Lorsque le pacte tontinier compris dans l’acte d’achat de l’appartement constitue une donation déguisée du défunt en faveur de son épouse, cette donation est soumise au rapport dans les limites et selon les modalités prévues à l’article 758-6 du Code civil.

Un défunt laisse pour lui succéder le 27 juin 2013 son épouse et ses deux enfants issus d’un précédent mariage. Par acte du 2 mai 2013 contenant un pacte tontinier, il avait acquis un appartement avec son épouse. Des difficultés surviennent lors des opérations de partage de la succession.

L’arrêt d’appel (CA Colmar, 19 déc. 2019) ordonne le rapport à la succession de la donation déguisée au profit de l’épouse, constituée par le pacte tontinier compris dans l’acte d’achat de l’appartement.

La Cour de cassation approuve la cour d’appel.

Selon l’article 758-6 du Code civil, les libéralités reçues du défunt par le conjoint survivant s’imputent sur les droits de celui-ci dans la succession. Lorsque les libéralités ainsi reçues sont inférieures aux droits définis aux articles 757 et 757-1, le conjoint survivant peut en réclamer le complément, sans jamais recevoir une portion des biens supérieurs à la quotité définie à l’article 1094-1.

Aussi, il résulte de la combinaison des articles 758-5 et 758-6 du Code civil que le conjoint survivant est tenu à un rapport spécial en moins prenant des libéralités reçues par lui du défunt dans les conditions définies à l’article 758-6.

La cour d’appel ayant retenu que le pacte tontinier compris dans l’acte d’achat de l’appartement constituait une donation déguisée du défunt en faveur de son épouse, il s’ensuit que cette donation est soumise au rapport dans les limites et selon les modalités prévues à l’article 758-6 du Code civil.

La donation déguisée est celle qui est faite sous l’apparence d’un contrat à titre onéreux. Si la validité du contrat est admise sur le plan juridique, l’administration fiscale peut établir son véritable caractère. Il lui faut alors démontrer que, sous une apparence onéreuse, le contrat déguise une libéralité. Elle peut invoquer à cet effet, notamment, soit les clauses de l’acte soit différentes circonstances, telles que :

— situations de fortune respectives des parties en cause ;

— leurs âges ou leurs liens de parenté et d’amitié ;

— l’existence d’un testament en faveur de l’acquéreur ;

— le paiement du prix hors la vue du notaire ou la conversion de ce prix en une rente viagère dont les arrérages n’excèdent pas les revenus de l’immeuble ou ne sont pas réellement versés au bénéficiaire ;

— la stipulation d’un prix dérisoire ;

— la maladie du vendeur au moment de la vente ou la brièveté du délai entre la prétendue vente et le décès du vendeur et le fait que le prix ne se retrouve pas dans la succession de l’intéressé.

Les faits invoqués par l’administration doivent être envisagés dans leur ensemble et non pas isolément par les juges qui doivent en constater l’existence et en apprécier la qualité.

L’appréciation de la valeur des présomptions invoquées par l’administration pour soutenir qu’une opération à titre onéreux, généralement une vente, constitue en réalité un acte à titre gratuit, relève du pouvoir souverain du juge de fond.

L’intention libérale du contractant doit être déduite d’un ensemble de présomptions graves, précises et concordantes, établissant l’absence totale de contrepartie.

La donation déguisée peut aussi résulter des contrats les plus divers, tels que contrat de mariage, partage, transaction, renonciation à une succession, etc.

 

 

  1. Conditions de la donation déguisée

 

  1. Condition de fond

La donation déguisée doit respecter les conditions de fond issues du droit commun des donations entre vifs.

En particulier, la donation déguisée est nulle si elle est consentie au profit d’une personne frappée d’une incapacité de recevoir (Code civil, article 911). Ainsi jugé à propos d’une donation déguisée consentie par une malade à son ami médecin qui la soignait.

La nullité sanctionnant la violation d’une incapacité spéciale de recevoir privant la personne visée du droit de bénéficier d’une libéralité, ne s’applique pas à la donation faite à un mineur non émancipé, capable de recevoir au sens de l’article 902 du Code civil, et qui n’est atteint que d’une simple incapacité générale d’exercice de ses droits.

 

  1. Conditions de forme

La donation déguisée doit respecter les conditions de forme propres à l’acte à titre onéreux dont la libéralité emprunte l’apparence, tel qu’une vente ou un prêt. Par exemple, la cession d’un terrain à une municipalité pour le prix d’un franc, sous le couvert d’une vente, constitue une donation déguisée valable, dès lors que l’acte qui la constate respecte les conditions de forme requises pour la vente.

Si l’acte simulé est un prêt, l’article 1376 du Code civil devra être respecté. Ce texte, applicable à tout engagement unilatéral de payer une somme d’argent, conduit à imposer à l’emprunteur l’écriture d’une mention de la somme empruntée en lettres et en chiffres.

 

  1. La dissimulation

La jurisprudence exige une véritable dissimulation de la donation : l’acte ne doit pas révéler l’intention libérale du donateur (Cass. req. 7-1-1862 : DP 1862 I p. 188). La qualité de la dissimulation constitue en quelque sorte un formalisme de substitution.

Par exemple, dans le cas d’une donation dissimulée par une reconnaissance de dette, l’acte ne doit pas révéler que la dette n’existe pas. L’intention libérale peut en revanche être révélée dans un acte distinct de la reconnaissance de dette.

