Cette procédure relève d’une prérogative de puissance publique détenue par l’État. Elle aboutit à déposséder de son bien immobilier une personne physique ou morale ou à lui faire renoncer à un droit réel immobilier dans un but d’utilité publique, moyennant une juste et préalable indemnité.

 

Il faut remonter à la Révolution, à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789

pour trouver l’origine de cette procédure. L’article 17 de la DDH dit que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ».

 

Peu de temps après, avec la rédaction du Code civil en 1804, l’article 545, toujours en vigueur dans sa rédaction initiale, dispose que « nul ne peut être contraint de céder ses propriétés si ce n’est pour cause d’utilité publique et moyennant une juste et préalable indemnité ».

 

Ce principe, inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme, a valeur constitutionnelle puisque le Conseil Constitutionnel aujourd’hui a inclus dans le bloc de constitutionnalité, en plus notamment de la Constitution de 1958, cette Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

 

On retrouve trace d’un principe similaire dans la Convention Européenne des Droits de l’Homme de 1950, puisque l’article premier du protocole additionnel de 1952 dispose que «

toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens, nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international».

 

Autre principe fondamental, c’est la séparation de la procédure en deux phases : la phase administrative et la phase judiciaire. Elle est source de protection des droits de l’exproprié. Elle a également valeur constitutionnelle, car c’est un principe fondamental reconnu par les lois de la République (CC 23 janvier 1987 n°86-224 DC). Le Conseil Constitutionnel insiste sur l’importance en la matière des attributions conférées à l’autorité judiciaire en matière de protection immobilière (CC 25 juillet 1989 n° 89-256 DC).

 

Aujourd’hui, les sources légales et réglementaires sont constituées par le Code de l’expropriation, créé en 1977 avec une législation qui a évolué assez régulièrement et qui continue à évoluer avec les réformes notamment de la loi Grenelle 2 du 12 juillet 2010.

 

L’État est la cheville ouvrière de la procédure, mais les collectivités territoriales et leurs établissements publics sont souvent bénéficiaires de l’expropriation. Ils en sont à l’initiative.

Le cadre juridique du droit de l'expropriation est strictement délimité par les dispositions du Code de l'expropriation pour cause d'utilité publique. Ainsi, une procédure d'expropriation qui ne respecte pas les prescriptions de ce code doit être regardée comme constitutive d'une atteinte illégitime au droit de propriété.

La procédure d’expropriation comprend une 1ère phase administrative préparatoire au cours de laquelle la personne publique (État, collectivités…) doit démontrer l’utilité publique de son projet, et une 2ème phase judiciaire servant à transférer la propriété à la personne publique et à indemniser l’exproprié.

 

  1. La phase administrative et les recours possibles :

 

  1. l’utilité publique de l’opération :

Pour que la procédure d'expropriation soit mise en œuvre, il est nécessaire que l'opération projetée présente un caractère d'utilité publique. Si ce n’est pas le cas, la procédure pourra être jugée illégale dans son entier. En dehors des hypothèses où le législateur admet que certains buts poursuivis par l'Administration présentent un caractère d'utilité publique (suppression de l’habitat insalubre, risque technologique, risque de glissement de terrain, d’avalanches menaçant gravement des vies humaines…), c'est au juge qu'il revient de définir cette notion.

D’un point de vue contentieux, ce point est important car la jurisprudence démontre parfois que l’utilité publique de l’expropriation est contestable.

L'absence d'utilité publique de l'opération est évidente en cas de détournement de pouvoir (dans un but d’intérêt privé : une procédure qui aurait pour but de faciliter l'accès à une propriété privée ou encore de permettre la création d'un centre hippique privé) et d'absence de nécessité de l'opération.

Elle est plus difficile à appréhender lorsque le juge utilise la théorie du bilan, au moyen de laquelle il va vérifier que les inconvénients engendrés par l'opération projetée n'excèdent pas les intérêts que celle-ci présente.

Avant de procéder au bilan coûts-avantages de l'opération, le juge doit vérifier que l'opération projetée correspond bien à un intérêt public, ce qui implique qu'il ne doit pas être entaché de détournement de pouvoir, et que l'expropriation est bien rendue nécessaire par la réalisation de cette opération.

