Trois décisions récentes de la Cour d'appel de Rennes rappellent l'attention que les mandataires judiciaires doivent apporter au fondement des actions qu'ils mettent en oeuvre à l'encontre des dirigeants et associés des sociétés en liquidation :
Dans la 1ère espèce (CA Rennes, 3e Ch. commerciale, 13 février 2018), le mandataire judiciaire faisait grief au dirigeant, co-gérant de la SARL en liquidation, d’avoir abandonné la gestion de l’entreprise pour rejoindre une nouvelle structure concurrente quelques mois seulement avant l’état de cessation des paiements.
Le liquidateur, s’appuyant sur une décision de la Cour de cassation (Cass. Com. 28 mars 2000, n°97-11533) s’estimait fondé à poursuivre la responsabilité du gérant sur le fondement du droit commun en lui imputant un acte de concurrence déloyale au préjudice de la société ; le liquidateur chiffrant le préjudice de la société né du détournement des actifs incorporels au montant de l’insuffisance d’actifs.
En cause d’appel, le gérant poursuivi soulève l’irrecevabilité de cette action.
La Cour d’appel de Rennes le suit dans son argumentation motif pris que « lorsque la liquidation judiciaire d'une société fait apparaître une insuffisance d'actif, les dispositions des articles L. 651-2 et L. 651-3 du Code de commerce, qui ouvrent, aux conditions qu'ils prévoient, une action en responsabilité contre le dirigeant ne se cumulent pas avec celles de l'article L. 223-22 du Code de commerce, ni avec celles des articles 1382 et 1383 du Code civil dans leur version applicable à l’espèce. Les règles de la responsabilité civile de droit commun et celles issues du droit commun des sociétés sont en effet écartées au profit de l’action spéciale en paiement des dettes sociales prévues par les dispositions d’ordre public du droit des procédures collectives. »
Le liquidateur judiciaire, qui ne dispose pas d’une option entre ces différentes actions, ne pouvait agir que sur le fondement de l’article L.651-2 du Code de commerce, de sorte que son action était dès lors irrecevable.
Dans la seconde espèce (CA Rennes, 3e Ch. commerciale, 15 octobre 2019), le mandataire judiciaire avait pris l’initiative de poursuivre les associés d’une SNC pour laquelle il avait été désigné liquidateur judiciaire, pour obtenir leur condamnation aux dettes sociales sur le fondement cumulé des articles L 221-1 du Code de commerce et 1844-1 du Code civil.
Les associés faisaient valoir devant la Cour d’appel que ce cumul était impossible dès lors qu’il s’agit de deux régimes distincts à savoir, d’une part, l’obligation à la dette des associés et, d’autre part, leur contribution aux pertes :
- L'obligation aux dettes sociales est relative aux rapports entre les associés et les créanciers sociaux.
- La contribution aux pertes sociales est relative aux rapports entre les associés et la société ou entre les associés entre eux.
La Cour de Rennes accueille l’appel des associés sur l’avis favorable de l’Avocat général.
Elle rappelle en premier lieu que le liquidateur n'agit pas en tant que représentant des créanciers mais en tant que représentant de la société en liquidation. Il est donc irrecevable à agir sur le fondement des dispositions de l'article L221-1 du Code de commerce.
Elle rappelle, en second lieu, que le liquidateur, qui représente la société, est bien recevable à agir pour faire fixer la contribution de chaque associé aux pertes sur le fondement des dispositions de l'article 1832 du Code civil.
Mais, soulignant la modification de l'article 1844-7 du Code civil issue de l'ordonnance n°2014-326 du 12 mars 2014, c'est seulement en cas de dissolution de la société, représentée par son liquidateur, que celle-ci peut agir contre ses membres en paiement de ses pertes.
Dans sa rédaction antérieure, le texte prévoyait que la dissolution de la société intervenait du seul fait d'un jugement prononçant la liquidation judiciaire. Mais l’article 1844-7 nouveau dispose désormais que la société ne prend fin qu’avec le jugement ordonnant la clôture de la liquidation judiciaire pour insuffisance d’actifs.
Cette distinction était primordiale puisque, en l’espèce, la liquidation judiciaire avait été prononcée par jugement du 2 juin 2015 (soit postérieurement à l’ordonnance du 12 mars 2014 applicable depuis le 1er juillet 2014) et la procédure n’était pas clôturée de telle sorte que le liquidateur était donc également irrecevable à agir sur le fondement de la contribution aux pertes.
Dans la 3ème espèce (CA Rennes, 3e Ch. commerciale 10 mars 2020), le liquidateur judicaire entendait obtenir la condamnation du gérant de la société débitrice à une interdiction de gérer, lui reprochant, d’une part, son retard à déclarer l’état de cessation des paiements et, d’autre part, l’absence de tenue d’une comptabilité.
Or, sur le premier grief, la Cour de Rennes relève qu’aucune action n’a jamais été intentée par le mandataire judiciaire pour en obtenir le report de la date de cessation des paiements qui avait été fixée par le Tribunal au jour du jugement d’ouverture de la procédure collective.
La date de la cessation des paiements à retenir pour sanctionner le retard de déclaration du dirigeant ne pouvant être différente de celle fixée par le jugement d'ouverture de la procédure collective ou un jugement de report, la faute du dirigeant n’était pas caractérisée.
Sur le second grief, la Cour d’appel suit également l’appelant en ce que seuls les faits antérieurs à l’ouverture de la procédure collective peuvent justifier le prononcé d’une sanction commerciale, ce dont il résulte que l’absence de comptabilité ne doit pas être confondue avec le défaut de présentation des éléments comptables au mandataire judiciaire qui les réclame.
La Cour confirme toutefois partiellement la sanction prononcée par le Tribunal en première instance, considérant que la production d’un document intitulé “grand livre global” revêtu de la mention “provisoire”, communiqué postérieurement à l’assignation du gérant, ne saurait constituer les justificatifs de la tenue d’une comptabilité au sens de celle exigée par la loi.