La jurisprudence a néanmoins reconnu la validité d’une donation déguisée sous forme de vente d’un immeuble à une commune, au prix symbolique d’un franc.

 

  • VENTE SIMULÉE

C’est l’une des donations déguisées les plus fréquentes. Le principe est simple : les parties stipulent un prix de vente réaliste - si le prix est sous-évalué, il s’agira alors d’une donation indirecte et non d’une donation déguisée - mais conviennent en secret qu’il ne sera jamais payé, ou qu’il sera remboursé de manière occulte à l’acheteur par le vendeur.  

La question n’est pas aussi tranchée lorsque la vente est réalisée pour un prix modique. La doctrine majoritaire reconnaît l’existence d’une donation indirecte à chaque fois que l’acte à titre onéreux est déséquilibré en faveur de l’une des parties, sous réserve de caractériser l’intention libérale.

 La sincérité de l’acte apparent ne se discute pas. À défaut de simulation, on ne peut y voir une donation déguisée.

La jurisprudence dominante retient la qualification de donation indirecte, sans écarter de manière systématique celle de donation déguisée.

 

  • DETTE FICTIVE

Autre donation déguisée très usitée : la fausse reconnaissance de dette, par laquelle un individu se reconnaît être débiteur d’une créance qui n’existe pas. On peut rapprocher de cette donation le cautionnement fictif, par lequel le donateur se porte caution du débiteur insolvable du donataire offrant à ce dernier un droit de poursuite à son égard.

Il est également possible de générer une créance du donateur par le truchement d’un litige imaginaire, qui permettra ainsi l’indemnisation du donataire.

 

  • CONTRAT DE SOCIÉTÉ

Le recours à ce contrat peut aussi être un prétexte à de nombreuses donations déguisées, en particulier par le biais d’apports fictifs du donataire, supportés en réalité par le donateur.

 

  1. Preuve de la donation déguisée

 

  1. Objet de la preuve

La preuve d’une donation déguisée est dédoublée. Il convient en effet de démontrer deux éléments : à la fois le déguisement de l’acte et l’intention libérale de l’une des parties. Ni l’un ni l’autre ne se présument sauf le cas particulier de la présomption de gratuité (Code civil, article 18).

Ils doivent donc être établis par celui qui les allègue. La jurisprudence demeure invariable sur ce point.

Le déguisement ne se présume jamais, il faut le prouver. Par exemple, n’a pas été jugée suffisante pour établir l’existence d’une donation déguisée la mention dans un acte de vente notarié que le paiement du prix était intervenu « hors la comptabilité du notaire ». Il incombe au requérant de démontrer l’absence du paiement effectif.

L’intention libérale ne se présume pas non plus. La Cour de cassation est intransigeante sur ce point.

Par exemple, dans une affaire où des parents ont cédé divers immeubles à des SCI détenues par leurs fils et petit-fils alors que seule une partie du prix a été réglée, une cour d’appel a été censurée pour en avoir déduit que les ventes étaient des donations déguisées, sans rechercher si les vendeurs avaient agi dans une intention libérale.

De la même façon, l’usage du bien pendant 32 ans par une mère, en contrepartie de sa participation financière à l’acquisition dudit bien par son fils, exclut toute intention libérale de sa part à l’égard de son enfant.

 

  1. Effet de la preuve

Les donations déguisées sont nombreuses. Tantôt elles obéissent au désir de se soustraire aux règles civiles du rapport et de la réduction, tantôt (plus souvent, semble-t-il) à celui d’échapper à l’impôt de donation qui est particulièrement lourd en ligne collatérale et entre étrangers. On ne compte plus les donations déguisées qui font l’objet d’un avis du Comité de l’abus de droit fiscal.

Ces actes sont pain béni pour l’Administration, car l’importance des droits éludés et les pénalités font que la plus petite donation déguisée lui rapporte un impôt qui dépasse la valeur du bien (droits principaux au taux de 60 % et pénalités de 80 % des droits, soit au total 108 % de la valeur du bien !).

En effet, l’Administration considère – à juste titre – que les donations déguisées sont constitutives d’un abus de droit (LPF, art. L. 64).

La preuve a ici plus que jamais des conséquences décisives. En effet, tant que la donation déguisée n’est pas prouvée, c’est le régime juridique de l’acte onéreux dont la donation emprunte l’apparence qui s’applique (vente, prêt, etc.).

Mais dès lors que la libéralité déguisée est démontrée, c’est le régime juridique et fiscal des donations qui s’applique dans son ensemble. En particulier, l’acte sera dès lors soumis au rapport dans la succession du donateur, puisque la jurisprudence a précisé que le déguisement ne constitue pas en lui-même une dispense de rapport.

 

 

Sources :

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000045009772?init=true&page=1&query=20-12.232&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000006993492?init=true&page=1&query=74-11.061&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007084047?init=true&page=1&query=86-10.567&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007090390?init=true&page=1&query=88-12.754&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000006969011?init=true&page=1&query=63-11.451&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007009071?init=true&page=1&query=80-15.294+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000007006048?init=true&page=1&query=79-11.378&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000006972052?init=true&page=1&query=64-10.101+&searchField=ALL&tab_selection=all

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https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000028759481?init=true&page=1&query=13-14.795+&searchField=ALL&tab_selection=all

https://www.legifrance.gouv.fr/juri/id/JURITEXT000042464483?init=true&page=1&query=19-13.770+&searchField=ALL&tab_selection=all