En effet, comme l'avait déjà précisé le Conseil d'État dans un arrêt Consorts Zanatta du 5 mars 1997 : « Cette question est préalable et distincte de celle du caractère excessif, eu égard à l'intérêt que présente cette opération, des atteintes portées à la propriété privée, des inconvénients de l'opération ou de son coût financier » (CE, 5 mars 1997, n° 136687 : JurisData n° 1997-050346 ; Rec. CE 1997, p. 73 ; RD imm. 1997, p. 422, chron. C. Morel et M. Denis-Linton).

Dans un arrêt Commune de Levallois-Perret du 19 octobre 2012 (CE, 19 oct. 2012, n° 343070 : JurisData n° 2012-023337 ; Constr.-Urb. 2012, comm. 174, note Santoni ; JCP A 2012, act. 718, obs. Dubreuil) le Conseil d'État a clarifié la méthode de contrôle de la déclaration d'utilité publique.

Il rappelle que lorsqu'il est amené à se prononcer sur le caractère d'utilité publique d'une opération nécessitant l'expropriation d'immeubles ou de droits réels immobiliers le juge contrôle successivement trois points :

  • que l'opération répond à une finalité d'intérêt général : un besoin d’intérêt général doit être réel, précis et permanent. Ainsi par exemple, la réalisation d’une résidence pour personnes âgées a été considéré comme vraiment satisfaisant un besoin d’intérêt général, donc l’utilité publique est avérée dans ce cas d’espèce (CE 5 avril 1991 n°106490). En revanche, la création d’aires de stationnement peut ne pas être justifiée par les nécessités de la circulation et du stationnement. Il a été considéré dans ce cas que l’utilité publique n’était pas existante(CE 11 mars 1981 n° 15352).

 

  • que l'expropriant n'était pas en mesure de réaliser l'opération dans des conditions équivalentes sans recourir à l : L’expropriation est-elle la seule solution possible ? Le recours à cette procédure ne peut être légitimé qu’à l’épuisement de toutes les autres solutions, comme l’acquisition amiable, le droit de préemption urbain, ou réserve foncière. L’expropriation ne peut être que le dernier recours. C’est très important.

 

  • et, enfin, que les atteintes à la propriété privée, le coût financier et, le cas échéant, les inconvénients d'ordre social ou économique que comporte l'opération ne sont pas excessifs eu égard à l'intérêt qu'elle présente : à titre d’exemples d’atteinte disproportionnée à une propriété privée, la création d’un espace vert dans une commune déjà dotée de beaucoup d’espaces verts, impliquant la destruction d’un jardin privé (CE 25 novembre 1988 n° 74232). En l’espèce, l’utilité publique est présente, mais entraîne énormément d’inconvénients pour un propriétaire au regard de l’opération projetée.

Si le bilan de tout ces points est positif, alors l’opération sera jugée d’utilité publique.

Il est rare que la mise en œuvre de cette méthode conduise le Conseil d’Etat à annuler une déclaration d’utilité publique relative à un grand projet d’aménagement mais ce fut le cas par exemple pour la construction d’une ligne ferroviaire à grande vitesse entre Poitiers et Limoges (CE 15-04-2016) ou encore pour la création d’un barrage.

  1. la procédure proprement dite :

Si une collectivité locale est à l’initiative d’une demande de DUP, la délibération du conseil municipal est transmise au préfet accompagnée d’un dossier composé d’une notice explicative ; du plan de situation ; du plan général des travaux ; des caractéristiques principales des ouvrages les plus importants ; de l’appréciation sommaire des dépenses ; de l’étude d’impact (non nécessaire pour des travaux d’aménagement mineurs) et de l’estimation sommaire des acquisitions à réaliser quand cela est nécessaire.

Une fois la transmission de ce dossier, le préfet prend un arrêté par lequel il ouvre l’enquête publique. Celle-ci est conduite par un commissaire-enquêteur désigné par le président du tribunal administratif.

Son ouverture est mentionnée dans l’un des journaux diffusés par le département et fait l’objet d’un affichage en mairie au moins 8 jours avant son démarrage. Elle indique les heures et le lieu où le public peut prendre connaissance du dossier et formuler des observations.

C’est à ce moment-là, que les administrés concernés auront la possibilité d’indiquer sur le registre prévu à cet effet leurs remarques et/ou doléances qui seront étudiés ensuite par le commissaire-enquêteur avant qu’il remette ses conclusions.

Après cette phase, au vu des résultats de l’enquête du commissaire-enquêteur, si l’intérêt public du projet est déclaré, le préfet pourra prononcer l’utilité publique en prenant un acte déclaratif d’utilité publique (DUP).

