritement aux premières relations intimes ?
L’arrêt rendu par la cour d’Appel de Versailles en 2019 renvoie à cette notion plus totalement civilisée du mariage, qui met en avant moins l’amour que la possession et moins la liberté que l’indissolubilité. Rappelons que dans le cas qui nous occupe, nous étions loin d’un mariage « non consommé ». Si certains ont pu trouver dans l’arrêt de la CEDH un obstacle de taille aux contentieux de la nullité du mariage, et notamment aux mariages blancs, il était pourtant question d’un couple de sexagénaires, parents de quatre enfants et dont le mariage avait duré trente ans. Madame rencontrait des problèmes de santé avérés qui n’ont pas empêché la Cour de la sanctionner pour son abstinence. Et comme s’il s’agissait d’une circonstance aggravante, malgré « les sollicitations répétées de son époux à ce sujet et les disputes générées par cette situation ». Non seulement on ne donne plus sa place au consentement dans les relations intimes, mais on fait fi des douleurs physiques et psychiques de la personne.
Le couple marital est condamné aux relations sexuelles sa vie durant, peu importe l’âge, peu importe l’état de santé, peu importe le désir. Il lui est interdit d’évoluer, de se façonner au gré du temps, des joies et des épreuves.
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