L’acte de Déclaration d’utilité public doit être affiché en mairie. Le jour de l’affichage sert de point de départ aux intéressés pour contester la DUP et engager un recours éventuel en annulation devant le tribunal administratif dans un délai de 2 mois. L’utilité publique de l’opération pourra être contestée à ce stade.

L’acte déclarant l’utilité publique (DUP) a pour but de déterminer d’une part, les parcelles à exproprier et d’autre part, l’identité des propriétaires, des titulaires de droits réels et des autres intéressés.

Lorsque la commune est en mesure, avant la déclaration d’utilité publique, de déterminer les parcelles à exproprier et de dresser le plan parcellaire et la liste des propriétaires, l’enquête parcellaire peut être faite, soit en même temps que l’enquête préalable, soit postérieurement.

La procédure d’enquête parcellaire est quasiment identique en tout point que la procédure d’enquête publique.

Une différence existe malgré tout entre les deux procédures, en effet, la commune notifie individuellement aux propriétaires (sous pli recommandé AR), le dépôt du dossier en mairie.

En cas de domicile inconnu, la notification est faite en double copie au maire qui en fait afficher une. La notification individuelle est une formalité substantielle, elle doit être respectée scrupuleusement sous peine de nullité de la procédure.

 

2. la phase judiciaire : transfert de propriété, indemnité d’expropriation et paiement des indemnités :

La deuxième partie, la phase judiciaire comporte plusieurs étapes importantes, qu’il s’agisse du transfert de propriété proprement dit et de la fixation des indemnités.

2.1 Le transfert de propriété :

Le transfert de propriété peut se faire soit par le biais d’une cession amiable, soit par le biais d’une ordonnance d’expropriation.

a) les cessions amiables : elles peuvent être :

- Soit antérieures à la DUP : ces accords peuvent porter sur l’immeuble ou sur le prix ou sur les 2 à la fois. Ce sont des ventes ordinaires soumises aux règles du droit commun. De notre point de vue, il s’agit du meilleur cas de figure pour les propriétaire privés. En effet, les collectivités locales et même l’Etat tentent toujours de procéder par voie amiable avant de recourir à la procédure d’expropriation qui est lourde et peu rapide.

Dans cette phase, il est possible de négocier avec l’Etat ou la collectivité locale et c’est un prix de vente qui est fixé. Cela n’a rien à voir avec des indemnités d’expropriation.

- soit postérieures à la DUP mais antérieures à l’ordonnance d’expropriation (ces cessions ont tous les caractères attachés à l’ordonnance d’expropriation) ;

- Soit postérieures au transfert de propriété par ordonnance (ces accords par lesquels les parties décident de fixer l’indemnisation, sans avoir recours au juge de l’expropriation, constituent un contrat de droit privé).

b) Par ordonnance d’expropriation : le dossier est transmis par le préfet au juge de l’expropriation (au Tribunal de Grande Instance) du département dans lequel sont situés les biens à exproprier.

L’ordonnance doit être prononcée par le juge dans un délai de 15 jours à compter de la réception du dossier.

Elle désigne chaque immeuble exproprié, précise l’identité des expropriés et indique le bénéficiaire de l’expropriation.

Elle ne peut être exécutée à l’encontre de chacun des intéressés que si elle lui a été préalablement notifiée par la commune.

Mais si l’absence de notification de l’ordonnance interdit l’envoi en possession, elle est sans influence, en revanche, sur le transfert de propriété.

L’ordonnance opère transfert de propriété à sa date. Elle doit donc être publiée au bureau des hypothèques.

Tous les droits réels existant sur les immeubles expropriés sont éteints par l’ordonnance d’expropriation et les inscriptions de privilèges ou d’hypothèques éteints, sont périmées à l’expiration d’un délai de 6 mois à compter du jour de la publication de l’ordonnance, d’expropriation devenue irrévocable.

De plus, tous les droits personnels (location, bail) existant sur les immeubles expropriés sont éteints par l’ordonnance d’expropriation.

L’ordonnance d’expropriation peut aussi être contestée devant le juge judiciaire par le biais d’un pourvoi en cassation dans un délai de 2 mois à compter de la notification de l’ordonnance.

 

2.2 La fixation des Indemnités par le juge de l’expropriation :

Contrairement au juge administratif qui a chevillé au corps la défense de l’intérêt public, le juge de l’expropriation est un juge judiciaire garant de la propriété privée.

Contrairement à la vision qu’en ont souvent les justiciables, ce magistrat est soucieux de leurs intérêts. Il se déplace, et c’est rare, sur les lieux avant de se prononcer et ce en présence des parties et notamment des expropriés qu’il interroge. Il y a un véritable échange entre le juge et les parties.

Cette procédure peut intervenir à tout moment, même dès le début, à la condition que la collectivité locale connaisse exactement les biens à exproprier et la liste des propriétaires.

La recherche d’un accord amiable est en principe un préalable à l’ouverture de l’instance en fixation des indemnités. Ce n’est qu’à défaut d’accord amiable que le juge de l’expropriation est amené à fixer les indemnités dues aux propriétaires.

Ainsi à défaut d’accord dans le délai d’1 mois à partir de la notification des offres de la collectivité, le juge de l’expropriation peut être saisi, soit par la commune, soit par l’exproprié.

Le juge fixe, par ordonnance, la date du transport sur les lieux et de l’audition des parties. La visite des lieux doit être faite par le juge dans les 2 mois à compter de son ordonnance. Elle est faite en présence du juge, de son greffier, des parties et du commissaire du gouvernement.

Ensuite, soit l’audience a lieu immédiatement le jour du transport sur les lieux, soit le juge fixe une audience postérieure au dit transport. Dans tous les cas, le juge se prononce par un jugement motivé.

Il fixe :

  • une indemnité principale : la valeur vénale du bien exproprié et non la valeur du bien de remplacement ou du prix de revient de l’immeuble. La valeur vénale correspond au prix le plus probable auquel ce bien serait vendu dans des conditions normales.
  • et des indemnités accessoires :
    • indemnité de remploi : pour couvrir les dépenses que l’exproprié sera amené à exposer lors du rachat d’un bien. Il est fixé une pourcentage de la valeur vénale : de 10 à 20 %)
    • les autres indemnités accessoires : frais de déménagement par ex.

Les indemnités doivent permettre à l’exproprié de se replacer en même et semblable état. Les expropriés doivent donc être indemnisés de l’entier préjudice subi (mais pas au-delà) à condition qu’il soit direct et certain. Si le préjudice est indirect il n’est pas indemnisable (ex : la gêne occasionnée par la création d’une voie à grande circulation, les intérêts d’emprunt contracté pour l’achat du bien exproprié).

Un appel du jugement par les parties ou le commissaire du gouvernement est possible dans le délai d’un mois à compter de la notification du jugement.

 

2.3 Le paiement de l’indemnité et ses conséquences :

Le principe du paiement ou de la consignation de l’indemnité préalablement à la prise de possession domine le droit de l’expropriation.

En effet, la prise de possession ne peut intervenir que si : l’ordonnance d’expropriation ou la cession amiable sont intervenues et l’ordonnance notifiée ; les indemnités sont payées ou consignées ; et si un délai d’un mois s’est écoulé entre le paiement (ou la consignation) et la prise de possession.

 

  1. Le droit de délaissement :

 

Une disposition particulière concerne le droit de délaissement.

 

Lorsqu’un an s’est écoulé depuis la publication de la DUP, les propriétaires des terrains à acquérir compris dans l’opération peuvent mettre en demeure le bénéficiaire de la DUP de procéder à l’acquisition de leurs terrains dans un délai de deux ans à compter du jour de leur demande.

 

A défaut d’accord amiable, le juge de l’expropriation, saisi par le propriétaire, prononce le transfert de propriété et fixe le prix du terrain comme en matière d’expropriation. L’acte ou la décision portant transfert éteint par lui-même, et à sa date, tous droits réels ou personnels existants sur l’immeuble cédé. Cette procédure rappelle celle applicable aux emplacements réservés, lorsque le propriétaire du terrain est habilité à mettre en demeure la collectivité publique d’acquérir la réserve foncière en vue d’y réaliser le projet envisagé en amont.

 

Pour conclure, nonobstant la technicité complexe et propre au droit de l’expropriation, il n’en demeure pas moins que le justiciable a des droits qu’il doit préserver.

Il n’est pas la victime passif de l’expropriation décidée arbitrairement par la Commune.

Il peut tantôt contester le bienfondé de l’utilité publique de l’expropriation.

Il peut surtout se défendre pour assurer une pleine indemnisation de ladite expropriation, en combattant notamment les estimations et propositions des collectivités locales souvent  dérisoires, et finalement, attentatoires au droit de la propriété.

 

Nathalie THIBAUD

Avocat spécialisé en droit de l’urbanisme et droit public


(article paru dans la revue UNPI)